Une stratégie européenne face au risque protectionniste de Trump

Elvire Fabry, spécialiste des questions internationales et chercheuse à l’Institut « Notre Europe » Jacques Delors , nous propose une analyse des conséquences de la future politique commerciale protectionniste de l’Administration Trump. Qu’il applique la totalité de ses promesses ou juste une partie (ce qui est plus que probable),  il est certain que ses décisions façonneront l’avenir à moyen terme de tous les partenaires des Etats-Unis, autant pour les entreprises que pour les administrations publiques ou les consommateurs.

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Nombreux sont les signes qui permettent d’entrevoir des scénarios protectionnistes, quoique très variables selon l’éventail de mesures adoptées et leur champ d’application, explique Elvire Fabry : la « priorité nationale », sa volonté de redresser le déficit commercial des Etats-Unis ou la rhétorique belliqueuse contre les « concurrents déloyaux » en sont l’exemple. Même s’il est assez évident que les mesures unilatérales agressives que le Président américain souhaite introduire constitueraient une sorte de playing dirty (sale jeu), personne ne peut nier le niveau de perturbation pour le commerce mondial d’une telle approche. Les Européens seraient les plus affectés car les Etats-Unis sont la première destination d’exportation pour eux (20,7% en 2016); l’UE est le deuxième importateur des Etats-Unis (384 milliards de dollars en 2016) derrière la Chine (434 milliards de dollars).

Rien n’est écrit et une approche moins agressive semble l’option devenue la plus réaliste étant donné que les velléités protectionnistes de Trump ne font pas du tout l’unanimité au parti républicain, majoritaire au Congrès. Surtout, le projet de taxe d’ajustement aux frontières, qui pénaliserait les importations, entraînerait des risques pour le commerce intérieur aux Etats-Unis car les produits coûteraient d’un coup plus chers (en même temps que les exportations américaines seraient touchées par des mesures de « représailles » des pays destinataires des produits américains): raison pour laquelle cette réforme suscite un conflit à la Maison Blanche entre les nationalistes agressifs, les anciens de Goldmann Sachs et les défenseur du commerce libre-échangiste, sans parler de l’opposition frontale des grands importateurs et de certaines filières exportatrices du pays.

Quoi qu’il en soit, les Européens doivent agir et prendre leurs gardes. Même s’il est évident que la négociation du TTIP (traité transatlantique de libre-échange) va être suspendue durablement, souligne Elvire Fabry, il serait souhaitable d’amorcer une concertation sectorielle sur le volet de la coopération réglementaire. Pourtant, Bruxelles devra tenir compte des craintes que ce chapitre avait déjà suscitées dans la société civile européenne. En outre, l’enjeu le plus décisif pour les Européens, affirme l’auteur, serait « une atteinte au multilatéralisme portée par la politique commerciale de Trump » car, à la différence de la Chine, « le poids géopolitique de l’UE est difficilement mobilisable dans un rapport de force avec Washington en raison du déséquilibre existant entre l’intégration économique de l’UE et son niveau d’intégration politique ». Autrement dit, l’absence d’unité de décision politique de l’Europe jouerait clairement en sa défaveur, malgré sa puissance économique.

« Une assurance anti-protectionnisme américain »,

mobilisant avec l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique Latine ?

Ainsi, l’UE doit-elle s’atteler à préserver le rôle d’arbitrage indépendant de l’OMC dans les conflits commerciaux, c’est-à-dire, préserver la légitimité même de l’organisation multilatérale qui repose moins sur un cadre juridique que sur la diplomatie, par l’acceptation par tous du résultat de chaque contentieux. Cet équilibre fragile sur lequel se régule le système commercial mondial est mis aujourd’hui en cause. Il est aussi impératif que le Conseil européen adopte un nouveau système de calcul des droits antidumping préparé par la Commission européenne pour continuer à défendre de manière équivalente le marché européen. Cet engagement de la Commission en matière commerciale devrait aller, ajoute cette experte, jusqu’à souscrire une assurance anti-protectionnisme américain à travers la formation d’une coalition qui mobilise l’Asie, l’Afrique et l’Amérique Latine, « dans la lignée de l’initiative prise par Angela Merkel d’une déclaration contre le protectionnisme, signé le 10 avril dernier avec les responsables de l’OMC, du FMI, de la Banque mondiale et de l’OCDE ».

Une autre question essentielle concerne la décision américaine de baisser l’impôt sur les sociétés (IS) à 15%, tentation également forte au Royaume Uni dans le contexte du Brexit. Cela risquerait de créer de fortes tensions au sein de l’UE, surtout si certains États membres tentaient d’y répondre en ajustant leur propre IS. Une baisse non concertée de l’IS au sein de la zone euro provoquerait une forme de dévaluation interne qui raviverait les discordes. Pour une raison de simple efficacité, les Européens devraient donc s’atteler à préparer une harmonisation de l’impôt sur les sociétés et à répondre ainsi de manière cohérente aux Etats-Unis.

Finalement, sur le volet sécuritaire, la pression que le Président Trump exerce aujourd’hui sur les Européens n’est pas négligeable quand il demande qu’ils portent leur niveau de dépenses militaires à 2% du PIB pour rehausser la contribution financière européenne à l’OTAN par rapport à celle des Etats-Unis. Une pression qui est aussi une opportunité: les Européens peuvent y voir l’occasion de devenir plus autonomes et puissants.

Il apparaît quoiqu’il en soit à cette chercheuse que les Européens doivent agir maintenant. Bruxelles, en tant que capitale européenne, doit accélérer, explique Elvire Fabry, les négociations bilatérales avec les autres zones du monde. Ainsi, si Trump décide de réorienter effectivement son pays vers un protectionnisme nuisible aux intérêts de l’UE, l’Europe doit être prête à renforcer, avec d’autres grands pays, son rôle d’alternative porteuse des avantages du libre-échange et de l’ouverture au monde.

Comme le dit cette chercheuse de l’Institut Jacques Delors, « le retour à une approche mercantiliste de la politique commerciale américaine, avec sur des accords favorables aux intérêts américains au détriment d’une régulation du commerce mondial qui favorise la lutte contre le changement climatique et le respect des droits humains et sociaux » peut conduire les Européens, s’ils savent saisir cette opportunité, «à assurer un leadership mondial dans la promotion d’accords commerciaux comprenant des normes environnementales et sociales exigeantes ».

Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ

(avril 2017)

► L’analyse complète: Trump Trade : plus de peur que de mal ?, par Elvire Fabry de l’Institut Jacques Delors – Notre Europe de Paris (en français)

Défendre l’Europe pour défendre la vraie souveraineté, par Thierry Chopin directeur des études de la Fondation Robert Schuman (en français)

Les Européens face à l’Oncle Trump : un risque et une opportunité, tribune par Enrico Letta, Yves Bertoncini, Nicole Gnesotto, Elisabeth Guigou, Javier Solana et al., publiée par l’Institut Jacques Delors – Notre Europe de Paris (en Français)