Ancien directeur de la communication du Centre national d’études spatiales (CNES) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Arnaud Benedetti est aujourd’hui professeur associé à Paris-Sorbonne Université et directeur de la communication à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Après avoir publié, notamment, « La communication » (avec Priscille Rivière, éditions Economica, janvier 2017) et « Communiquer c’est vivre » (avec Dominique Wolton, éditions du Cherche midi, septembre 2016), Arnaud Benedetti est l’auteur de « La fin de la com’ » (éditions du Cerf, mars 2017) : « De Louis XIV à Donald Trump », l’auteur revient sur la chronique de la com’… entre grandeur et décadence de la communication politique. Il répond à nos questions.
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La Revue Civique : Vous dessinez une limite entre ce que vous appelez la « communication » (intemporelle) et la « com’ », actuelle. Quelle distinction majeure faites-vous ?
Arnaud Benedetti : La communication a une dimension anthropologique puisqu’elle fonde la société, le contrat social ; elle transcende… Elle permet de construire la relation et de l’inscrire dans une épaisseur qui fait sens pour toute organisation humaine ; le couple, le travail, la cité, etc… Elle n’exclut pas les tensions, mais elle est portée par un élan qui vise à les faire coexister, voire à les dépasser. La com’ , ce sont les activités qui sont nées au tournant du 19éme et du 20éme siècle, qui ont pour vocation, confrontées à l’émergence de l’opinion publique et de l’espace public, de s’assurer l’adhésion des sociétés, des citoyens, des consommateurs… Elles recouvrent les relations publiques, le lobbying, la publicité, autant de pratiques inventées dans le cadre de la démocratie parlementaire et de l’économie de marché. Quelques grands noms (Lasker, Lee, Bernays, etc…) contribuent ainsi à la genèse de ces métiers qui résultent quelque part d’une prise de conscience : rien ne peut se faire sans le consentement des peuples…
La com’ a inévitablement une dimension propagandiste – quelqu’un comme Jacques Ellul décrivait par exemple la pub comme la manifestation d’une forme de propagande sociologique – mais elle va plus loin que cette dernière car justement elle doit faire avec l’opinion. Tout le problème c’est que, dés le temps des origines, les métiers de la com’ se fixent d’une manière très cynique un objectif de « fabrique du consentement » pour reprendre une expression particulièrement appréciée par ce théoricien le plus sophistiqué des relations publiques que fut en son temps Edward Bernays. Ce dernier peut, à plus d’un titre, être considéré comme celui qui fait de la communication une entreprise à produire du spin, c’est-à-dire un tour qui en vient à déformer la réalité pour domestiquer les esprits au service des élites, des oligarchies. Bernays, qui était le neveu de Freud et qui exploite sans complexe les ressources de la psychanalyse, ne dissimule pas que ses activités sont au service d’une conception politique de la société. La com’ , même s’il faut nuancer, naît dans cette forge là. Le consentement y est suscité par une instrumentalisation du réel et non pas forcément par l’appel à l’émancipation des sujets …
Pour vous, comment peut-on caractériser une bonne stratégie de communication, et quels sont les maux dont elle souffre le plus aujourd’hui ?
Tout l’enjeu consiste d’abord à accepter le caractère inévitablement aléatoire de la communication. Il peut y avoir des bonnes pratiques, des usages, des règles mais rien ne garantit le succès. La communication est une activité d’abord humaine, et en conséquence elle ne peut préjuger d’une vérité pré-établie… Il peut exister des sciences de la communication, qui sont elles-mêmes des sciences humaines, mais la communication en tant qu’activité n’a rien de scientifique. Elle demeure pour une bonne part une activité artisanale qu’il convient de conduire avec modestie et humilité. Ne jamais survendre, c’est le minima éthique et si j’ose dire, communicant.
« La figure du communicant »
Par ailleurs, et cela me parait être une rupture au regard de la dimension initialement sulfureuse de la com’, il convient d’introduire toujours plus de normativité dans ces activités, c’est-à-dire d’écoute et de prise en compte de ce que l’on appelle dans le langage de la responsabilité sociale d’entreprise (RSE) « les parties prenantes » , non pas pour les circonvenir mais pour opérer avec elles… Les analystes et autres théoriciens de la com’ s’affrontent aujourd’hui autour de la figure du « communicant » ou du « dircom » : d’aucuns y voient un petit soldat de l’ordre dominant, d’autres un agent quasi-subversif dont la mission serait in fine de participer à la démocratisation des rapports au sein d’une organisation. Mais, en réalité, les canons de la communication des organisations ne sont pas forcément ceux de la communication politique.
« Quand tout s’accélère toujours et tout le temps, ce sont la gouvernance et la capacité d’analyse qui sont touchées au coeur … »
Tout simplement parce que le politique nous introduit dans une autre dimension bien plus complexe : celle de l’histoire qui est souvent tragique, de la tectonique des civilisations et des sociétés, des rapports de forces… C’est ce niveau de complexité qui rend la communication politique beaucoup plus âpre, difficile, incertaine. Ce d’autant plus que l’accélération du temps médiatique sous l’effet d’Internet, des réseaux sociaux et du concept de « Tout-Info » emporte journalistes, communicants et politiques dans un maelstrom sans nom et dépourvu de toute maîtrise. Quand tout s’accélère toujours et tout le temps , ce sont la gouvernance et la capacité d’analyse qui sont touchées au coeur …
En communication, et plus spécialement dans les sphères des media et de la politique, le phénomène marquant de l’année 2016, et qui risque de prendre encore de l’ampleur dans les années à venir, fut le développement des « faits alternatifs » (fausses informations, rumeurs…). Que dit ce phénomène sur notre société et sur la communication de certains politiques ?
La post-vérité ne serait-elle pas d’abord celle de l’autre ? Il faut se méfier de ces grilles de lecture séduisantes sémantiquement mais parfois réductrices … Il s’agit d’abord d’un concept politique qui vise à combattre ceux que l’on qualifie afin de les discréditer et de les délégitimer de « populistes » . Mais la notion de post-vérité est réversible, et elle peut s’appliquer aussi à certaines dérives propres à ce que les « populistes » prétendent combattre à travers le « politiquement correct » . Les rumeurs, les désinformations, font parties de l’histoire et elles sont très généralement » les choses du monde les mieux partagées » : à droite, à gauche, au centre et ailleurs … Souvenez-vous de la dépêche d’Ems à l’origine de la guerre de 1870 … Tout pouvoir, tout camp politique peut avoir la tentation de la transformation des faits. C’est une donnée récurrente de l’histoire. Ce qui change désormais c’est encore une fois le volume et la vitesse de propagation des rumeurs et autres intoxications « informationnelles » … Internet est de ce point de vue un amplificateur de toutes les entreprises de désinformation mais dans le même temps il constitue aussi – ce n’est pas le moindre de ses paradoxes – un outil qui élargit le forum, l’espace public et en conséquence la pluralité des expressions …
Propos recueillis par Bruno Cammalleri
(mars 2017)