Italie et la victoire du « Non » : incertitudes politiques et économiques

« Approuvez-vous le texte de la loi constitutionnelle sur les dispositions pour dépasser le bicamérisme, sur la réduction du nombre des parlementaires, sur la maîtrise des coûts de fonctionnement des institutions, sur la suppression du Cnel [conseil national de l’économie et du travail] et sur la révision du titre V de la deuxième partie de la constitution »

C’était la question qui avait été posée aux italiens, par référendum, le 4 décembre 2016.

 

Très largement, la réforme constitutionnelle défendue par Matteo Renzi, a été rejetée. Avec un taux de participation élevé (57%), le vote « Non » a représenté 59,11% contre 40,89% seulement pour le « Oui ». Les conséquences de ce référendum sont multiples, tant sur le plan politique (l’équilibre politique du gouvernement et du pays est en jeu) qu’économique (la question des finances publiques, de la dette, et de la croissance est posée). Véritablement, l’Italie traverse une période charnière.

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En premier lieu, revenons sur l’objet du  référendum du 4 décembre 2016. Il visait à approuver les réformes constitutionnelles adoptées par les deux Chambres du Parlement.

Cette réforme visait principalement à mettre fin au bicaméralisme égalitaire : actuellement, la Chambre des députés et le Sénat ont les mêmes pouvoirs. Cette égalité est  accusée d’avoir favorisé l’instabilité politique en Italie. En outre, le nombre de sénateurs devait être réduit à 100, contre 315 aujourd’hui, et la Chambre Haute devait voir ses pouvoirs réduits à certains domaines. A l’inverse, le gouvernement aurait pu demander une procédure accélérée à la Chambre des députés pour certaines lois qu’il juge urgentes.

Enfin, à travers la réforme du titre 5 de la Constitution, amendé en 2001 et portant sur les relations entre l’Etat et les régions, il s’agissait de réduire l’autonomie de ces dernières en garantissant à l’Etat certaines compétences qui auparavant étaient partagées.

L’enjeu d’une nouvelle loi électorale

Très rapidement, en conséquence de la victoire du « Non », le Président du Conseil italien, M. Renzi a annoncé quitter son poste puis présenté sa démission au Président de la République Sergio Mattarella. Ce dernier a néanmoins demandé au Président du Conseil de rester à son poste jusqu’au vote du Budget pour 2017 : il a été adopté par la Chambre des députés et devait être discuté, au mois de décembre 2016, au Sénat. Ce Budget de l’Etat doit être adopté avant le 31 décembre 2016 – sans que les institutions soient paralysées en cas de désaccord, un budget d’exécution étant automatiquement mis en œuvre en janvier, avant un nouveau vote sous quatre mois.

Par la suite, le Président de la République pourra demander à un autre membre du Parti démocrate (centre gauche) de former un gouvernement, qui restera en fonction jusqu’au terme de la législature actuelle (février 2018) soit jusqu’à des élections anticipées. La Constitution italienne prévoit en effet que le Président de la République peut provoquer des élections générales anticipées, ce que souhaitent la  Ligue du Nord de Matteo Salvini  et le Mouvement « Cinq Etoiles ».

Le Ministre de l’économie et des finances, Pier Carlo Padoan, est donné favori pour la succession de Mateo Renzi. Son expérience en matière économique est susceptible de rassurer les marchés financiers. Il a notamment représenté l’Italie au FMI et à l’OCDE. L’autre personnalité susceptible de conduire, à terme, le gouvernement italien est Piero Grasso, le Président du Sénat.

Ce gouvernement devra gérer l’adoption de la nouvelle loi électorale. Une nouvelle loi électorale a été votée pour la Chambre des députés  (Italicum) mais aucun texte ne révise l’élection au Sénat (Consultellum). Selon les sondages, en cas d’élection, le parti démocrate ou le mouvement Cinq Etoiles aurait une majorité claire à la Chambre des députés mais le Sénat serait fragmenté. La Cour constitutionnelle italienne doit se prononcer en janvier sur la constitutionnalité de la loi électorale Italicum ; qui, compte tenu du rejet de la réforme constitutionnelle, devrait écarter la prime majoritaire prévue dans le texte soumis à referendum et conduire donc à un système proportionnel.

 

Fragmentation politique du pays

Les résultats du référendum du 4 décembre mettent en lumière la fragmentation politique de l’Italie. Ainsi, l’Italie est aujourd’hui divisé en quatre forces égales, quatre blocs politiques : le Parti démocrate, le mouvement Cinq Etoiles, la Ligue du Nord et Forza Italia. Principal concurrent au Parti démocrate de Renzi, le mouvement  Cinq Etoiles  repose, selon Marc Lazar, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste de l’Italie, sur une assise électorale stable. L’argument de la réduction des coûts de la politique (inscrite dans la question posée le 4 décembre) n’est pas parvenu pas à renverser cette force, ni les difficultés rencontrées par Virginia Raggi, maire « Cinq Etoiles » de Rome – qu’il s’agisse de la mise en place de son équipe ou des scandales touchant ses proches. Véritablement, le mouvement « Cinque Stelle », à l’image de Luigi Di Maio, lisse son image de parti populiste aux orientations démagogiques, pour apparaitre capable de diriger.

Si l’issue du référendum ne semble concerner que la seule Italie et s’inscrire dans une histoire propre au pays de Dante, les conséquences sur le reste de l’Europe sont toutefois également incertaines.

Tout d’abord, les responsables politiques européens d’extrême-droite ont immédiatement voulu interpréter les résultats du référendum, d’abord, comme un refus de l’Europe. Marine Le Pen s’est ainsi exprimée : « Les Italiens ont désavoué l’Union Européenne et Renzi. Il faut écouter cette soif de liberté des nations et de protection ! «

L’opinion publique italienne reste largement attachée à l’Union européenne mais tant le Mouvement Cinq étoiles que la Ligue du Nord souhaitent une sortie de la zone euro. Les craintes sur l’effet du référendum sur l’Union européenne  –  pour The Economist, la prochaine crise européenne viendrait de l’Italie – s’expliquent à différents égards.

Perte d’influence de l’Italie en Europe

Tout d’abord, l’avenir des créances douteuses des banques du pays pourraient conduire à l’asphyxie de l’économie italienne. L’incertitude politique peut déstabiliser les marchés financiers. La banque Monte Paschi di Siena, par exemple, est à la recherche de cinq milliards d’euros (via une augmentation de capital) pour éviter une liquidation qui pourrait déstabiliser l’ensemble du secteur italien.

Enfin, au niveau européen la démission de Mateo Renzi  peut  marquer la perte d’influence de l’Italie à Bruxelles. Rappelons en effet que c’est la franche victoire du « Parti Démocrate » lors des élections européennes de 2014 qui avait notamment permis à Matteo Renzi d’imposer Federica Mogherini au poste de Haute Représentante de l’Union Européenne  pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité.

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De tels enjeux politiques et une telle actualité donnent naissance à un foisonnement de réflexions, à l’image de l’événement organisé autour de spécialistes de l’Italie par Euralia (27/09/16) au sein des locaux parisiens de l’agence Bloomberg. Toutefois, si l’évolution de la situation politique et économique de l’Italie reste importante pour la stabilité de l’Union européenne, la portée des événements politiques (référendum, nouveau gouvernement, élections générales) pourrait aussi, dans une projection optimiste, ne pas dépasser fortement la péninsule italienne.

V.D.

décembre 2016

► Les italiens rejettent à une large majorité le projet de réforme constitutionnelle proposé par le gouvernement de Matteo Renzi qui a présenté sa démission, par la Fondation Schuman