Pourquoi la primaire de la droite peut réserver des surprises (HuffingtonPost / RevueCivique)

Impressionnante, par définition imprévisible et, en cela phénomène très intéressant, la surprise s’est imposée comme un nouvel acteur politique. Explications.

Avant les résultats du 1er tour, samedi et dimanche derniers, les instituts de sondage semblaient avoir perdu leurs boussoles. Impressionnante, par définition imprévisible et, en cela phénomène très intéressant, la surprise s’est imposée comme un nouvel acteur politique. Comme au lendemain de l’élection de Trump, certains en ont déduit, à tort, qu’il fallait amplifier le procès en sorcellerie des instituts de sondages. Facile procès, comme celui des médias ou des politiques, à l’heure des vagues populistes qui invoquent le peuple contre des « élites déconnectées »…

On connaît la chanson mais, en France, les citoyens n’ont pas voulu entonner l’air d’un populisme trash à la Trump lors de ces primaires ouvertes de la droite et du centre. Même si Marine Le Pen engrange en silence les effets d’un trumpisme à la française – ce national-populisme qui se sert des peurs, de la xénophobie en particulier, comme de carburant -, à droite, celui qui a cherché à surfer le plus sur cette vague démagogique s’est, in fine, littéralement planté. Comme analysé ici, antérieurement, par l’auteur de ces lignes, l’électorat préfère l’original lepéniste, bien fixé sur Marine Le Pen et l’horizon 2017, à la copie sarkozyste qui, malgré des emportements gaulois et référendaires, n’a pas convaincu « le peuple de droite » qu’il a tenté d’hystériser. L’épisode de son entrée fracassante en campagne sur le provocateur Burkini des plages n’a démontré que l’usure d’un personnage qui, comme le canard à qui on a coupé la tête (en 2012) a continué de faire du Buisson sans Buisson, et même contre Buisson. Résultat : il a fini par chuter.

Et voilà, en ce dimanche 20 novembre un peu régicide, un François Fillon d’un seul coup propulsé en position de grand favori d’une primaire qui a mobilisé plus de 4 millions d’électeurs. Voilà une double surprise qui mérite une analyse complète. La participation massive, d’abord, a bien montré que les citoyens estiment toute occasion démocratique bonne à prendre pour peser sur les choix : de personnes et d’idées. Qui s’en plaindrait ? Il est d’ailleurs curieux, mais ce n’est pas du au hasard, que les mouvements situés aux extrêmes nationalisto-« souverainistes », partis les moins démocratiques dans leur fonctionnement, soient les seuls à ne pas avoir organisé de primaires pour sélectionner leur candidat pour 2017

Marine Le Pen ne craint-elle pas
le peuple de la droite extrême ?

Marine Le Pen, qui tente de faire croire à l’unité du FN derrière sa façade marketing, a pris garde de ne pas mettre un petit doigt dans une telle procédure démocratique. Craint-elle le peuple de la droite extrême contre l’élite qu’elle représente, elle et l’énarque Florian Phillipot ? Craint-elle une concurrence subite ? De sa nièce, voire du vieux père, Jean-Marie Le Pen qui, quoiqu’elle en dise, garde une place, non pas d’honneur dans son parti mais non négligeable chez une partie des électeurs, sudistes notamment, du parti d’extrême droite ?

Et Jean-Luc Mélenchon ? Pourquoi a-t-il très vite pris les devants pour autoproclamer sa candidature providentielle (contre ses camarades du PCF) et souligné que « jamais, non jamais! » il ne participerait à une primaire de la gauche socialiste, le PS étant d’avance coupable d’une affreuse dérive, celle d’une social-démocratie européenne débarrassée de l’idéologie ou du langage robespierriste, dont il fait son miel ? On le voit, les tenants du « peuple contre les élites » veillent à bien rester abrités, dans des postures validées par des congrès bien verrouillés.

Mais revenons à la deuxième surprise, du 1er tour de la primaire de la droite et du centre. Que représente-t-elle exactement ? Est-on sûr que la « vague Fillon » soit porteuse d’un contenu identifiable idéologiquement et programmatiquement, contenu qualifiable de « libéral conservateur »? On peut en tout cas douter d’une adhésion subite et complète à un homme et surtout à un corpus idéologique, resté assez flou dans l’opinion dimanche dernier.

Tapi dans l’ombre d’une relégation,
Fillon a subitement surgi

Inversement, on voit bien comment ce candidat lisse, et passe-muraille, a réussi un joli coup, un coup double d’ailleurs, en trouvant un très large espace entre les deux favoris annoncés, Sarkozy et Juppé. On voit bien, tapi dans l’ombre d’une longue relégation à la 4ème place, qu’il a subitement surgi comme l’homme d’un consensus, provisoirement en tout cas, qui a arrangé beaucoup de monde. On nous annonce un inévitable duel Sarkozy-Juppé ? Et bien les citoyens vont s’arranger dans le silence des isoloirs pour éliminer tranquillement le premier et détrôner le second de sa place de grand favori. Et voilà comment un phénomène bouleverse, en quelques jours, ce qui est apparu comme des pronostics imposés à une opinion devenue ultra-volatile.
Non pas que les instituts se soient trompés, encore moins qu’ils aient menti. Simplement, comme dans le cas de Trump, une partie des électeurs n’ont pas déclaré leur vote, jusqu’à la dernière minute de l’acte civique, y compris à leur entourage et peut-être à eux-mêmes. Comment des photographies sondagières peuvent-elles être nettes si les intentions de vote bougent si rapidement et tout le temps ? L’exercice photographique est d’autant plus compliqué que le corps électoral est lui-même fluctuant, mobile et surprenant.

Que va-t-il donc se passer, au tour final du 27 novembre ? Le phénomène Fillon est-il conjoncturel, surgissant le temps d’un 1er tour pour secouer l’ordre d’arrivée des finalistes ? Ou est-il, comme l’ont bien sûr aussitôt interprété les partisans de Fillon, un phénomène structurel, à la fois puissant au sein de l’électorat de la droite et représentatif de la France de 2017 ?
Ma thèse, mais j’avoue m’être senti un peu seul à l’avancer au soir du 1er tour (en l’occurrence sur le plateau de France 24), est que la très forte fluidité électorale n’a pas fini de se répandre. Elle est que Fillon a créé un effet de surprise qui peut le dépasser. Que la méconnaissance de son programme ne l’a pas empêché de faire un tel score au 1er tour mais qu’une partie de son contenu, qui commence à être dévoilé – par lui-même, ses partisans mais aussi par ses concurrents ou adversaires, de Manuel Valls à Marine Le Pen en passant, bien sûr, par Alain Juppé – peut limiter son attrait et même détourner de son nom une partie des électeurs qui trouvaient commode de le mettre simplement « à la hausse » pour le premier tour.

Il y a désormais pour Fillon
une « certaine place » au doute

Autrement dit, au-delà de la joie de bousculer les favoris et d’avoir éliminé Sarkozy, une partie des électeurs de Fillon vont-ils confirmer leur surprise, en transformant l’essai en vote d’adhésion à la personnalité et à son projet ? Force est au moins de constater qu’il y a une certaine place au doute. Cette « certaine place » ne peut être quantifiée, encore moins projetée sur le vote de 2ème tour qui, à la vitesse où vont les fluctuations, est impossible à « saisir ». Mais justement, c’est cette imprévisibilité partielle du vote que les acteurs et les observateurs sont désormais dans l’obligation de prendre en compte.

Nous assistons, là, à une petite révolution que les électeurs des primaires ont eux-mêmes pris plaisir à concocter : en retenant leur vote jusqu’au dernier jour, les citoyens ont bien vu que c’était en cela « leur » pouvoir, la meilleure manière de peser, une belle façon de prendre à contrepied les commentaires prédictifs, médiatiques ou politiques. Ce pouvoir là est devenu essentiel, c’est celui de citoyens très informés, très connectés, à l’affût jusqu’au jour du scrutin d’informations qui circulent (parfois des fausses et salissantes mais aussi beaucoup de vraies, portées par les sites qu’ils jugent référents et crédibles). Ce pouvoir-là, celui de maîtriser la surprise finale, rien ne dit que le candidat Fillon en sera le bénéficiaire, ni forcément la victime d’ailleurs.

Mais l’incertitude est bien présente. Elle continue de tourner autour des déterminants du vote, particulier pour chaque tour. Au second, il ne s’agira plus d’éliminer mais de choisir. En connaissance de cause ? Précisément, que connaissaient les citoyens de François Fillon le jour du 1er tour ? Avaient-ils connaissance de ses options essentielles ? Connaissaient-ils son degré de libéralisme en matière économique ? Connaissaient-ils précisément ses options sociétales, consistant par exemple à remettre partiellement en cause des dispositions de la loi sur le « mariage pour tous »? Connaissaient-ils sa proximité géopolitique avec l’autocrate du Kremlin, M. Poutine, qui a par exemple consisté pour M. Fillon à voter avec Jean-Frédéric Poisson une résolution parlementaire voulant suspendre les sanctions européennes appliquées à la Russie, quand celle-ci a militairement annexé la Crimée, aux portes d’une Ukraine qui cherchait à se tourner vers l’Europe et son idéal démocratique ?

Les électeurs du 1er tour se souvenaient-ils que l’ancien Premier ministre et collaborateur de Nicolas Sarkozy a non seulement accepté, cinq années durant, « la ligne Buisson » mais déclaré, après sa défaite en 2012, qu’entre un candidat PS et un candidat FN il faudrait non seulement ne pas choisir mais choisir « le moins sectaire »?! Pas étonnant que ce Fillon là ait pu voter, à propos de la Russie, comme le Poisson… pilote du FN, ce dernier ayant déclaré, en octobre dernier (à Valeurs Actuelles), sans qu’on trouve trace d’indignation filloniste, qu’il fallait mettre fin au « cordon sanitaire » qui sépare le FN du mouvement « Les Républicains »!

Tous ces éléments à fort contenu – l’économie, le sociétal, l’international et le politique (concernant notamment l’extrême droite) – sont, ou vont devoir être, éclaircis par les débats, notamment le fameux débat télévisé de jeudi soir. Mais tous ces éléments viennent déjà dire que les électeurs du 27 novembre ne les avaient pas en tête, le 20 novembre.

La chance de Juppé est
d’être délesté du rôle de favori

C’est la chance d’Alain Juppé d’ailleurs, peut-être la seule mais elle est de taille. Il n’a pas pour lui les ralliements opportunistes. Il laisse d’ailleurs avec plaisir à son concurrent le soutien de Nicolas Sarkozy, comme un cadeau empoisonné, ce soutien venant rappeler à l’opinion la fonction quinquennale occupée par François Fillon, et une proximité qu’il a cherché à faire oublier avec tant de virulence… Oui, la chance d’Alain Juppé est d’être délesté du rôle neutralisant de grand favori. Dimanche soir dernier, il l’a vite senti, il s’est tourné vers « ses » jeunes troupes pour dire que « si vous le voulez, comme je le veux », la « surprise » sera aussi celle du 2ème tour.

Bien sûr, lui-même ne peut en être certain. Mais preuve, dans le débat public, est déjà faite que c’est au favori Fillon de devoir rapidement éclairer les points obscurs de son programme et de ses options. Il est d’un seul coup placé sous tous les projecteurs et sur la défensive. On le voit bien aussi, et cela n’est pas vraiment une surprise : François Fillon n’aime pas cela. Inversement, dernière surprise apparente de cette période, on voit Alain Juppé, après une campagne de premier tour où il veillait à esquiver les coups martelés par Nicolas Sarkozy, désormais asséner des coups francs en direction du favori. Ce n’est pas une surprise pour ceux qui connaissent la combativité et l’endurance du Maire de Bordeaux.

Mais l’opinion, spectatrice de cet entre-deux-tours « projet contre projet », fait une découverte et cela participe de leur surprise. Cela n’est donc pas pour leur déplaire. Sachant que les citoyens, libres de leur vote final, ont horreur qu’un grand match soit « plié » à la mi-temps. Ils ont montré dimanche dernier qu’ils seront nombreux à attendre dimanche prochain pour arrêter leur choix définitif. Et, en conscience, désigner le vainqueur final du grand match.

Jean-Philippe MOINET
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Publié le 23/11/2016 sur Le Huffington Post