Sebastian Roché, universitaire, directeur de recherche au CNRS, docteur en Sciences Politiques, spécialiste de la délinquance des jeunes, publie « De la Police en démocratie » (Grasset). Il répond à la Revue Civique.
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La Revue Civique : Concernant l’égalité devant la police, qu’en est-il des expériences et consignes demandées par différents Ministre de l’Intérieur, depuis des années… succès, échec, bilan mitigé ?
Sébastian Roché : Il s’agissait pour moi de mesurer la confiance d’une part, et l’égalité devant les contrôles d’identité en France et Allemagne, d’autre part. Mon livre sonne l’alarme concernant les relations police/population: une dégradation se manifeste par l’hostilité ouverte envers les policiers dont a témoigné l’actualité récente à Viry-Chatillon. Mon livre débute d’ailleurs par l’analyse de la mission oubliée des polices en démocratie, qui est de produire de la confiance en défendant des normes et des valeurs supérieures et, ainsi, contribuer à la cohésion sociale.
Toute démocratie a besoin d’une police, et réciproquement la police a besoin que les citoyens la soutiennent, qu’ils la considèrent comme « leur police ». En la matière, la police française comparée à toutes celles de l’Union Européenne est le plus souvent classée dans le dernier tiers inférieur du classement, entre la Pologne et le Portugal pour la satisfaction lors du dépôt de plainte, juste au dessus de la Grèce pour la légitimité, et entre la Hongrie et la République Tchèque pour son respect des citoyens, bref à des encablures des “bons”, qui sont les Danois, les Allemands ou les Anglais ! En effet, les gouvernements français ont peu soutenu la transformation des forces de l’ordre en service tourné vers le public et soucieux de l’égalité de tous les citoyens, en particulier des minorités. Nos grands voisins européens sont bien meilleurs que nous sur ces points, en particulier la Grande-Bretagne et l’Allemagne, mais aussi les démocraties nordiques. Les conséquences sont lourdes, sur notre sol, au moment où la confiance est particulièrement nécessaire pour faire face au terrorisme.
Le rejet de la police n’est pas pour autant une fatalité
Le problème endémique des contrôles d’identité persiste. Les résultats d’études montrent qu’il existe des discriminations dans les contrôles de police (les « contrôles au faciès ») à travers une méthodologie sophistiquée. J’ai notamment comparé la France et l’Allemagne au bout de 400 heures d’observations des patrouilles dans chaque pays (graphique n°1, les “contrôles discrétionnaires”). Cette inégalité devant la police alimente à son tour un rejet et même une hostilité vis-à-vis des agents, pour une partie importante de l’échantillon étudiée en tout cas, a fortiori si l’on se situe dans les quartiers défavorisés. Or, la façon dont la police agit en banlieues et l’injustice observée dans les contrôles au faciès fragilisent encore l’autorité étatique. En Allemagne, la police qui contrôle de manière égale tous les groupes ethniques jouit de la même confiance dans chacun d’entre eux, signe que ce phénomène d’hostilité n’est pas une fatalité.
Et sur l’adhésion aux valeurs de la République chez les jeunes, quels éléments de données et d’analyse avez-vous ?
Dans ce livre, pour la première fois à partir d’enquêtes lourdes et comparatives, je souligne que la religion (et la religiosité, c’est-à-dire le fait d’être impliqué dans sa foi) jouent un rôle important dans l’acceptation ou le refus de la légitimité de la police, et plus largement des institutions. La définition de soi par la religion entre en tension avec l’identification nationale, et également avec les valeurs de Liberté et d’Egalité. De sorte que ce sont les jeunes athées qui sont le plus légitimistes : ils se sentent le plus souvent Français, ils adhérent à l’idée de l’égalité entre hommes et femmes, ils reconnaissent à chacun le droit de vivre sa sexualité comme il l’entend. Les plus réticents vis-à-vis de ces valeurs sont les jeunes musulmans dont la religiosité est élevée. Ils sont les plus réticents à épouser un sentiment national (graphique n°2 sur « se sentir Français », adolescents 13-19 ans, suivant la religion, +: les plus pratiquants, et – : les moins pratiquants). Ils manifestent également le ressentiment le plus fort vis-à-vis de la police, qui redouble lorsqu’ils vivent dans un quartier pauvre. Cette situation caractérise la France, mais ne se retrouve pas en Allemagne.
A l’heure où la diversité de la population est une réalité que nul ne peut plus ignorer, et où les conflits de valeurs et d’identité entre les différentes communautés sont soulignés, la question religieuse s’invite dans les enjeux de police. La distance prise par les jeunes musulmans face à la collectivité politique nationale et aux valeurs qu’elle dit incarner (Liberté, Egalité notamment) se traduit par une défiance croissante manifestée face à la police. Sa légitimité, et partant son efficacité, sont affaiblies. Et avec la cohésion de notre pays.
(décembre 2016)