Les Arméniens de la Diaspora: la mémoire par l’excellence (par Harold Hyman)

Une revanche sur l’histoire est toujours difficile à prendre, mais elle peut être très satisfaisante. Les Arméniens, un siècle après le génocide, tentent de montrer qu’ils existent en République d’Arménie. Aujourd’hui, même  si l’économie nationale n’est pas ultra-dynamique, c’est l’ultra-modernité qui perce.

C’est le cas du lycée de la petite ville thermale de Dilijan. C’est un UWC (United World Colleges, www.uwc.com), l’un des 15 lycées d’un réseau très spécial dans le monde, créé en 1964 au Pays de Galles et aujourd’hui devenu phénomène mondial. Celui de Dilijan, « UWC Dilijan », est devenu une fierté nationale, et n’aurait rien à envier à son équivalent de Singapour  (« UWC South East Asia »).

Unite World College, Dilijan, Arménie, bâtiment principal © Harold Hyman

 Quelques 200 élèves d’une soixantaine de nationalités viennent vivre une expérience éducative très internationaliste. La langue dominante est l’anglais, puis le russe, puis l’arménien. Les ateliers de peinture et de sculpture, les discussions politiques, les langues, le sport avec des équipements hors pair, tout est fait pour des étudiants qui iront ensuite porter notamment la connaissance de l’Arménie à l’extérieur. Le rapprochement avec les étudiants azerbaidjanais est quasi-impossible pour des raisons de visas (les deux États sont en guerre larvée), mais avec les turcs il y a parfois une réussite.  Généralement parlant, les UWC visent  à créer un avenir pacifique et durable. Les frais sont de 35 000 dollars par an (frais de scolarité et pension complète): la plupart des élèves reçoivent des bourses, partielles ou totales, et les élèves de familles impécunieuses ne sont absolument pas écartées.

L’UWC est entièrement privé, le financement provenant de donateurs (les Arméniens de la Diaspora sont traditionnellement de gros donateurs), et notamment la fondation IDEA (Initiatives for Development Armenia www.idea.am), qui vise à promouvoir la « régénérescence culturelle de la nation ». Il n’est pas inutile de rappeler que même  si la République d’Arménie est issue tout naturellement de la République Soviétique Socialiste d’Arménie en 1991, la culture arménienne n’a pas véritablement émergé sous le régime soviétique, qui la tolérait sans plus. Ironie du sort, c’est un Arménien de Russie, Ruben Vardanyan, qui s’est investi – et a investi – dans Idea et donc dans UWC Dilijan.

Ruben Vardanyan, philanthrope d'action, a conçu le lycée international et le téléphérique © Harold Hyman

 Un téléphérique nommé Tatev :

 Le but de Vardanyan  étant de revitaliser son pays ancestral par la culture, il y inclut l’éducation et le tourisme au service du tissu économique classique. Vardanyan a largement contribué à construire, dans la région de Tatev, le Wings of Tatev – le plus long téléphérique suspendu du monde, selon le Guinness des Records du Monde. Non seulement le téléphérique transporte des touristes vers des panoramas alpins saisissants, il donne sur le monastère du même nom, en voie de rénovation. Enfin, le Wings of Tatev désenclave neuf villages.

Le monastère de Tatev, accessible par téléphérique. © Harold Hyman

►4 Le monastère de Tatev, accessible par téléphérique. © Harold Hyman

 Former des adolescents au numérique:

 Autre surprise dans la capitale Erevan est certainement l’existence de TUMO (www.tumo.com), le centre de technologie, de musique et d’art graphique ouvert il y a quatre ans, où l’on forme les 12-18 ans dans un lieu véritablement impressionnant. En matière de superficie, nous frôlons la petite aérogare, et les sièges roulants, avec leur ordi et leur cordon de raccordement attaché au plafond donne un air de science fiction au tout. Entre 400 et 600 élèves (soit 6500 par semaine), en plages de deux heures qui se succèdent, sont présents. Les élèves n’ont pas d’examen d’entrée, et pour prouver leur assiduité c’est leur page Web nominative, comportant leurs projets, qui leur lui serviront de diplôme.

Un air de Matrix pour ces adolescents au centre TUMO de Erevan © Harold Hyman

Les petits robots des petits Arméniens au centre TUMO d’Erevan © Harold Hyman

 Nous sommes passés au TUMO  pendant le « Batman Day », et un vaste cinéma intérieur projetait le dernier film, et les élèves produisaient une foultitude de versions du célèbre personnage américain de B.D. à l’aide des techniques récemment apprises. Par ailleurs, le TUMO abrite des studios d’enregistrement de musique dignes de l’industrie cinématographique.

Le tout a été initié et doté financièrement par un Arménien du Texas, Sam Simonian, petit magnat des télécommunications de réseaux. Il y a actuellement quatre de ces TUMO dans le pays, et il y a fort à parier que les jeunes arméniens vont bientôt se faire remarquer dans la création digitale. J’oubliais presque : les frais par élève sont de zéro.

Les Syro-Arméniens, derniers arrivés de la Diaspora : 

Toujours sur le mode surprenant, une curiosité nouvelle dans Erevan est l’arrivée de 20 000 Arméniens de Syrie, Aleppins pour la plupart.  Ils ont afflué vers la République d’Arménie où ils ont reçu le droit d’entrée immédiat et où la nationalité leur est conférée au terme d’un an de résidence. Au nombre de 17 000, selon le porte-parole du ministère de la Diaspora Firdus Zakarian, ils ont les mêmes droits sociaux et sans doute davantage que les citoyens ordinaires.

Cet accueil de populations nouvelles  n’est pas du tout vu comme un traumatisme, dans cette République de 3 millions d’habitants, où le solde démographique marque une perte de 40 000 personnes par an en dépit de l’afflux syrien. Une spécificité dans ce dossier : les deux États, Syrie et Arménie, maintiennent des liens diplomatiques et consulaires pleins et entiers, donc les Syro-Arméniens peuvent prendre l’avion sans restriction. Tant qu’il y avait un vol Alep-Erevan c’était facile. Aujourd’hui, ils sont nombreux à prendre la route, en traversant la Turquie, puis la Géorgie, pour enfin arriver en Arménie.

Comme ils sont tous descendants des rescapés du génocide, les familles arméniennes qui partagent ce passé sont très sensibles au malheur de leurs lointains cousins.

 Les Arméniens de la Diaspora utilisent leurs fondations au service de la renaissance nationale :

Les États de l’ex-bloc soviétique, particulièrement dans le Caucase et les Balkans, ont généralement du mal à se moderniser. C’est pour cela que les fondations privées sont si importantes : elles font souvent fonctionner des domaines délaissés par les pouvoirs publics et les sociétés privées locales. Les associations et fondations de la Diaspora ont des résultats étonnants. Enfin, une initiative pluridisciplinaire, « 100 Lives » – genre de fédération d’initiatives – donne un visage à cette modernité. Le 100, pour chaque année depuis le génocide. « Lives », car les Arméniens sont bien présents dans le monde et ils font des choses inattendues. 100 Lives célèbre les bonnes actions de tous partout dans le monde au moyen du prix annuel Aurora. Et puis George Clooney est venu s’intéresser au projet, ce qui est toujours bon…

Harold HYMAN

Harold Hyman a travaillé pendant 20 ans dans une série de médias français

Journaliste franco-américain, Harold Hyman a travaillé surtout dans les médias français depuis 20 ans. Il a collaboré à Courrier International, Tribuna de Actualidad (Madrid), RFI, Radio Classique (sujets asiatiques et américains), BFMTV (géopolitique et États-Unis), et il co-anime actuellement le site: www.decalage-diplo.fr

Il est l’auteur de “Géopolitiquement correct & incorrect” (Tallandier), et il enseigne la Géopolitique à Paris 13. Il est amateur d’architecture classique et déco, et de conservation du patrimoine bâti.

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Les liens pour plus d’informations :

www.uwc.org

www.tumo.org

www.100lives.com

www.idea.am

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