Le désenchantement démocratique n’est pas inéluctable (Cynthia Fleury, Rodolphe Durand)

Lors du petit-déjeuner-débat HEC en partenariat avec l’institut Viavoice, animé par Fabrice Lundy (BFM Business), la philosophe Cynthia Fleury et le professeur et auteur Rodolphe Durand se sont attachés à définir « le désenchantement démocratique », voire la crise de la démocratie (représentative) que nous traversons. L’année 2016, observe Fabrice Lundy en introduction, est symptomatique de cette crise, avec notamment le Brexit, et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis…

Le prisme d’explication avancé par Rodolphe Durand réside dans le processus de formation de l’identité d’un individu. Cette identité se forme, selon lui, à travers l’organisation à laquelle appartient l’individu, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’une collectivité, d’une marque, de produits ou de services. En ce sens, « le désenchantement du monde reflète la désorganisation du monde ». Loin d’être « individualiste » et solitaire, tout individu est à la recherche d’une appartenance à une organisation collective. D’ailleurs, pour Cynthia Fleury, le désenchantement du monde se traduit aussi par une redéfinition de l’engagement, qui peut passer par l’entrepreneuriat, destiné à « réinventer le monde de l’individu », l’engagement associatif ou encore les mouvements citoyens de participation politique, dans leurs formes anciennes ou actuelles.

Les signes du désenchantement démocratique reflètent une recomposition de l’espace politique

Les votes qualifiés de populistes, comme l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, relève la philosophe, sont une réaction à ce que les deux intervenants du petit-déjeuner débat ont qualifié de « réalité sociale », celle de « déclassement » en particulier. Il s’agit aussi pour de nombreux électeurs de critiquer la réalité d’un monde économique, tel qu’il leur apparaît, à savoir autonomisé du social et déconnecté des vies réelles.

Par ailleurs, à propos du surgissement d’un vote  « rebelle » et « surprise », Cynthia Fleury rappelle l’importance d’une règle élémentaire à tout scrutin, mais qui est désormais utilisé comme une arme : le secret du vote pour les citoyens, lui permet de mettre en œuvre une véritable stratégie de la dissimulation. Cette dernière reflétant, à ses yeux, une forme de résistance.

La critique des élites : une simplification reflétant la vigueur démocratique

Parmi les signes de désenchantement, la critique des élites. Les positions de Cynthia Fleury et Rodolphe Durand se  retrouvent quant à la critique des élites dans les sociétés. D’une part, il s’agit selon le professeur à HEC Paris d’une simplification de la réalité, qui doit plutôt se traduire par une remise en question du renouvellement et de la circulation de ces élites, tout autant que du risque de captation de rentes ; d’autre part, la philosophe Cynthia Fleury relève que l’inquiétude liée à une démocratie malade révèle, en fait, dans un paradoxe apparent, la bonne santé habituelle et connue de cette démocratie.

Mais comment ré-enchanter la démocratie…

Rodolphe Durand, percevant aussi les évolutions positives au sein de nos sociétés, évoque l’importance des  mutations à l’œuvre au sein des organisations, qu’il s’agisse des investissements responsables ou de « décarboner » l’économie. De même, le professeur en stratégie des organisations rappelle l’importance des nouvelles formes de management, du rôle des cadres intermédiaires assurant le lien entre terrain et top management, ainsi que la prise en compte de l’humain et des soft skills, l’ensemble des qualités humaines valorisables – et non quantifiées – du manager.

Cynthia Fleury, auteure d’un ouvrage devenu de référence sur le courage (La fin du courage: la reconquête d’une vertu démocratique; 2010) et Rodolphe Durand, auteur d’un livre sur les organisations en marge (L’organisation pirate: essai sur l’évolution du capitalisme, 2010), ont ensuite évoqué l’importance des formes disruptives d’organisations ou l’impact des mouvements citoyens, qui permettent de faire « revivre » la démocratie. C’est aussi l’exemple de chercheurs qui s’autonomisent de l’Université pour exprimer pleinement leur potentiel.

Pour Rodolphe Durand, qui évoque le cas de la brevetabilité du vivant, c’est la mise en œuvre de nouveaux modes de brevets pour permettre à des inventeurs d’exprimer pleinement leur créativité ; préfigurant ainsi une des nouvelles grandes conquêtes de l’histoire dans différents domaines. « Les organisations pirates » apportent un espace de liberté nouveau, bousculant le marché et les institutions, qui réintégreront ensuite ces éléments disruptifs.

Pour Cynthia Fleury, il s’agit aussi du revenu universel qui, s’il était appliqué, constituerait une rupture majeure dans nos sociétés, les faisant basculer dans un autre univers économique et constituant un « deuxième âge de l’Etat providence ».

 L’enjeu de la « capacité » citoyenne

L’enjeu de la démocratie, complexe en ce qu’elle demande des compétences fiscales, économiques, est véritablement celui des capacités. Il s’agit pour Cynthia Fleury de permettre aux citoyens de se réapproprier la démocratie, par exemple à travers la mise en place de temps citoyens au sein des entreprises ou un nouvel apprentissage à l’école de l’éducation civique.

Ainsi, il convient d’anticiper ces changements, ces critiques aussi, avec optimisme. Les formes disruptives des institutions en place, auteurs de la démocratie et qui s’imposent en nouvelles autorités ne sont qu’une forme de ré-enchantement de la démocratie. Pensons aux mouvements citoyens de participation politique tels que « les primaires citoyennes », ouverte à l’exercice du droit de vote. En effet, le constat établit par L’Observatoire de la démocratie 2016, (avec La Revue Civique, la Fondation Jean Jaurès, France Inter, LCP et La Presse régionale), est bien aussi celui d’un grand attachement des citoyens à la démocratie, et leur appétit à y participer, de manière directe et constructive.

V.D.