Pourquoi le Royaume-Uni ferait toujours partie de l’Europe, même s’il quittait l’UE…

Qu’il reste dans l’Union européenne ou pas, le Royaume-Uni fera toujours partie de l’Europe. Pas seulement géographiquement, mais aussi légalement, puisque les liens qui nous unissent sont si nombreux et variés qu’il est difficile de récupérer le rêve nostalgique de l’indépendance absolue. De nos jours, pour protéger la souveraineté il est nécessaire de la partager. Nous présentons ici les arguments de trois think tanks, l’European Council on Foreign Relations (ECFR), Bruegel et Centre for European Policy Studies (CEPS), qui expliquent pourquoi le Royaume-Uni, même à contrecœur, fait partie de l’Europe.

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Comme l’affirme l’European Council on Foreign Relations (ECFR), même le plus ardent pro-européen devrait admettre que l’UE aujourd’hui est un peu difficile à vendre : le terrorisme à l’intérieur de notre territoire, la plus grande vague migratoire depuis la Seconde Guerre Mondiale, la crise de la dette souveraine, les doutes sur la viabilité de l’euro, la montée des partis d’extrême droite, la menace russe en Europe de l’Est et les gouvernements radicaux de l’Europe centrale sont à l’origine ou la manifestation de l’euroscepticisme croissant dans nombreux États-membres. Mais le fait demeure que nous sommes plus forts ensemble pour  résoudre les problèmes posés.

De la Guerre de Cent Ans et les campagnes de Marlborough et de Wellington aux deux guerres mondiales, la Grande Bretagne n’a jamais pu se tenir à l’écart des convulsions du continent. Aujourd’hui, en revanche, l’Union favorise un espace de paix et de sécurité pour tous dans une société libre. Avec plus ou moins d’enthousiasme, rappelle le think-tank, les dirigeants britanniques ont compris dans les années 1960 et 1970 que Churchill avait eu raison lorsqu’il avait évoqué la nécessité d’un grand projet de coopération structurée entre les nations européennes.

Selon l’ECFR, toute la campagne du référendum a été phagocytée par un renvoi d’ascenseur permanent. Les partisans du Brexit affirment que c’est Bruxelles qui n’a pas mis en œuvre la réponse européenne partagée nécessaire pour résoudre la crise migratoire. Ils ont raison sur le fait que la réponse, en effet, doit être partagée, mais ils se trompent en culpabilisant Bruxelles : le blocage est venu des États-membres.  De même pour le terrorisme : ce sont les États qui ont échoué à éviter la dernière vague d’attaques en empêchant le partage des renseignements sensibles. Même s’il est vrai, admet l’ECFR, que Bruxelles doit assumer ses erreurs au moment de la conception de l’euro, ce n’est pas l’UE qui a déréglementé les banques et a accumulé des niveaux d’endettement insoutenables « pour corrompre les électeurs d’aujourd’hui avec les ressources de la prochaine génération ».

L’Europe suit une voie compliquée car, face à une myriade de problèmes, elle est incapable d’invoquer la solidarité et le leadership dont elle a besoin pour affronter les défis avec succès mais la culpabiliser de tout serait un manque grave d’analyse et le remède de quitter le club, poursuit l’ECFR, ne ferait qu’empirer les choses : car « même si le Royaume-Uni peut quitter l’UE, son sort est inextricablement lié à celui du reste du continent et de ses États-nation ».

Le Royaume-Uni est un pays européen

Bruegel, le think-tank bruxellois, considère que même si le Royaume-Uni quittait l’Union, il serait toujours soumis à la réglementation de l’UE aussi longtemps qu’il décide d’avoir des relations commerciales avec elle. D’après son analyse, les liens entre les uns et les autres seraient, même en cas de Brexit, très nombreux : en effet, 52% des échanges commerciaux de biens du Royaume-Uni sont faits avec les autres membres du marché unique, ainsi que 42% du commerce de services. Même 30% des services financiers sont fournis à des clients européens.

Le Centre for European Policy Studies(CEPS), dans une publication intitulée Britain’s Future in Europe : the known Plan A to remain, or the unknown Plan B to leave, édité par Michael Emerson, apporte aussi quatre bons arguments pour expliquer pourquoi le Royaume-Uni ne pourra jamais vraiment quitter l’UE.

Quelles sont les conséquences légales du Brexit ?

La transition ne serait pas aussi automatique que les partisans du Brexit l’admettent. Prenons l’exemple des directives : par leur nature, ce type de régulation européenne est « transposé » dans la législation nationale du Royaume-Uni. Cela implique que leur contenu, même après la rupture, continuera à faire partie du droit britannique et qu’il ne cessera de s’appliquer que dans le cas où le Gouvernement décide de les modifier ou de les abroger. Compte tenu du fait que nombreuses directives concernent des aspects techniques sur la fabrication des produits ou la régulation du secteur des services, il est probable que l’exécutif britannique décidera de garder une certaine harmonisation avec les standards du marché unique européen.

Un cas différent serait celui des règlements européens, car par nature ceux-ci entrent en vigueur directement lorsqu’ils sont adoptés par les institutions européennes. Ils perdraient donc leur validité automatiquement ; mais les implications d’un tel vide légal est un bon sujet de recherche juridique, que personne n’a voulu entreprendre jusqu’à présent.

Quels nouveaux rapports commerciaux entre le Royaume-Uni et le monde ?

Tous les accords internationaux entre l’UE  et des pays tiers cesseraient d’être appliqués au Royaume-Uni, qui serait obligé de démarrer les négociations pour obtenir des accords commerciaux bilatéraux avec chacun d’entre eux, y compris l’UE. Pourtant, ces négociations sont longues et complexes car elles touchent des secteurs tels que les finances, les transports, les services, les droits d’auteur, les marchés publics, etc. Puisque ces pays tiers considéreront le Royaume-Uni comme un partenaire commercial utile mais secondaire par rapport à l’UE, déclare le CEPS, il y aura besoin de s’adapter aux meilleures conditions offertes par l’UE même pour sécuriser un bon accord avec ces tiers pays.

Cette situation serait encore plus évidente lorsqu’une Grande Bretagne indépendante aura l’intention de vendre ses produits dans le marché unique. Entre toutes les options disponibles pour établir un rapport avec l’UE, le CEPS en souligne une qui serait la moins perturbatrice : demander l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE) au même titre que la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. Cela impliquerait pourtant de conserver toutes les réglementations du marché unique, présentes et futures, sans que le pays puisse participer à leur rédaction.

La fin des échanges culturels et sociaux ?

Aujourd’hui, il y a une majorité de jeunes qui adhèrent à ce que l’on appelle la « génération Erasmus » : il y a de plus en plus d’étudiants qui passent au moins un an de leurs études dans une université étrangère. Pour eux, le retour aux anciennes perspectives nationales fermées est une proposition absurde, affirme le CEPS. Il convient en outre de rappeler, mentionne ce think-tank, que le Royaume-Uni est le principal bénéficiaire des fonds de recherche européen et que ses scientifiques sont parmi les plus intégrés dans le réseau européen de la recherche, que ce soit dans le domaine des sciences sociales ou naturelles. Dans quelle mesure le Brexit pourrait affecter ces dynamiques ? C’est difficile à prévoir admet le CEPS,.

Grâce à l’espace de libre-échange, d’autres liens ont été noués : par exemple, les compagnies aériennes offrent des billets moins chers, les britanniques ont le droit de prendre leur retraite en Espagne et les jeunes peuvent envisager de déménager avec des garanties dans d’autres pays. L’étendue et l’intimité de ces liens devient apparentes seulement quand elles sont perturbées. Ainsi, poursuit le CEPS, il faudrait imaginer quel aurait été l’épilogue de la crise des migrants de Calais, au cours de l’été 2015, sans l’autorisation des Français que les gardes des frontières britanniques puissent opérer sur le sol français : un scénario probable si le Brexit se produisait.

Quel poids politique pour le Royaume-Uni dans le monde après leur sortie ?

Pour le CEPS, enfin, l’UE sert comme multiplicateur des intérêts britanniques dans le monde. Par exemple, aujourd’hui au Conseil de sécurité de l’ONU, la France et le Royaume-Uni sont perçus par les autres membres comme les représentants de l’Europe. Le think-tank soutient qu’une Grande-Bretagne indépendante serait considérée comme un anachronisme, surtout en la comparant au pouvoir croissant du Brésil, de l’Inde, de Chine ou du Japon. Par conséquent, même si le pays reste très connecté politiquement au destin de l’Europe, ses vues et recommandations perdrait du pouvoir politique. Cette perte d’influence a été dénoncée aussi par Obama lors de son tour européen fin avril.

Le mythe de la souveraineté

Pour Bruegel, le Royaume-Uni est un pays très influant et très puissant qui aura toujours une forte influence dans le monde ; la question qui se pose, cependant, est de savoir si cette influence sera plus grande en restant ou en quittant l’UE. André Sapir et Guntram B. Wolff nous rappellent qu’avec le dossier des services financiers dans les mains d’un commissaire européen britannique, le pays détient une position clé dans le processus de prise de décision dans un domaine d’intérêt majeur comme celui-ci pour l’avenir de la Grande Bretagne.

Bruegel admet, tout de même, que l’isolement pourrait garantir un certain niveau de « souveraineté » aux hommes politiques britanniques, si l’on comprend le terme dans un sens très restreint, mais le coût de cet isolement est très élevé pour une économie traditionnellement ouverte comme la britannique. En réalité, sortir de l’UE n’impliquerait qu’une perte réelle de souveraineté par rapport au statu quo, pointe le think-tank. La souveraineté, comprise dans ce sens aussi restreint, ne serait donc qu’un mirage, nostalgique mais inopérant de nos jours.

Il peut sembler alarmiste aujourd’hui d’invoquer le fantasme des nations européennes à nouveau en guerre, admet Bruegel, mais dans un monde où le pouvoir et l’influence européenne sont en forte baisse, où des formes autoritaires de gouvernement sont à l’affût, où l’Europe n’a pas de moyens simples pour se prémunir contre les conséquences des conflits qui se déclenchent devant ses frontières, la nécessité d’une coopération étroite entre les États européens (y compris la Grande Bretagne) n’a jamais été aussi impérieuse. Le Royaume-Uni et le reste de l’Europe ont besoin l’un de l’autre. C’est pourquoi une chose est certaine : le Royaume-Uni fera toujours partie de l’Europe, quel que soit le résultat du 23 juin.

Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ

(mai 2016)

Pour aller plus loin :

La Grande Bretagne fait partie de l’Europe, de gré ou de force, par Nick Witney, de l’European Council of Foreign Relations (en anglais)

Le mythe de la souveraineté britannique, par André Sapir and Gutram B. Wolff, de Bruegel (en anglais)

L’avenir de la Grande Bretagne en Europe : le plan A (rester) ou le plan B (partir), édité par Michael Emerson, du Centre for European Policy Studies (en anglais)