Véronique Cayla et Michèle Cotta: audiovisuel, le pouvoir au féminin

Véronique Cayla (Photo© Miguel Medina) et Michele Cotta

Le témoignage de deux grandes dames de télévision : Véronique Cayla, Michèle Cotta… l’une est LA seule Présidente de grande chaîne de télévision (ARTE), la deuxième a été LA première femme à exercer des postes de direction dans l’audiovisuel et est une grande journaliste… toutes deux sont des femmes de pouvoir dans un monde qui reste très masculin. D’où la question de la Revue Civique : les femmes de pouvoir dans l’univers audiovisuel sont-elles « des hommes comme les autres » ? Entretien mené par Émilie Aubry.

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La REVUE CIVIQUE : Quel est votre plus grand souvenir de « machisme avéré » dans votre carrière audiovisuelle ?
Véronique CAYLA : J’ai mis beaucoup de temps à passer de numéro 2 à numéro 1. J’ai longtemps vécu agréablement à l’abri d’un homme, derrière un homme, content de m’avoir à ses côtés et protecteur ! Il a fallu que le nouveau patron de la Vidéothèque de Paris, que j’avais conçue avec Pierre Emmanuel et Jean Musy, me cause bien des soucis pour que je me batte pour le remplacer. Il y avait beaucoup de mépris, de misogynie dans son attitude à mon égard, et je crois que c’est cela qui m’a motivée, beaucoup plus que le désir de pouvoir.

Michèle COTTA : Le jour où un de mes employeurs m’a dit que je travaillais comme un homme. C’était un compliment, bien sûr. Et puis aussi le jour où j’ai été accueillie, dans les années 1975, par le directeur d’une grande station de radio, qui pourtant, sans doute parce qu’il n’y avait pas d’homme sur le marché à ce moment-là, avait décidé de m’engager : « Ce qui est embêtant, à la radio, c’est que vous ayez une voix de femme. Dans la presse écrite, on peut le cacher, mais à la radio c’est impossible ! Dommage. »

Le fait d’être une femme a-t-il servi ou desservi votre parcours ?
Véronique CAYLA : Les deux : quand on est la seule femme dans un monde d’hommes, on attire plus aisément le regard, on attise davantage la curiosité et il est donc plus facile de se faire remarquer. Mais se faire remarquer ne suffit pas, c’est après que tout se complique, c’est après qu’il faut en faire deux fois plus que les hommes et sans cesse faire ses preuves ! Tout comme il faut batailler pour faire admettre aux hommes qu’on n’est pas une catégorie à part, qu’on n’a pas plus besoin que les hommes d’être protégées, qu’on peut, nous aussi, être indépendantes et prendre des décisions ! Il faut se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, on ne laissait aucune chance aux femmes de vivre leur liberté puisqu’on considérait, que, de par leur destin biologique, elles en étaient incapables, qu’elles étaient donc vouées à être assujetties par nature. Ainsi, elles ne disposaient pas d’autonomie financière et devaient s’en remettre systématiquement à l’autorité et au consentement de leur mari, pour ouvrir un compte bancaire, pour exercer une activité salariée ou encore pour gérer leurs biens propres… Cette manière de nier la subjectivité des femmes et leur aptitude à agir et penser le monde, de les chosifier, d’en faire des êtres dépourvus de pouvoir de transcendance laisse forcément des traces dans la conscience collective masculine… et féminine.
Mais comme je le disais, je crois que tout cela a été un moteur dans ma vie professionnelle ! Car le fait de ne pas avoir droit à l’erreur nous oblige à ne rien laisser au hasard, à nous préoccuper des détails si souvent méprisés par les hommes. Et ainsi, cette « faiblesse » est sans doute devenue une force qui m’a permis de me construire professionnellement, et personnellement d’ailleurs, et d’avancer.

Ne rien laisser au hasard

Michèle COTTA : Servi ou desservi d’être une femme ? Bizarrement, les deux. Cela m’a beaucoup desservie au début de ma vie professionnelle, entre 20 et 30 ans. Je voulais faire du journalisme politique, ce qui a été longtemps, et l’était encore (ce n’est plus le cas), réservé aux hommes : difficile de démontrer, à l’époque, ma crédibilité. J’avais tous les diplômes nécessaires (licence, Sciences Po, doctorat de sciences politiques) mais, dans l’esprit des hommes politiques, mon âge et mon sexe ne cadraient pas avec mon emploi. J’avais eu la chance, à L’Express, avec Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan Schreiber, d’avoir des patrons qui faisaient confiance aux femmes et m’avaient, ainsi qu’à d’autres, donné ma chance. Il a fallu que je la mérite. Plus tard, les choses se sont arrangées. D’abord, parce que mon obstination dans le journalisme politique a été sans faille pendant vingt ans. Que j’ai monté des marches, progressivement, malgré l’idée, qui restait dans l’esprit de certains qu’une femme valait la moitié d’un homme. J’ai travaillé d’ailleurs deux fois plus. Et puis, mettons qu’après, lorsque j’ai été nommée a des postes élevés, à la Présidence de Radio-France, la « discrimination positive » en faveur des femmes m’a aidée… Autant les premières années m’ont paru difficiles, autant, par la suite, je n’ai pas été confrontée, dans les différents postes que j’ai occupés, au « machisme avéré ». Personne n’a plus remis en cause ma crédibilité. Ou alors, je ne m’en suis pas aperçu. A moins que, un certain féminisme étant désormais de rigueur, personne ne se soit senti le droit de protester.

Comment jouer habilement de cette « différence » ?
Michèle COTTA : En ne jouant pas, justement. L’essentiel est de rester naturel. C’est d’ailleurs le plus difficile. Ne pas tenter de jouer la virilité : cela ne convainc personne, donc ne sert à rien, sinon à une affectation qui ne correspond pas à votre personnalité. Ne pas tenter de séduire, non plus, ne pas le faire au charme – même s’il arrive aussi que les hommes le fassent ! Surtout ne pas minauder. Il faut, il me semble, être ce que l’on est, sans changer son comportement. Beaucoup de choses en réalité sont interdites à une femme. Manifester sa colère, par exemple : un homme qui réprimande vivement un collaborateur ou une collaboratrice, est autoritaire, une femme est une mégère. Un homme qui balance ses parapheurs par terre est légèrement énervé, une femme est jugée caractérielle ou névrosée. Un homme qui crie hausse le ton, une femme perd ses nerfs. Sans oublier sa voix, qui parfois, s’égare vers trop d’aigu… Rester naturel, donc. Si cela ne plait pas, tant pis.

Véronique CAYLA : C’est délicat. Il y a toujours ce cliché pénible qui colle à la peau des femmes qui veut qu’une femme, pour réussir, doit être séductrice ou plutôt que si elle réussit c’est grâce à sa séduction, comme si cela ne jouait pas pour les hommes ! Je pense qu’il y a un équilibre subtil à trouver : il ne faut surtout pas tomber dans un réflexe de virilisation et en même temps il ne faut pas se laisser faire, ne pas se laisser cantonner à un rôle décoratif ! Ne pas accepter non plus au quotidien, dans le langage courant, d’être dévalorisées, rabaissées au second plan, en coulisses ; « comment dit-on Député au féminin : suppléante » ! Ce genre de choses par exemple qu’on entend de temps en temps, sous prétexte d’humour, mais qui sont souvent aussi banalisées… Ou encore « la féminisation de la société, et notamment de la sphère politique, a coïncidé avec l’affaiblissement du pouvoir politique »… Et j’en passe… Ce qui est certain, c’est qu’en tant que femme, il faut sans cesse « surprouver » ses compétences, sans cesse se justifier. J’aime bien la fameuse citation de Françoise Giroud qui disait qu’elle mènerait son combat pour l’égalité « jusqu’à ce que des femmes incompétentes puissent occuper des postes de direction comme les hommes le font. » Globalement, on est plus exigeant avec les femmes comme si leur situation ne relevait pas de l’évidence ! Alors du coup c’est vrai qu’il faut beaucoup travailler, s’accrocher mais aussi avoir du recul et un peu d’humour sans jamais pour autant se résigner !

Y-a-t-il une manière « féminine » de diriger, d’exercer le pouvoir ?
Michèle COTTA : On m’a souvent posé la question lorsque j’étais uniquement journaliste : y a-t-il une vision de la vie politique différente selon que l’on est un homme ou une femme. J’ai toujours répondu que non, qu’un éditorialiste et une éditorialiste pouvaient avoir des réactions et des tempéraments semblables et qu’en revanche, deux femmes pouvaient ressentir les choses d’une manière différente. Rien ne m’énerve davantage que l’affirmation : les hommes sont plus synthétiques, les femmes plus analytiques. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Dans les postes de responsabilité aussi, je pense qu’il n’y a pas deux, mais cent façons différentes d’exercer le pouvoir. Disons que j’ai toujours remarqué que les femmes avaient une plus grande faculté d’écoute, qu’elles pratiquaient volontiers la concertation, croyaient à l’échange, qu’elles recherchaient l’accord du plus grand nombre avant de prendre une décision. Mais il y a des hommes qui se comportent, lorsqu’ils sont aux manettes, de la même façon. Il n’y a pas, d’un coté, des femmes consensuelles et des hommes brutaux. La diplomatie n’est pas le seul apanage des femmes. Reste que je n’ai jamais oublié un conseil, qui m’a été donné lorsque j’ai été nommée à la tête d’un organisme audiovisuel, de surcroit par un leader syndicaliste : « Prenez les décisions que vous voulez, on discutera, on protestera, on négociera. Mais surtout, n’ayez jamais l’air d’hésiter : on prendrait cela pour de la faiblesse. »

Véronique CAYLA : Je ne sais pas s’il y a une « manière féminine » d’exercer le pouvoir. Nous avons peu de recul encore car les femmes ont été trop longtemps mises à l’écart des postes de direction. Et puis, je ne voudrais pas non plus tomber dans des explications trop « essentialistes ». Mais je constate en tout cas, au quotidien, que les femmes qui exercent un pouvoir font preuve d’une plus grande capacité d’écoute et de dialogue, et d’un plaisir plus marqué à travailler en équipe et à créer du consensus. Mon meilleur atout, finalement, c’est d’aimer être chef de bande !

Être une guerrière de tous les instants

Être une femme dans cet univers là… cela suppose-t-il d’être « un guerrier » ?
Véronique CAYLA : Oui, cela suppose même d’être « une guerrière » et une guerrière de tous les instants, pour empêcher les hommes qui sont au dessus de vous (et il y en a toujours) de vous traiter avec condescendance, de vous enfermer dans des préjugés, de vous faire des petites remarques ici ou là ou des plaisanteries continuelles qui peuvent paraître anodines mais qui sont loin de l’être ! Du coup, être une femme peut vous rendre plus combative et plus déterminée à déjouer les pièges du machisme et de la misogynie ! C’est comme si finalement le fait d’être une femme pouvait permettre de s’accomplir de manière encore plus pleine et aboutie, ce qui donne toute sa force et tout son sens au « devenir femme » de Simone de Beauvoir.

Michèle COTTA : Oui, si être guerrier suppose beaucoup de résistance, physique et intellectuelle, beaucoup de volonté, et beaucoup d’obstination. Sans oublier de déjouer les pièges tendus, et, éventuellement, d’en tendre. Et en démontrant aussi chaque jour sa force de dissuasion : que personne ne lâche la première attaque atomique, sinon, je réplique plus fort.

Michèle Cotta, racontez nous une nouvelle fois toutes ces « premières fois » que vous avez vécues : la première fois qu’une femme a animé un grand débat politique à la télévision, la première fois qu’une femme-journaliste s’est imposée dans les Palais de la République, dans des postes hiérarchiques etc…
Michèle COTTA : Pardon si je vous déçois, mais je n’ai pas souvent été première. Le premier grand débat public présidentiel en 1974, beaucoup l’ont oublié, a été conduit pas Jacqueline Baudrier, aux côtés d’Alain Duhamel. Lorsque, avec Jean Boissonnat, j’ai été choisie d’un commun accord par les deux candidats en 1981, je n’étais donc pas la première femme à animer le devenu traditionnel débat de l’entre deux tours. Même chose à Radio France, ou la même Jacqueline Baudrier m’avait précédée. En revanche, j’ai eu l’impression, à la Haute Autorité de la communication, d’innover : il s’agissait de créer un nouveau droit, celui de l’audiovisuel en mutation, Il s’agissait aussi, selon la formule, de couper pour la première fois le cordon ombilical entre le pouvoir et la télévision. Ce n’était pas être dans un palais de la République. C’était au contraire exercer, ou tenter d’exercer, un contre-pouvoir. Voila pourquoi je m’y suis sentie à l’aise. Seule femme avec huit hommes, la parité était loin. Mais j’ai aimé créer, entre gens venant de mondes différents, une vraie complicité. C’était de ce point de vue là, une première fois qu’un organisme de neuf personnes n’était pas le théâtre d’affrontements mais plutôt d’envie commune d’aller de l’avant.

Vrai ou faux de dire que les hommes ont « capturé » les postes de pouvoir à la télévision, et si oui, à quoi ressent-on cette « télévision masculine » ?
Véronique CAYLA : Oui, c’est vrai, les hommes ont capturé les postes de pouvoir à la télévision, il n’y qu’à, pour s’en convaincre, voir la physionomie des événements audiovisuels qui rassemblent les dirigeants du PAF : elle est essentiellement masculine ! Les hommes ont capturé les postes de pouvoir à la télévision et les postes de pouvoir tout court !… Le milieu politique, malgré quelques avancées, ne présente pas encore assez de visages féminins, et les grandes entreprises en général, n’en parlons pas ! Une télévision masculine, je ne sais pas. Il est vrai que la télévision peut être conformiste voire conservatrice, elle ne reflète pas toujours au mieux la société, ses évolutions, ses aspirations. Elle a plutôt tendance à la figer dans ses préjugés. Du coup, même si cela bouge un peu depuis quelques années, la télévision a tendance à confiner les femmes dans des rôles que l’on assigne traditionnellement aux femmes et elle véhicule pas mal de clichés. La publicité télévisée est éloquente de ce point de vue : ce sont systématiquement les femmes qui sont mises en scène lorsqu’il s’agit de publicité ménagère ou domestique par exemple (et que dire de la fameuse « ménagère de moins de cinquante ans » qui reste encore un fleuron des études d’audience)… Une récente étude sur les femmes dans les médias montre qu’il y a de gros efforts à faire sur la présence des expertes à la télévision qui sont très minoritaires y compris sur ARTE, qui est pourtant plutôt vertueuse dans ce domaine ! ARTE est en effet une chaîne qui s’évertue plutôt à subvertir les codes conventionnels. Je peux vous citer notamment deux exemples récents, la série « Borgen », qui met en scène une femme aux plus hautes fonctions de l’État ou bien encore « Dans tes yeux » qui nous fait voyager avec une femme aveugle qui n’a pas froid aux yeux !

Michèle COTTA : « Capturé » ne me semble pas le bon mot. Les hommes ont toujours trouvé naturel d’exercer le pouvoir et n’ont pensé que bien tardivement à le partager. Et encore, à condition que cela soit organisé par eux et pour eux. Alors, oui, les postes clefs de l’audiovisuel vont encore en majorité aux hommes. A ceci près qu’aujourd’hui, ne désigner que des hommes aux postes de pouvoir fait un peu ringard. Il faut qu’il y ait une femme, çà et là, non plus pour agrémenter le paysage, comme je l’ai entendu dire quelquefois, mais pour s’inscrire dans une démarche de modernité. Ce qui donne des images révélatrices des patrons de l’audiovisuel, privés ou publics, parmi lesquels, à l’exception récente d’Arte, ne figurent aucune femme. Cependant, une certitude. Contrairement à ce que pensent encore certains hommes, une femme, lorsqu’elle est nommée à un poste, a tendance à choisir, pour l’entourer, d’autres femmes. Et quoi ! N’y aurait-il plus de crêpages de chignons ? Il y en a parfois, mais moins que de rivalités entre hommes, moins que d’ambitions refoulées et de frustrations cachées, qui se transforment en agressivité. La question posée évoque également un autre problème : celui de l’image des femmes, telle qu’elle est transmise par la télévision. Dans la publicité, c’est une caricature : les femmes sont toujours à la maison. Lorsqu’elles n’y sont pas, c’est qu’elles sont des petites secrétaires ou des téléphonistes accortes qui s’assoient sur la photocopieuse, elles halètent de plaisir en caressant une voiture, etc. Dans les feuilletons et les séries télévisées, elles correspondent souvent à des stéréotypes, y compris quand il s’agit d’inspecteurs de police gradés. Il arrive qu’on échappe à une image conventionnelle de la femme dans certaines séries nouvelles. C’est rare, d’autant que l’audience n’est pas souvent au rendez-vous, lorsque l’héroïne sort un tant soit peu des clichés. Dans l’information et le reportage, en revanche, les femmes ont pris leur place et bien, y compris à la direction des services. A TF1, une femme est directrice de l’information, à France 2, cela a longtemps été le cas d’Arlette Chabot. Est-il utile de rappeler que les grands reporters qui se baladent d’un bout à l’autre de la planète, dans des zones souvent dangereuses, sont des femmes ? Cependant, il faut être conscient du fait que, si plus de la moitié des journalistes sont des femmes, bien peu occupent un poste de responsabilité.

Le féminisme, pour vous, signifie-t-il encore quelque chose ?
Véronique CAYLA : Oh oui ! Peut-être plus que jamais d’ailleurs ! Le fameux « Deuxième sexe » de Simone de Beauvoir publié en 1949 dans un torrent de réactions parfois violentes et ordurières est encore d’actualité aujourd’hui, même s’il a fait heureusement école aussi. Sans susciter autant de bruit et de fureur aujourd’hui, cet essai continue de gêner voire d’indisposer certains, car il est difficile sans doute d’admettre qu’une femme peut s’extirper du consentement, advenir à ellemême en se dépassant soi-même, en faisant l’expérience de sa propre liberté et en exerçant son pouvoir de sujet à part entière, au même titre qu’un homme ! Car même si les choses vont dans le bon sens et c’est indéniable heureusement – les femmes ont gagné des combats primordiaux, le droit de vote en 1945 mais aussi dans les années 60 et 70 avec la contraception, le droit à l’avortement, l’accès au travail – il me semble qu’il y a aujourd’hui une sorte de stagnation voire de régression du statut des femmes. Les études montrent notamment que les tâches ménagères restent encore très largement l’apanage des femmes !

Inégalité injustifiable !

 Et puis, ce que l’on appelle le « plafond de verre » est encore un frein important pour l’accession des femmes à des postes de dirigeants, et jusqu’il y a peu d’ailleurs chez ARTE ! Mais aussi la précarité dans le travail et en particulier le temps partiel subi, qui concerne essentiellement les femmes ! Quant aux inégalités de salaires, elles demeurent scandaleuses avec un salaire féminin qui est en moyenne 20 % inférieur au salaire masculin ! C’est injustifiable ! Alors on a supprimé le « Mademoiselle » dans les cases administratives, jugé discriminant pour les femmes, peut-être, mais rétablir l’égalité salariale à poste équivalent me parait être un enjeu plus prioritaire ! J’ai fait moi-même l’expérience de cette injustice en arrivant au CNC (Centre national du cinéma) tout comme ma prédécesseure d’ailleurs ! Le machisme qui règne encore dans certaines hautes sphères nous a valu des salaires bien bas par rapport à nos prédécesseurs masculins ! Il est clair que nous ne sommes pas encore tout à fait arrivées à « la fin de l’infini servage de la femme », selon la prophétie de Rimbaud !

Michèle COTTA : D’une certaine façon, j’en suis plus consciente qu’avant. Longtemps, je me suis battue à titre personnel, sans penser que j’appartenais à une immense cohorte de femmes tenues à l’écart des premiers rôles. Par la suite, j’ai bien compris que, si j’étais nommée, ce n’était pas à cause de certaines qualités uniquement, mais à cause de cette fameuse « discrimination positive » qui oblige les hommes à réserver une place aux femmes. Encore faut-il noter que cette impulsion a été donnée par des hommes politiques, et notamment Valéry Giscard d’Estaing qui le premier, a donné aux femmes des ministères traditionnellement occupés par des hommes. Sans ce coup de pouce là, suivi d’autres, rien ne se serait passé. C’est aujourd’hui surtout, après avoir cependant partagé toutes les grandes causes féminines (contrôle des naissances, place des femmes dans les organismes publics ou dans les assemblées politiques, parité, inégalité des salaires) je déplore que la génération qui suit n’exprime pas plus fortement ses revendications. Tout se passe comme si nous avions, nous, les pionnières (François Giroud, Eliane Victor) ou semi-pionnières, tant obtenu de réussites que la bataille des femmes était terminée. C’est le contraire. L’inégalité de salaire devrait avoir disparu depuis longtemps, elle demeure : 20 % de différence entre un salaire masculin et féminin, qui dit mieux ? Le travail à temps partiel, subi ou voulu, est aussi une forme de discrimination. Conclusion : ne pas baisser sa garde.

Dans votre vie de tous les jours, vos responsabilités, en quoi veillez-vous à faire progresser la parité, à l’écran, et hors antenne ?
Michèle COTTA : Difficile lorsqu’on n’a plus de poste exécutif. J’y ai veillé avec conviction lorsque j’étais à la tête d’organismes audiovisuels, pas seulement en m’entourant de femmes mais aussi, bien sûr, en en nommant à des postes de directrices, d’unités ou de programmes. Je n’ai eu, il me semble, aucun mérite à le faire : peu d’entre elles m’ont déçue lorsque la tâche que je leur avais confiée était rude. J’ajoute que peu m’ont retiré leur amitié lorsque je suis, comme on dit, retournée à la base.

Véronique CAYLA : J’ai toujours eu soin de féminiser les équipes, que ce soit au CNC où je l’ai fait de manière importante au sein du comité de direction notamment mais aussi à ARTE, j’ai ainsi nommé Anne Durupty comme Directrice Générale d’ARTE France et bon nombre de responsables d’unités de programmes sont des femmes. Je citerai aussi l’arrivée sur l’antenne de Leïla Kaddour-Boudadi et de Nasan Gökdemir aux côtés de Marie Labory pour présenter le nouveau Journal d’ARTE mais aussi d’Elisabeth Quin pour une émission culturelle quotidienne. En fait ARTE est une chaîne éminemment féminine, y compris désormais aux postes de direction ! Ce mouvement en faveur des femmes est totalement naturel chez moi. Si j’obéis à une exigence de parité et d’équilibre entre les deux sexes c’est surtout lorsque je m’oblige à ne pas nommer que des femmes tant je les trouve plus efficaces, en particulier dans les postes de direction où il faut savoir créer du consensus. Je dois me discipliner et appliquer, là comme ailleurs, le louable principe de la diversité, et c’est évidemment une bonne chose car il y a heureusement des hommes qui sont des femmes comme les autres !

Propos recueillis par Émilie AUBRY
(in La Revue Civique 8, Printemps-Été 2012)

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