Harkis: qui replantera l’olivier?

Olivier (©Mat_N / FlickR)

Cette tribune de notre collaboratrice Emilie Gougache a été initialement postée sur le Huffington Post le 25 septembre 2014 à l’occasion de la journée nationale d’hommage aux harkis.

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Je m’appelle Emilie, et je suis issue de la troisième génération de harkis. Je ne suis pas née à l’époque de la guerre d’Algérie, alors certains se demanderont peut-être ce que j’ai bien à dire, et pourquoi je fais état de cette appartenance. En effet, il n’y aurait a priori aucune raison pour que cela ait le moindre impact sur moi et sur ma vie, puisqu’en réalité, même s’il s’agit d’une histoire mêlée entre le pays de mes origines et celui de ma naissance, la guerre d’Algérie fait partie de l’histoire, et l’histoire, c’est le passé.

Comme j’entends déjà les remarques concernant mon prénom français, pour clore le sujet, je dirai que mes parents ont été prévoyants en brouillant les pistes des potentiels racistes que j’aurais pu croiser sur mon chemin. Car non, cela n’a rien à voir avec le pseudo amour aveugle que l’on attribue aux harkis pour la France, comme si l’Algérie n’avait jamais eu la moindre valeur à leurs yeux.

Il n’est pas bon d’être descendant de harkis en France

Depuis que je suis en âge de comprendre, j’ai toujours su que je faisais partie de cette « communauté » de harkis. J’entendais ce mot « harkis » ici et là, au gré des discussions familiales. Des discussions sous forme de souvenirs qui semblaient toujours passionnées, mais desquelles je sentais bien s’échapper un sentiment de tristesse, de colère, de rancœur et d’injustice. Cependant jusqu’à mes années de lycée, je ne m’étais jamais réellement intéressée à l’histoire des harkis, et jamais je n’avais eu à ressentir la moindre gêne ou honte, à ce sujet.

Aujourd’hui, j’ai 27 ans et la honte ne m’a toujours pas atteint. Je n’en dirai pas autant de l’incompréhension, de la colère, de la rancune et du sentiment d’injustice qui ne me quittent plus.

J’ai compris dès le collège, que toujours, aujourd’hui en France, il n’était pas bon d’être harki et encore moins « descendant » de harki. J’en ai fait le constat lorsqu’à cette époque, des camarades d’origine algérienne m’ont tourné le dos du jour au lendemain, dès qu’elles ont su. Cela ne m’a heureusement pas atteint puisqu’elles n’étaient que des connaissances. D’autre part, j’avais trouvé cela tellement absurde que cela avait suffi à me faire oublier l’épisode très rapidement. Tellement qu’il ne m’est revenu à l’esprit que très récemment.

Il faut dire qu’avec mon prénom français, et mon visage typé, lorsque je dis que je suis d’origine algérienne, les soupçons se font rapidement. Ils s’amplifient lorsque l’on me demande si je suis déjà allée en Algérie, et que je réponds non. Mais la question fatidique une fois posée, j’ai toujours répondu sans sourciller, car connaissant l’histoire de ma famille je n’avais aucune raison de rougir.

Harki est devenu une insulte synonyme de traître

C’est donc au collège que j’ai fait face pour la première fois à la « discrimination anti-harkis », sans complètement m’en rendre compte et y prêter une réelle attention. Cela a toutefois été bien plus violent au lycée: une camarade qui « savait » -il faut dire que j’étais loin de le cacher même si je ne le criais pas non plus sur les toits- m’avait alors lancé que le grand-père d’une amie à elle avait été tué par un harki durant la guerre, et que je devais me considérer chanceuse que cette dernière ne me connaisse pas. Ce fut un sacré choc. Je ne comprenais pas d’où venait cette haine et encore moins pourquoi je devais en subir les conséquences. Le soir-même, j’ai demandé à mon père de tout m’expliquer, de tout me raconter. J’avais besoin de comprendre.

La découverte de la haine et de la méconnaissance de certains sur les harkis s’est poursuivie à la fac lors de mes premières années de droit. Sauf qu’étant alors un peu plus rodée sur le sujet, je pouvais alors répliquer, même si j’étais révoltée d’avoir à le faire. La dernière discussion en date fut assez récente, avec un collègue journaliste d’origine algérienne, plus âgé que moi, et avec qui j’étais très enthousiaste à l’idée d’en discuter. J’ai malheureusement eu avec lui un « débat » assez décevant, car son opinion sur le sujet consistait à dire qu’un membre de sa famille avait été tué par un harki. Que répondre? Par respect je n’ai pas vraiment rétorqué. Mais mon arrière-grand-mère, bien loin des débats sur l’indépendance lors de la guerre d’Algérie, a été pendue à un olivier par des membres du FLN. Un exemple pour terroriser leurs « frères algériens » et les rallier à leur cause. Je ne le rabâche pas à tous les descendants de « moudjahidines ».

Une vision manichéenne fort réduite

Ces remarques, réflexions et attaques verbales ont d’une certaine manière été bénéfiques pour moi, puisqu’elles m’ont donné la volonté d’en savoir plus sur les harkis. Bien qu’heureusement, j’ai pu connaître des compatriotes d’origine algérienne qui ne m’ont jamais déçue, j’ai voulu comprendre pourquoi les « harkis » étaient considérés par certains comme des parias de l’Algérie, et pourquoi « harki » était devenu pour eux synonyme de « traître ».
J’en ai conclu à une grande ignorance de la part de beaucoup, qui ont reçu pour informations des raccourcis, et les redistribuent à tout va en conservant toutes leurs erreurs sans jamais chercher à comprendre: pour de trop nombreuses personnes, le harki est un homme qui a torturé, massacré ses frères algériens et tourné le dos à l’indépendance simplement par pure allégeance à la France, par idéologie ou par intérêt personnel. Il n’est pour eux que cela et rien d’autre.

Cependant j’adresse un message aux Français d’origine algérienne, mais aussi aux Algériens eux-mêmes. Ignorez-vous que certains harkis ont été enrôlés par l’armée française? Ignorez-vous que certains sont justement devenus harkis, révoltés que des membres de leurs familles aient été massacrés par leurs frères algériens? Pourquoi avoir cette vision manichéenne? Pourquoi transmettre ce ressentiment à travers le temps et les générations alors que nous n’avons même pas connu cette guerre? Pourquoi m’enlever l’envie d’aller en Algérie et de côtoyer des Algériens? Effectivement si j’ai connu cela en France, comment serai-je reçue en Algérie? A quelle réflexion aurais-je droit à la douane? Les harkis, comparés sans exception à des « collabos » par le président Bouteflika le 16 juin 2000 n’ont pas le droit de poser leurs pieds en Algérie, mais en les insultant de la sorte, Bouteflika a insulté leur descendance également et je n’ai plus autant envie d’y aller.

À quand une réconciliation ?

Massacrés et forcés de quitter leur terre, toute cette rancœur n’existerait pas si la lumière avait été faite sur les réels coupables d’exactions injustifiables. Personne n’aurait souffert de la blessure de l’exil. Mais les accords d’Evian signés par l’Algérie n’ont pas été respectés, et l’Algérie indépendante n’a pas été juste et a grandement manqué d’humanité.

En ce qui concerne la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État français dans le massacre et l’abandon des harkis en Algérie, après plus de cinquante années sans que rien ne se soit concrétisé, j’ai compris qu’aucun président français n’aurait le courage d’aller jusqu’au bout de ce dossier. Peut-être croient-ils qu’à la mort de tous les harkis, le sujet sera définitivement clos?

Si mon texte tombe entre les mains d’un membre du gouvernement algérien, peut-être aura-t-il lui, envie de replanter l’olivier, afin de panser des blessures qui semblent pour le moment destinées à rester ouvertes encore longtemps.

Émilie Gougache pour le Huffington Post