Bernard Guetta (©Francesca Leonardi alias Internaz / FlickR)

Dans cette chronique de France Inter, Bernard Guetta analyse le syndrome dépressif français. Notre pays, cinquième économie du monde, deuxième économie de l’Union européenne, qui est elle-même la première force économique et commerciale du monde, est pourtant d’un malaise profond : son incapacité à avoir confiance (en l’avenir, en la mondialisation). Voici le texte de Bernard Guetta.

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On connaît les maux de la France. Du chômage persistant depuis bien trop longtemps à l’empilement des lois et réglementations freinant l’initiative, ils sont tant égrainés partout, tout le temps, dans tout le pays que personne ne saurait les ignorer mais tout de même…

La France est la cinquième économie du monde. Elle est la deuxième économie de cette première économie mondiale qu’est l’Union européenne. Ses infrastructures sont simplement remarquables. Son niveau de protection sociale demeure extrêmement élevé et sa vie cultuelle brillante, comme le Prix Nobel si justement attribué à Patrick Modiano vient de le rappeler.

La France, non, n’est pas la Grande-Bretagne du début des années 70, celle qui était sous assistance du FMI, ni même cet homme malade de l’Europe qu’était l’Allemagne d’il y a seulement quinze ans mais l’état de l’opinion que l’institut Ipsos dressait en août dernier dans 23 pays ne la place pas moins en tête du pessimisme absolu. Il n’y a que 6% des Français pour juger bonne la situation économique de la France alors que 85% des Saoudiens, 75%  des Allemands, 73% des Chinois, 72% des Indiens et 61% des Égyptiens – des Égyptiens… – pensent que leur économie se porte très ou plutôt bien.

La France est en dépression nerveuse mais pourquoi ?

La première explication est historique. Comme les États-Unis, la France s’est toujours vue comme une nation d’exception et non sans raisons. La Renaissance européenne fut largement française comme, plus tard, les Lumières. La France de Louis XIV fut la plus grande des nations européennes. La Révolution française avait ouvert une page de l’histoire mondiale et, même après la défaite de 40 et la perte de son empire, le général de Gaulle avait su redonner une grandeur à la France en en faisant une voix singulière et le plus souvent juste dans le camp occidental.

Comme pour les États-Unis d’ailleurs, ce glorieux passé est révolu mais la  France admets mal d’être devenue une puissance parmi d’autres à laquelle la fin de la Guerre froide a enlevé sa singularité et que l’élargissement de l’Union et l’unification allemande ont privé du poids prépondérant qu’elle eut en Europe.

La France, ensuite, est conjoncturellement en phase descendante ce qui nourrit son pessimisme comme les phases ascendantes de la Chine, de l’Allemagne ou de l’Inde nourrissent leur optimisme. Et puis enfin – et sans doute est-ce le plus grave – l’échiquier politique français est un total mensonge. Droite et gauche modérées sont infiniment plus proches l’une de l’autre qu’elles ne le sont de leurs ailes radicales mais comme il reste impossible de reconnaître cette réalité, la France n’a pas de grand parti ou coalition qui puisse lui montrer les voies de son redressement et lui rendre confiance. La France se ment sur elle-même et rien n’est psychologiquement plus destructeur.

► Entendre la chronique de Bernard Guetta du 13 octobre 2014