UE, transition sensible entre la présidence belge et hongroise: entre fébrilité et prospective. Par l’Atelier Europe.

Le think tank « Atelier Europe » était récemment en voyage d’atudes à Bruxelles. Trois jours et une douzaine de rendez-vous dans la capitale européenne, où la météo ne fut pas clémente mais où l’effervescence des idées fut au rendez-vous. Découvrons, avec le texte rédigé par ce think tank pour la Revue Civique ici, comment Bruxelles se prépare, avec fébrilité mais aussi créativité, aux prochaines échéances que sont les élections européennes de juin prochain et comment, après la présidence belge du Conseil de l’Union Européenne, raison de cette visite, tous les regards se tournent déjà vers la présidence hongroise et les nominations aux « top jobs » qui auront à incarner la prochaine législature jusqu’à la fin de la décennie.

1. Économique, social et environnemental : la fin d’une époque ou l’héritage fragilisé d’un équilibre institutionnel

Première raison de notre voyage d’étude, la 10e présidence belge du Conseil de l’UE, à mi-chemin selon le calendrier, est en réalité déjà arrivée à son terme avec la dernière plénière au Parlement européen fin avril. Lors d’une conférence de presse, le Premier ministre belge Alexandre de Croo s’est félicité des avancées sur un ensemble de 160 dossiers législatifs, avec d’ores et déjà 60 accords politiques au 15 avril.

La Belgique, inspirée par une forte culture du compromis, semble avoir aligné les traditionnelles priorités fixées par l’État en charge de la présidence du Conseil, sur les principales attentes des citoyens, exprimées à travers les enquêtes Eurobaromètre, à quelques mois des élections européennes.

Plusieurs « agenda » se superposent :

  • L’agenda des textes, jalonné notamment par l’adoption – critiquée notamment par des ONG comme Amnesty International – du pacte sur la migration et l’asile ou la présentation de la toute première stratégie industrielle de défense européenne, qui sera négociée par la prochaine mandature, pour n’en citer que quelques-uns ;
  • L’agenda de la présidence, qui vise à promouvoir des priorités en dehors de l’exercice institutionnel avec la volonté de construire une dynamique, un moment de réflexion. A travers plus de 2 500 événements, avec la société civile organisée, elle cherche à penser les politiques européennes à long terme, en mettant notamment l’accent sur le dialogue social et un deuxième pilier industriel au Green Deal.

Une présidence belge vécue au fond comme un « bain de réalisme » pour les parties prenantes, engagées à conclure la fin d’un cycle de cinq ans, avec échecs et succès au compteur.

Mais ce qui nous intéresse également, à travers cette présidence, c’est le bilan et les perspectives de cette mandature et de la suivante. A la fin d’un cycle politique, classique pour toute démocratie sanctionnée par des élections, se superpose, dans l’UE aujourd’hui, la fin d’une époque de relative intelligibilité des forces en présence et de dynamiques politiques prévisibles au sein des institutions européennes et en particulier au Parlement.

Au long des cinq années passées, tandis que la composition du Parlement européen restait fidèle aux résultats de juin 2019, le flux des élections nationales représentant en moyenne un scrutin par mois, conduisit petit à petit à y accueillir des élus classés plus à droite – disons par euphémisme, moins familiers et plus critiques de l’Europe.

Un nouvel équilibre globalement plus à droite se confirme dans les intentions de votes, à travers les différentes enquêtes d’opinion, mais surtout les projections pour la composition du futur Parlement européen. Ces évolutions électorales, dont le Parlement européen va connaître l’ampleur véritable dans quelques semaines, n’ont pas été sans conséquence d’ores et déjà au cours de la mandature. En témoignent notamment des changements sur la loi relative à la restauration de la nature par exemple et l’abandon d’une partie des ambitions du Green Deal.

Au Parlement européen, un exercice d’équilibrisme, voire de funambulisme, entre quatre groupes PPE, Renew, S&D (sociaux-démocrates) et écologistes

Une nouvelle configuration politique peut être extrapolée pour « l’après » élections :

  • Avec un centre de gravité plus à droite, le groupe PPE, la droite européenne classique, de centre-droite, premier groupe, dont les projections électorales annoncent un léger tassement, devra compter sur des voix plus à sa droite si la candidate à sa propre succession Ursula von der Leyen, Spitzenkandidate et le président du groupe Manfred Weber veulent poursuivre leurs fonctions. Ceci, compte-tenu de l’affaissement conjoint annoncé des groupes du centre (Renew), du centre-gauche (S&D) et des écologistes, tout en visant à leur permettre de représenter à tous les quatre la majorité pro-européenne. Un exercice d’équilibrisme, voire de funambulisme…
  • C’est là que le groupe des Conservateurs et Réformistes Européens (ECR), initialement fondé par les Tories britanniques et totalement intégré au jeu des négociations parlementaires, ayant complètement changé après le Brexit, pourrait être à la charnière de la prochaine mandature, en réunissant les diverses forces politiques déjà représentées au Conseil de l’UE, tandis que le groupe Identité et Démocratie (ID) continuerait à coaliser les partis d’extrême-droite qui s’excluent du jeu parlementaire.

Par ailleurs, se pose aussi la question d’une remise en question des modalités de démocratie participative et délibérative au sein de l’UE, avec le relatif échec d’une forme d’intelligence collective institutionnelle en raison d’une trop faible crédibilité des dispositifs de consultation des citoyens. Dans la foulée de la conférence sur l’avenir de l’Europe, la multiplication des consultations citoyennes par la Commission européenne fait s’interroger quant à la volonté d’instrumentaliser la parole des citoyens, contrôlée par des experts insuffisamment représentatifs et indépendants, au bénéfice de priorités politiques préétablies.

2. Nouveau monde et nouvelle donne : le besoin de sécurité et d’exemplarité

En fonction de l’ampleur des résultats électoraux, la poursuite de la politique européenne, fondée sur des compromis visant à faire avancer un modèle de développement durable, social et responsable, pourrait être remise en question, alors que des défis sans cesse plus cruciaux menacent la survie de l’Europe.

Il s’agit bien évidemment de la question climatique, mais de façon plus présente encore, du choc de la guerre en Ukraine, qui impose une cure de réalisme aux institutions européennes et les oblige à prendre une série d’initiatives pour faire face aux menaces géopolitiques.

Dès lors, le triangle institutionnel des Conseil, Commission et Parlement doit évoluer pour embrasser pleinement une logique de défense. Sur le plan institutionnel, la proposition d’un Commissaire pour la Coopération en matière de défense, de même que l’évolution vers une commission parlementaire dédiée aux sujets de défense vont dans ce sens. Mais surtout, c’est d’un ensemble d’actions dont nous avons besoin pour renforcer la base industrielle et technologique de défense, la production renforcée d’armements et de munitions, la facilitation de la mobilité militaire, des transports et de la logistique, avec une sorte de Schengen de la défense, la création d’une DARPA européenne pour la recherche, etc. Même si en la matière, il a déjà été fait davantage en deux ans de guerre en Ukraine que sur les vingt dernières années, le but, qui reste à définir, est loin d’être atteint.

L’application stricte de la règle de l’unanimité – contestée – donne, de fait, à la Hongrie de V Orban un droit de blocage et de chantage

Sur un autre plan se pose la question lancinante de la règle de droit, du respect de la lettre et de l’esprit des traités. En dépit de toutes les régulations en place, les décisions souffrent d’un déficit dans leur application, en raison notamment d’un défaut structurel relatif à la règle de l’unanimité. Celle-ci permet par exemple à un État-membre, la Hongrie pour ne pas la nommer, d’exercer un chantage : la réception pour elle des fonds européens du plan de relance en contrepartie du financement du soutien à l’Ukraine – une décision pour laquelle le Parlement européen poursuit en justice devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) la Commission européenne.

En la matière, l’Union européenne a besoin d’une approche holistique de la règle de droit pour faire respecter les choix de la société civile, la pluralité et la liberté des médias, les décisions de justice et tous les droits fondamentaux. Elle a aussi besoin d’une réforme interne puisque les responsables politiques ayant un mandat dans les institutions de l’UE ne sont pas exempts d’être pris en défaut. Bien qu’elle ne fasse partie ni du mandat, ni des traités, ces dérives devraient être sanctionnables, au moins avec un code de conduite contraignant, au mieux avec un organe indépendant et transparent.

La remise en question des acquis de la règle de droit, ses principes, sa légitimité et son contrôle des institutions par certains gouvernements, offre l’opportunité de mettre au défi toutes les institutions pour en sortir par le haut avec une réforme assise sur un projet d’avenir susceptible de redonner confiance dans la construction européenne à ses artisans et aux citoyens.

3. Un moment pivot entre jalons institutionnels balisés et saut dans un inconnu sous relatif contrôle avec la présidence hongroise

Pour le calendrier immédiat des prochaines étapes, il s’agira de suivre attentivement d’une part les sommets des chefs d’État et de gouvernements chargés de s’accorder sur les quatre personnalités obtenant les présidences de la Commission, du Conseil européen, du Parlement et le poste de Haut-Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Un premier sommet aura lieu le 17 juin, puis un second décisif les 27 et 28 juin.

En ce qui concerne la présidence hongroise du Conseil de l’UE, toute les conjectures, à ce stade sont possibles. Victor Orban pourrait se retrouver en position de féliciter un Donald Trump élu en novembre prochain, même si cette présidence n’exerce aucune autorité, ni représentativité, sur la politique extérieure de l’UE selon les traités.

Le risque d’un grand ralentissement de la très prochaine présidence hongroise de l’UE

Mais, considérons la question du calendrier, déjà évoquée, puisque sur la période des six mois de présidence hongroise au second semestre, la nouvelle Commission, une fois tous les Commissaires auditionnés et approuvés au Parlement européen, ne devrait pas se mettre officiellement en place avant fin octobre, début novembre, ce qui laisse sous l’angle du programme législatif très peu de temps jusqu’à fin décembre, sans compter que toutes les législations que la présidence hongroise souhaiteraient mettre de côté pourront être reprise dès la présidence suivante début 2025, avec un préjudice de délai relativement raisonnable. Certains en seront pour leurs frais, mais il ne semble pas qu’il faille s’inquiéter outre-mesure pour la partie institutionnelle de la présidence, tout en restant vigilant, bien entendu.

4. Une nouvelle méthode : la nécessité d’une intelligence collective renouvelée

Pour la suite, se pose la question de la méthode d’engagement des citoyens. Comment assurer de meilleures conditions pour une bonne délibération, ce dont souffre l’Union ? Plusieurs tentent de trouver des réponses.

La créativité injectée dans les affaires publiques peut constituer une voie audacieuse en vue de se doter d’une vision fédératrice partagée, qui dépasse les clivages. Cette école dite de la participation, face à la démocratie représentative et à ses limites, exploitées au nom du ressentiment par des « ingénieurs du chaos » lors des campagnes électorales, ne peut sans doute à elle-seule sauver l’Europe.

Une réflexion prospective à favoriser pour faire émerger un nouveau contrat social européen

Une dose de démocratie directe au sens d’un transfert aux citoyens de nouvelles responsabilités fait partie des pistes envisagées par certains pour faire revivre la démocratie européenne. Trois idées simples pour changer : un budget européen participatif, à hauteur de 25% des investissements européens ; une commission parlementaire du futur, composée d’un panel de citoyens avec un pouvoir de saisine et de contrôle ; un sondage délibératif avant chaque discours sur l’état de l’Union du président de la Commission pour faire avancer à chaque fois un sujet éthique ou sociétal.

L’engagement des citoyens pourrait également se traduire par une réflexion prospective autour de mégatendances et de scénarios de plusieurs fictions pour le futur de l’UE, permettant de redéfinir la relation entre la politique, les citoyens et la société autour d’un nouveau contrat social pour l’Europe. Cela déboucherait sur une coalition de parties prenantes, faisant communauté et participant à la définition de nouvelles priorités ainsi qu’à un mécanisme annuel de révision des actions réalisées et des nouveaux besoins à prendre en compte.

5. Un changement « radical » au service d’un projet de compétitivité pour l’Europe

Sur quelle base l’avenir du projet européen se dessine-t-elle ? Avec un exercice très européen de compétition à travers la publication de deux rapports concomitants, c’est finalement le cœur du programme stratégique et la feuille de route que le Conseil européen adoptera comme repère pour le futur programme de travail de la Commission européenne qui se dessine enfin :

  • Le rapport publié par Enrico Letta, ancien premier Ministre d’Italie, sur le marché intérieur, commandé par le président du Conseil européen Charles Michel pour, selon les persifleurs, illustrer les lacunes du bilan de la Présidence von der Leyen. Son auteur présente ses réflexions non pas comme une Bible, mais comme une boîte à outil, avec une approche modeste et pragmatique, sans révision des traités. L’enjeu vise à renforcer la circulation des capitaux pour investir l’épargne des Européens vers des projets de transition dans une dizaine de secteurs stratégiques clés comme l’énergie, les télécommunications ou le numérique – un sujet hyper-technique mais des effets macro-majeurs.
  • Le rapport attendu de Mario Draghi, ancien Président de la BCE, sur la compétitivité de l’Europe, commandé par Ursula von der Leyen qui s’est déjà prononcée en sa faveur (« ses conclusions seront les miennes »), sans peut-être anticiper sur le fait que son auteur fait déjà quasi ouvertement campagne pour reprendre son poste à la tête de la Commission européenne. Avec une vraie vision pour l’avenir de l’Europe et une personnalité crédible et rassurante, qui pourrait coaliser de nombreux pays intéressés par un programme d’investissements massifs pour la réindustrialisation de l’Europe dans les transitions.

Finalement, face aux bouleversements auxquels fait face l’Europe, le plus important ne serait-il pas de réussir à aligner autour d’un projet commun, ambitieux et nécessaire, à la fois les intérêts des États-membres, les voix des eurodéputés de quasi tous bords et surtout les valeurs de la construction européenne ? A suivre dans les mois à venir.

ATELIER EUROPE

(article collectif pour La Revue Civique rédigé par ce think tank; Président, Aymeric BOURDIN, Secrétaire général, Michaël MALHERBE)

(31/05/2024)

-L’Atelier Europe