La confiance, moins présente en France que chez nos voisins: la très éclairante enquête d’opinion du Cevipof-Sciences Po

Chaque année, le CEVIPOF (Centre d’études de la vie politique française; groupe de chercheurs en sciences politiques rattaché à Sciences Po et au CNRS) publie une enquête d’opinion passionnante et de référence: le « baromètre de la confiance », qui mesure le degré de confiance (et de défiance) concernant les institutions politiques mais aussi la société et la vie des citoyens eux-mêmes. Cette vaste enquête d’opinion (réalisée par OpinionWay, en partenariat notamment avec Le Monde, l’institut Montaigne, la Fondation Jean Jaurès et le CESE) s’est encore enrichie cette année grâce à des comparaisons très éclairantes avec les opinions de trois pays européens voisins, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie. Voici une sélection d’une trentaine de tableaux de résultats, qui permettent de mesurer (et réfléchir) la part relative de confiance et de défiance, qui caractérisent aujourd’hui l’opinion française.

D’un point de vue général, la « lassitude » et la « morosité » dominent ce que les Français déclarent être leur « état d’esprit actuel ».

En Allemagne et au Royaume-Uni (pourtant confrontés aux mêmes difficultés, voire à de plus grandes difficultés, sanitaires par exemple), c’est la « sérénité » qui domine l’état d’esprit. L’Italie, elle, est proche de la France du point de vue de la « lassitude ».

Les Français ont le plus faible taux de réponses sur le thème de sa propre « liberté » et du « contrôle total » de son avenir personnel: 55% (contre 69% pour les Allemands ou les Britanniques). Le doute, associé aux craintes concernant l’avenir, est plus important en France.

Et pourtant, la satisfaction des Français à l’égard de sa vie (mesurée sur une échelle allant de 0 à 10) est nettement au-dessus de 5 : 74% des Français se mettent même une note égale ou supérieure à 6 sur l’échelle de satisfaction. Indicateur que les Français ne sont pas si malheureux que cela, quand on leur parle de « la vie que vous menez ».

Pour une grosse minorité de Français (37%), il y a néanmoins « le sentiment que son niveau de vie s’est dégradé ».

Beaucoup moins que chez nos voisins (allemands et anglais), il y a en France le sentiment que « dans la société, les règles sont les mêmes pour tous ». La perception d’une inégalité est moins forte chez ces voisins (cf la question 3 ci-dessous).

En France, la hiérarchie de la confiance des institutions politiques ? En haut du bleu: la municipalité, la région, le département (collectivités de proximité); en bas de tableau, l’Assemblée nationale, l’institution présidentielle, le gouvernement.

En Allemagne et au Royaume Uni, la hiérarchie est à peu près la même, mais l’écart entre institutions locales et institutions nationales est nettement moins grand: en Allemagne, le gouvernement n’est qu’à 3 points derrière le conseil municipal (à 10 points au Royaume-Uni), alors qu’il est à près de 30 points en France. Nos institutions nationales ont, depuis longtemps, un problème spécifique.

Le fonctionnement de la démocratie ? Il y a toujours une majorité pour penser qu’elle ne fonctionne « pas bien » (55%). Mais on part de loin: en décembre 2018, dans ce même baromètre, les Français étaient 70% à le penser.

A l’inverse, les Allemands et les Britanniques sont une large majorité (67% et 61%) à estimer que la démocratie « fonctionne bien » dans leur pays. Les Italiens, eux, ne sont que 32% (encore moins nombreux que les Français) à le penser.

Singulier: mélange de lassitude et d’éloignement affiché, à peine un Français sur deux (49%) dit « s’intéresser à la politique » actuellement. Les Allemands, eux, sont 79% et les Italiens 69%.

Top 5 de la confiance en France : le personnel médical, les hôpitaux, la science, les PME, l’armée. Le top 5 de la non confiance: les partis politiques, les réseaux sociaux, les médias, les syndicats, les responsables religieux.

Un rapport à la politique structurellement, et depuis longtemps, affecté en France: depuis plus de 10 ans, la politique inspire d’abord de « la méfiance ». De ce point de vue, les changements de majorité présidentielle (2012, 2017) n’ont rien changé.

Un sentiment (surtout français et italien) que les politiques ne « se préoccupent pas » de « ce que pensent les gens comme nous ». Les Allemands sont les plus nombreux (48%) à penser le contraire. Le système fédéral allemand faciliterait-il ce sentiment de préoccupation ?

Le positionnement politique des Français sur l’échelle gauche-droite: un nette penchant à droite se confirme. Ils sont 31% à se placer eux-mêmes à droite contre 19% à gauche. Si on mettait le centre aussi sur 3 positions (4-5-6), il correspond à 32%.

Les Britanniques et les Italiens se placent encore plus à droite que les Français, les Allemands étant les plus nombreux de ces quatre pays à créditer le centre et la gauche.

Ouverture au monde ? Les Français sont 44% à penser qu’il faut « se protéger davantage du monde d’aujourd’hui ». Ils n’étaient que 30% il y a dix ans. Seulement 19% des Français pensent cette année qu’il faut « s’ouvrir davantage ».

On le voit, des pays européens sont bien plus ouverts… au principe d’ouverture: les Britanniques (35%) et surtout les Italiens (43%) pensent qu’il faut que leur pays doit « s’ouvrir davantage au monde d’aujourd’hui ». Un différentiel net sur le rapport des opinions publiques à la mondialisation. Contrairement à une idée reçue, les Allemands sont pas loin d’être, sur ce sujet, comme les Français.

A propos du « système capitaliste »: les Français sont nettement les plus nombreux (41%) à estimer qu’il soit « réformé en profondeur ». Contre 19% pour les Allemands ou 20% pour les Britanniques, ces deux pays (comme l’Italie) préférant très majoritairement le « réformer sur quelques points ». Forme de réalisme sur « l’économie sociale de marché », comme on dit (en Allemagne).

Plus radicalement anti capitalistes, les Français reste pour autant pro-Européens: ils sont 45% (en légère hausse) à juger que l’appartenance à l’Union européenne est « une bonne chose » (22% seulement « une mauvaise chose »).

Les Allemands et surtout les Italiens sont encore plus nombreux à penser que l’appartenance à l’UE est « une bonne chose »: 52% et 57% le déclarent. A l’inverse, les Britanniques (qui avaient opté pour le « Brexit ») sont moins nombreux. Mais ils sont quand même plus nombreux, dans ce pays aussi, à penser que ce serait « une bonne chose » (43%) qu’une « mauvaise chose » (32%). Les « brexiters » sont loin d’avoir convaincu une majorité de Britanniques.

Système politique. 84% des Français apprécient « avoir un système politique démocratique »… même si 34% apprécieraient « avoir à la tête du pays un homme fort qui n’a pas à ses préoccuper du Parlement, ni des élections », 20% disant même apprécier que « l’armée dirige le pays » !

Le meilleur taux d’adhésion au système démocratique revient aux Italiens. La direction du pays donnée à « un homme fort » et « à l’armée » ? Curieusement, ce sont les Britanniques qui sont les plus nombreux à répondre positivement. Les Français ne sont donc pas les champions des options autoritaires: des quatre pays, ce sont même les Français qui optent le moins pour « un homme fort » qui ne se préoccuperait ni du Parlement, ni des élections. Rassurant.

Sélection des tableaux de résultats faite par Paul TEMOIN.

(26/02/21)

-Le site du CEVIPOF-Sciences Po

Le CEVIPOF est devenu une référence en ce domaine de la confiance/défiance, avec ce baromètre. Dont les résultats vont susciter cette année de riches réflexions, auxquelles La Revue Civique aura plaisir de contribuer.