L’ancienne Ministre de Jacques Chirac, Nicole Guedj, mène à la présidence de la Fondation France-Israël une série d’actions, destinés aux jeunes notamment, visant à promouvoir la Mémoire des « Justes parmi les Nations », qui furent nombreux, en France et ailleurs, à sauver des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. « Au nom de valeurs universelles, avec héroïsme et foi en l’Homme, souligne-t-elle dans cet entretien à la Revue Civique, ils se sont élevés contre la barbarie nazie, refusant de collaborer et de trahir ». Et d’ajouter : « Des femmes et des hommes issus de tous les milieux mais toujours humbles, simplement convaincus de ne faire que leur devoir, ont lavé l’honneur de notre pays, que d’autres avaient sali ».
La REVUE CIVIQUE : La hantise, pour les derniers rescapés de la Shoah, est de voir s’éteindre, après eux, la mémoire vivante de cette tragédie, sans doute la plus effroyable de l’Histoire. Est-ce aussi pour cela, pour répondre à cette hantise, qu’à la tête de la Fondation France-Israël, vous avez lancé l’action « Petits-enfants des Justes : ambassadeurs de la Mémoire » ? Quel est le sens de cette action ?
Nicole GUEDJ : J’anime la Fondation France-Israël depuis quelques années. Créée en 2006 par le Président Jacques Chirac et par le Premier Ministre de l’État d’Israël de l’époque, Ariel Sharon, auquel je veux aujourd’hui rendre hommage, cette Fondation a pour vocation, loin des sentiers de la politique et de la diplomatie, de rapprocher les Français et les Israéliens, de les aider à mieux se connaître, de contribuer à briser les murs de l’ignorance, de la méconnaissance ou des préjugés.
L’honneur de la France
Pour cela, nous organisons de nombreuses « rencontres » : voyages en Israël, avec par exemple des leaders du monde agricole français, des bloggeurs « high tech » les plus influents… À Paris, nous avons aussi organisé la « Nuit de la publicité israélienne », ou encore réuni plusieurs centaines de chefs d’entreprises à l’OCDE. Nous remettons chaque année, à des Français et des Israéliens, qui souvent partagent d’ailleurs leurs travaux, une série de Prix, littéraires, artistiques ou encore scientifiques ; nous avons réunis des Prix Nobel, Français et Israéliens…
Nous avons aussi investi le champ de la Mémoire : aussi bien celle des victimes de la Shoah, que celle, liée bien sûr, des « Justes parmi les Nations », qui ont fait l’honneur de la France.
En ce domaine, c’est surtout auprès des jeunes générations que vous avez souhaité agir ?
Dès mon élection à la tête de la Fondation, j’ai en effet créé un département « jeunesse », estimant que les jeunes Français et les jeunes Israéliens avaient beaucoup à partager. Pour cela, il leur fallait à la fois mieux se connaître mais aussi appréhender l’Histoire. Notamment celle de la Shoah, dans toute sa réalité. Si, par millions, des Juifs ont été exterminés dans les camps de la mort durant la seconde guerre mondiale, en France, 75% d’entre eux ont été sauvés. En grande partie, ils ont eu la vie sauve grâce au courage des « Justes parmi les Nations », ces héros de l’ordinaire, ces fiers de l’ombre qui, au péril de leur vie, les ont cachés et secourus.
Faire son devoir
Pour cela, au nom de valeurs universelles, avec héroïsme et foi en l’Homme, ils se sont élevés contre la barbarie nazie, refusant de collaborer et de trahir le genre humain. La France n’a pas compté que des « collabos » ! Des femmes et des hommes issus de tous les milieux mais toujours humbles, modestes et simplement convaincus de ne faire que leur devoir, ont lavé l’honneur de notre pays.
Cet héroïsme dans l’abnégation a fait aussi que leurs actes sont restés longtemps méconnus…
En effet, des sondages ont montré combien était trop peu connus du grand public des faits historiques comme la « rafle du Vel d’Hiv » – malgré le discours de 1995 du Président Chirac. L’histoire des « Justes parmi les Nations », qu’au demeurant le même Président Chirac a fait entrer au Panthéon en 2007, est encore très largement ignorée.
Il est pourtant, à mon sens, tellement important de la connaitre tant elle est porteuse d’espoir, tant elle est nécessaire aux jeunes générations pour bâtir leur avenir. Elle peut aussi servir de référence et d’exemple pour faire barrage à toutes les tentations d’intolérance et d’initiatives fondamentalistes.
C’est la raison pour laquelle, avec les jeunes de la Fondation France-Israël, nous emmenons chaque année, des petits-enfants de « Justes parmi les Nations », âgés de 20 à 30 ans, en Israël Ce voyage a lieu durant les cérémonies nationales d’hommage aux victimes de la Shoah. Pour découvrir les noms de leurs grands-parents sur les murs de Yad Vachem1, et éventuellement rencontrer des survivants, rescapés de la Shoah, pour certains sauvés par leurs propre grands-parents.
Un devoir collectif de vigilance
Qu’est ce qui vous paraît le plus important, aujourd’hui, dans cette action mémorielle ?
Aujourd’hui, plus que jamais, j’ai la volonté de livrer sans relâche un combat pour les valeurs universelles et d’y associer les jeunes générations. Car ne nous y trompons pas, se souvenir des victimes de la Shoah, et ne pas oublier le courage des « Justes parmi les Nations », ne relève en rien d’un intérêt restreint ou communautaire. Bien au contraire, la communauté nationale toute entière est concernée. Si certains se sont un temps interrogés sur notre « identité nationale », force est de constater que les « Justes parmi les Nations » ont, il y a plus de 70 ans, répondu simplement, spontanément et fièrement, à cette question en mettant en avant les valeurs qui demeurent, grâce à eux aussi, celles de la République.
Actuellement, les provocations antisémites et négationnistes de certains – dont Dieudonné n’est malheureusement qu’un des représentants -, ne sont-ils pas un très inquiétant signe des temps actuels ?
De prétendus « humoristes » ou « intellectuels » insultent le passé comme l’avenir par des actes, des gestes, des propos, que l’on pensait d’un autre âge. Sans céder à la paranoïa, notre devoir collectif de vigilance s’impose. Et celui des autorités de Justice est d’agir avec fermeté, de se saisir avec célérité, de punir avec sévérité, de ne rien laisser passer.
Dix ans après le discours de Jacques Chirac à Chambon- sur-Lignon, par lequel il appelait les corps de l’État placés sous son autorité à un sursaut face à un regain d’antisémitisme (mesurés depuis le début des années 2000), l’histoire se répète ; et une pédagogie renouvelée demeure encore que jamais nécessaire…
Je continue à plaider pour qu’au début de chaque année scolaire tous les élèves de France, quel que soit leur âge, puisse se livrer, chacun selon leur niveau, à un exercice d’explication d’un texte, qui rappellerait simplement les valeurs de Laïcité et le devoir de lutter contre toutes les formes de racismes et de discriminations.
Pourquoi pas un extrait du discours, à mes yeux de portée historique, du Président Chirac à Chambon-sur-Lignon, appelant à un sursaut républicain ? À défaut, notre littérature ne manque pas de belles et grandes oeuvres, invitant à la défense de notre modèle républicain.
Par ailleurs, je regrette que nous n’ayons pas tiré suffisamment d’enseignements des travaux de la Commission Stasi auxquels j’ai participé en 2003. Ils apportaient beaucoup de réponses. Aujourd’hui, à trop vouloir instrumentaliser le thème de la Laïcité à des fins politiques, on a fini par exacerber des sentiments de haine ou d’intolérance, que certains sont toujours prompts à propager.
Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET
(In La Revue Civique n°13, Printemps 2014)
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1) Mémorial de l’Holocauste, situé à Jérusalem Ouest. «
Juste parmi les Nations » : le sens historiqueLe terme de « Juste parmi les Nations » est issu de la tradition religieuse, où il désigne les « non-Juifs craignant Dieu ». Durant la période médiévale, la signification a évolué pour désigner les non-Juifs faisant preuve de bonté envers les Juifs. En 1953, l’État d’Israël reprend ce terme dans une loi pour définir l’une des missions du Mémorial dédié aux victimes de la Shoah. Yad Vashem doit ainsi prolonger le souvenir et honorer les « Justes parmi les Nations qui ont risqué leur vie pour venir en aide à des Juifs ». En 1963, une commission a été créée pour rechercher et traiter les dossiers des « Justes parmi les Nations ». Chaque « Juste » se voit remettre, au cours d’une cérémonie, une médaille gravée à son nom, un diplôme d’honneur et son nom se retrouve gravé sur le mur d’honneur du Jardin des « Justes parmi les Nations » de Yad Vashem, à Jérusalem. (Source : « La création du titre de Juste parmi les Nations. 1953-1963 », Sarah Gensburger, 2004) |