« L’effet de souffle » sur le clivage gauche-droite (tribune JP Moinet)

Dans cette tribune (publiée aussi par le HuffingtonPost) du directeur de la Revue Civique, Jean-Philippe Moinet, sont analysés et mis en perspective les résultats de l’Observatoire de la démocratie 2018, vaste enquête d’opinion réalisée pour La Revue Civique et la Fondation Jean Jaurès, par Viavoice (avec un groupe de quatre médias, Le Parisien, BFM TV, France Inter, La Presse Régionale). Le souhait massif des Français de dépasser le clivage gauche-droite est, à ses yeux, loin d’avoir été conjoncturel en 2017 :  nous assistons, écrit-il, en terme d’attentes des citoyens, à un phénomène puissant, « non pas de courte mais au moins de moyenne portée ». 

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Surprises. Il est des courants sous-terrain d’opinion, qui se transforment parfois en événement politique majeur, au bénéfice de phénomènes de décomposition progressive, qu’il est difficile de voir venir de loin. Et qu’il est encore plus difficile d’annoncer qu’ils vont se cristalliser sur une personne, un mouvement, une idée. Les variations saisonnières sont, en beaucoup de domaines, si rapides…

Cette tribune du fondateur de la Revue Civique, Jean-Philippe Moinet, a été publiée aussi par le #HuffPost, site d’informations et d’opinions à diffusion nationale et internationale

On le sait, l’année 2017 a été politiquement l’année de toutes les surprises, déroutant de fins acteurs politiques et de doctes experts sondagiers. Et c’est tant mieux! La question ne reste pas moins de savoir, neuf mois après un printemps de toutes les turbulences, si la vague Macron a été de pures circonstances, de simple conjoncture ou si elle est, dans ses impacts, d’une ampleur historique et de nature à restructurer durablement le paysage.

Une puissance enquête d’opinion, l’Observatoire de la démocratie 2018 parue ce jour donne (1) des éléments de réponses. Bien sûr, à 5 ou 10 ans, les événements politiques sont imprédictibles. Aucune certitude n’est possible, les accidents de parcours, en politique aussi, sont si vite arrivés. Mais une chose apparaît clairement, du point de vue de l’opinion, le printemps 2017 n’a pas été un simple vent rafraîchissant, traversant rapidement la France avant de repartir. Il a produit un véritable effet de souffle, un effet impactant qui n’est pas de courte mais, au moins, de moyenne portée. Et cet effet destructeur, pour le PS (surtout) comme pour LR (plus relativement), n’a peut-être pas terminé son œuvre.

Le net regain de positivité sur notre démocratie

Deux grands résultats de cette enquête d’opinion illustrent le propos. Le premier concerne l’assez spectaculaire hausse du sentiment des Français que la démocratie « fonctionne bien », ils sont désormais 54% à le penser: soit + 19 points par rapport à septembre 2016 (date de l’édition précédente du même Observatoire de la démocratie), et + 24 points par rapport à l’édition d’avril 2014! Un regain de positivité, pour le regard national – qu’on disait structurellement râleur en France – sur la démocratie, son fonctionnement, ses représentations. Cette nouvelle tendance concerne toutes les catégories de la population, qu’elles soient sociales, générationnelles ou politiques (à l’exception notable des électeurs de Marine Le Pen) le pensent majoritairement. Ce qui dément, sur ce point, la thèse d’une fracture par exemple entre « élites » et « peuple ». Et chez les plus jeunes (18-25 ans), le renversement de tendance est très spectaculaire: ils sont 61% à penser désormais que la démocratie « fonctionne bien » en France, soit un bond de 35 points en 16 mois !

Une tendance d’avant 2017, qui s’est amplifiée

Le deuxième élément de cette étude d’opinion, peut-être le plus important, concerne l’appréciation du clivage gauche-droite. Sur ce sujet, l’effet de souffle est éclatant. Emmanuel Macron avait senti la tendance, sans doute dès 2016 et même avant: il a surfé sur la vague des attentes de l’opinion en ce domaine, sans l’afficher démesurément d’abord, puis en le proclamant, enfin en l’incarnant et en l’organisant. En composant le gouvernement, dont il a confié la direction au fidèle d’Alain Juppé, Edouard Philippe. Et en lançant sa guerre éclair des législatives, avec son mouvement la République En Marche, sur cet axe devenu stratégique « et de gauche, et de droite ».

Aujourd’hui, le principe du dépassement du clivage gauche-droite n’est pas légèrement apprécié, il est très puissamment souhaité: les Français sont 75% à estimer que « faire travailler ensemble élus de gauche et de droite permet de prendre de meilleures décisions pour la France ». Pays en crise profonde – économique, politique, morale – depuis tant d’années. Syndrome du désir d’union nationale, et peut-être de sursaut collectivement espéré par ce biais. Sans être, loin s’en faut, tombé en béatitude en ce qui concerne la personne ou les mesures d’Emmanuel Macron et de son gouvernement, la mise en cause du clivage binaire, qui avait pourtant structuré et bipolarisé la vie politique française depuis le général de Gaulle, est manifeste et s’impose dans les souhaits majeurs des citoyens. Ainsi, autre question posée, 60 % des sondés estime que « le clivage gauche-droite doit être dépassé, car il n’est plus pertinent pour la vie politique française ». Inversement, ils ne sont aujourd’hui que… 21% à penser que « le clivage gauche-droite ne doit pas être dépassé, car il est important pour la vie politique ». 21 %! Le reste (29%) se réfugie dans le « ne répond pas ».

Cette donnée d’opinion ne date peut-être pas d’hier. Mais c’est son ampleur aujourd’hui, le grand écart qui s’est creusé entre les opposants au clivage et ses partisans, qui accrédite la thèse de l’effet de souffle. Elle constitue en tout cas un élément majeur d’appréciation, non seulement de l’état de l’opinion (qui peut être mouvante) mais aussi de la situation politique dans laquelle nous sommes en France: la recomposition en cours de la vie politique semble poussée par des feux puissants et durables, assez rares dans l’histoire, qui dépassent d’ailleurs la personne de ceux qui en sont l’incarnation. Le rejet du clivage « d’avant » en est l’un des moteurs, mesuré aussi dans cet Observatoire.

Un moteur citoyen pas prêt de s’arrêter

Rien ne dit que ce moteur va tourner en haut régime pendant 10 ans. Mais ce moteur d’attente de l’opinion, indépendamment d’Emmanuel Macron, de ses équipes, et même pour partie de sa politique, n’est pas prêt de s’arrêter. Cette aspiration citoyenne à dépasser ce qui fracturait a même pris, sous l’effet du printemps 2017 et depuis ce déclic événementiel, une sorte de carburant supplémentaire qui, comme une dopant, a renforcé son énergie.

Bien sûr, des contestations vont voir le jour, des imprévus enrailleront sans doute un jour la Macronie en marche, les résultats de la politique menée vont être mesurés d’ici un an, et les oppositions diverses, éclatées, vont tenter de se reconstituer, par étapes. Mais elles sont loin de commencer à former un bloc cohérent. C’est leur problème. D’autant que le dépassement du clivage ne convient pas à leur logiciel. Sauf au FN qui, pour sa part, est entré depuis la fin du printemps dernier dans un cycle politique dépressif et de dispersion. L’effet de souffle semble donc pouvoir s’exercer encore, pour quelques saisons.

  1. L’observatoire de la démocratie, vaste étude Viavoice pour La Revue Civique et la Fondation Jean Jaurès, avec Aujourd’hui en France-Le Parisien, BFM, France Inter et La Presse Régionale (Upreg). Résultats complets aussi sur : www.revuecivique.eu

Jean-Philippe MOINET

Fondateur de La Revue Civique, chroniqueur

Twitter : @JP_Moinet

(janvier 2018)

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