Le Pen au 2ème tour: Banalisation du Mal… mais capacité de sursaut dans les urnes (et après)

La France et la République sont peut-être plus solides qu’il n’y paraît mais il est sidérant de voir que le mouvement d’extrême droite, fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, a pu aussi facilement se muer en mouvement national-populiste et prospérer à ce point ces dernières années, surfer sans être contredit sur les protestations et les peurs, se nourrir des problèmes et des colères, se hisser au 2ème tour de la présidentielle au point de prétendre incarner une alternative et une voie d’avenir pour le pays ! Pour en arriver là, que d’échecs, d’irrésolutions et de faiblesses !

Tribune publiée par le HuffingtonPost

Tribune de Jean-Philippe Moinet, publiée par le HuffingtonPost

De cet état de fait de l’élection présidentielle, l’ensemble de la classe politique est sans doute responsable. Depuis 2014 au moins (année des élections municipales et européennes), la menace était pourtant bien visible. Tous les partis et leader du champ républicain auraient pu lancer, chacun à leur manière,  un vaste chantier d’opposition directe à ce national-populisme qui exploite cyniquement toutes les peurs (le terrorisme en a malheureusement servi…), la contagieuse xénophobie en particulier. Mais en perspective de l’élection présidentielle, chacun des camps et tous les leaders en compétition se sont évertués à détourner la conflictualité et à renoncer aux arguments pour s’en prendre à d’autres adversaires, les plus proches, considérant tous que la candidate du FN serait finalement la plus facile à battre. Erreur collective et surtout terrible vision à courte vue !

Pendant 3 ans, la machine populiste d’extrême droite a pu  faire son travail de sape

Voilà comment, pendant plus de trois ans, ces dirigeants ont laissé prospérer un tel mouvement ! Voilà comment a été privilégiée une bagarre politique en interne au sein des deux partis de gouvernement, d’abord par le biais du jeu des primaires (de la droite et de la gauche), qui ont très longtemps accaparé l’attention, les combats, les arguments ; puis, plus largement au sein de l’ensemble des compétiteurs du champ républicain, par le jeu qui a consisté, pendant la campagne de la présidentielle, à prioritairement chercher à déstabiliser et à éliminer le concurrent immédiat, épargnant pendant des mois la candidate du parti d’extrême droite.

Toutes les démagogies du parti d’extrême droite pouvaient se déverser et s’amplifier dans le pays, la machine populiste pouvait, sans contradiction flagrante, exploiter toutes les peurs et faire son travail de sape, les autres compétiteurs étaient trop occupés par une obsession : qui sera face à elle 2ème tour ! La pédagogie sur les difficultés de la France et de l’Europe étant par ailleurs toujours plus difficile à faire valoir dans le débat public que les démagogies, et en période de crise l’irrationnel et les raccourcis étant bien plus percutants que les raisonnements et les arguments fondés sur le réel, voilà comment, un mouvement d’extrême droite, irrigué par de nombreuses crises (crise politique, morale, économique, sociale, culturelle) et par un penchant exploité par tous les nationalismes et extrémismes (les problèmes, ce sont les autres : l’Europe, les étrangers, la finance, « l’oligarchie »…), oui, voilà comment un mouvement d’extrême droite a su se hisser au niveau d’un des deux pôles en balance, l’un des deux choix pour le pays. Un 2ème tour de l’élection présidentielle qui peut placer la candidate du mouvement d’extrême droite à 40% d’intentions de vote, peut-être 45%, peut-être plus…  créant en tout cas un climat et une incertitude jamais connus en France, depuis la deuxième guerre mondiale !

Les troubles et coupables tendances neutralistes de l’ultra gauche

Un parti devenu à ce point vecteur protestataire, et populaire, perd-il forcément son caractère extrémiste, qu’il s’agisse de son idéologie ou de ses ressorts – racistes et antisémites notamment -, ou de son comportement – l’autoritarisme dans sa gestion du pouvoir, les violences qu’il colporte ? On peut l’espérer pour le pays, mais rien n’est moins sûr. En tout cas, cette bipolarité de l’élection présidentielle a installé à son plus haut niveau historique un mouvement d’extrême droite et ses quelques ralliés en France, l’un des grands pays fondateur de l’Union Européenne, cette grave situation politique ayant été favorisée aussi par de troubles et coupables tendances neutralistes et abstentionnistes, clairement alimentées par l’ultra gauche, par l’attitude de Mélenchon notamment, mais aussi de l’extrême gauche, qui misent sur d’ultérieures troubles de rues et une hypothétique revanche électorale, lors des législatives.

Contrairement à 2002,  le fameux Front républicain a ainsi manifesté d’énormes faiblesses, qui peuvent être aussi, et surtout, des signes de faiblesse pour notre pays lui-même, s’il est si peu capable de faire unité sur l’essentiel, quand celui-ci est en jeu et c’est bien le cas aujourd’hui : les principes de la République et l’idéal européen, deux axes et piliers qui avaient prévalu depuis la tragédie de la deuxième guerre mondiale, sont bien en ligne de mire d’un mouvement, dont toute l’histoire a été faite de leur négation. Risquant de précipiter le pays dans les pires instabilités, politiques, économiques et sociales, qui ne résoudraient aucun de ses problèmes mais les aggraveraient tous.

Ne pas jouer avec le feu de l’histoire

Reste que cette banalisation du mal, ce risque de fuite en arrière de l’histoire, n’est heureusement pas une fatalité pour la France. Les citoyens pourront le démontrer en votant pour celui qui est mécaniquement et démocratiquement seul à faire face,  Emmanuel Macron. S’ils le font massivement,  par un vote qui transcende très largement les différences d’opinions et de sensibilités, preuve sera faite que la France reste unie et solide sur ses fondamentaux, et sera apte à mieux affronter les défis d’avenir. Une large convergence des républicains et démocrates est donc à espérer pour cette raison essentielle, pour ne pas jouer avec le feu de l’histoire, pour dire Non au spectre mortifère d’un nationalisme irresponsable et xénophobe, pour ouvrir un vaste chantier qui échappe aux idéologies : faire réussir notre pays, faire reculer les forces de la désespérance, faire repartir l’économie et l’emploi, répartir les fruits de la croissance, faire réussir l’éducation, la formation, la cohésion sociale… tout cela ne pourra se faire que dans un esprit d’unité, et non dans un pays fragmenté, tourmenté par le jeu des pulsions et déstabilisé par ses vieux démons.  Ligne de crête instable ou clarté du message civique ? Parce qu’il aura des conséquences lourdes et durables, le moment est assurément historique.

Jean-Philippe MOINET

auteur,  chroniqueur, fondateur de la Revue Civique

(a été Président de l’Observatoire de l’extrémisme)

03/05/17