Après l’attentat perpétré à Nice le 14 juillet, des voix se sont élevées contre le spectacle de la terreur, parfois amplifié et entretenu par certains médias. La publicité, nationale et mondiale, donnée aux auteurs d’actes terroristes est une question à soumettre à la réflexion. Fethi Benslama, auteur de « Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulman » (Seuil), psychanalyste et membre de l’Académie tunisienne, insiste par exemple sur le risque d’amplification du crime de ces djihadistes suicidaires si les médias révèlent et mettent en scène leurs identités. « La communication devenant pour eux la continuation de la terreur par d’autres moyens », il en appelle (dans un entretien au Monde du 19 juillet) à un « pacte par lequel les médias s’engagent à ne mentionner les tueurs que par des initiales, à ne pas publier leurs photos, à ne pas donner les détails biographiques qui permettent de les identifier ».
Dans le billet ci-dessous, Marc Knobel, historien, chercheur, directeur des Etudes du Crif, s’insurge pour la Revue Civique contre les focus médiatiques réalisés sur l’auteur de l’attentat djihadiste de Nice, Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Dénonciation des mises en scènes macabres et parfois anecdotiques, qui servent à l’évidence la propagande et l’intérêt des groupes djihadistes.
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Que n’avons-nous pas entendu ces derniers jours ? Que n’avons-nous pas lu et vu ces derniers jours ? Combien ont gaussé, déblatéré et émis nombre d’hypothèses foireuses lorsqu’ils ont parlé de Mohamed Lahouaiej Bouhlel et ont tenté d’expliquer son/ce geste criminel ?
Des journalistes se sont précipités pour interviewer tous les voisins à la ronde, les vieilles connaissances et la boulangère du coin. De fait et en revue dans le détail, nous avons eu le droit et dans le désordre aux présentations suivantes :
-sa dépression,
-son état dépressif,
-sa violence,
-le fait qu’il battait sa femme et ses enfants,
-qu’il buvait de l’alcool,
-qu’il mangeait du porc,
-qu’il ne fréquentait pas la Mosquée,
-ne faisait pas le Ramadan,
-sa sexualité débridée,
-qu’il fréquentait des femmes et des hommes dont un homme de 70 ans,
-qu’il se droguait,
-qu’il n’était pas net, pas très net,
-complètement à la marge, dingue, fou, malade,
-qu’il prenait des médicaments,
-de montrer une ordonnance médicale…
Le barbare devient une vedette
Puis, les inévitables portraits de l’assassin se sont multipliés, comme si l’assassin, seul, méritait cet honneur ? Comme s’il fallait absolument que l’on peigne son portrait, comme s’il s’agissait d’un portrait comme un autre ? Comme s’il fallait que nous sachions tout de tout, minute par minute du monstre ? Sa vie, son œuvre, ses enfants, amants et maîtresses ?
Sans comparaison aucune, nous dirions très cyniquement que nous avions (il fut un temps) Hitler et son chien, nous aurons cette fois Mohamed et ses hommes ou ses femmes.
Combien d’articles ont été publiés en long et en large dans la presse pour parler de Mohamed Lahouaiej Bouhlel ? Combien de portraits « riches » et variés avec moultes détails et forçant un peu trop le trait ? Combien de photographies publiées et cette Une pour le moins contestable de Libération (18 juillet 2016) avec sa photographie, justement en Une ?
Comme si l’on parlait d’un « pauvre » type qui avait ou aurait simplement pété les plombs et aurait massacré sa famille ?
Ce faisant, le barbare devenait, devient une vedette alors qu’il applique à la lettre la stratégie assassine de Daech et la mise en scène, le show must go, pouvait/ peut continuer.
Mise en scène macabre d’un criminel. Nous le disons alors, tout cela est parfaitement obscène.
Nous trouvons obscène de s’attacher à tirer le portrait d’un salaud ; nous trouvons obscène, ce parti-pris suggestif; nous trouvons obscène cette manière de s’étendre et de louvoyer ; nous trouvons obscène cette capacité à trouver nous ne savons quel faux prétexte psychologique qui expliquerait la folie de l’homme ; nous trouvons obscène de détourner l’attention du public des vrais sujets que sont l’endoctrinement et la radicalité.
Nous trouvons obscène de ne pas dire les problèmes, de ne pas attacher l’importance qu’il faut au fond du sujet : le fanatisme.
Lorsque demain, probablement et hélas, un autre attentat frappera notre pays, que ne dira-t-on pas, de peur d’effrayer nos concitoyens et de vouloir être lucide quant à la réalité ?
Des fanatiques rodent. Ils ne sont pas fous. Ils sont mus par une idéologie criminelle : l’islamisme.
Et, c’est de cela dont nous devons parler lucidement.
Marc KNOBEL, historien, chercher, Directeur des Etudes du Crif