« Source » et « horizon » d’engagement: Paul Quilès livre à La Revue Civique sa conviction

Quelle a été « la source », le déclic s’il en est, de votre engagement ? Et le fil conducteur jusqu’à aujourd’hui, l’enjeu majeur qui mérite un engagement renouvelé ? Ancien Ministre de la Défense, compagnon de route de François Mitterrand, Paul Quilès répond ici à La Revue Civique. En ajoutant son diagnostic sur la chute du Parti socialiste mesurée dans les études d’opinion. Entretien.

La Revue Civique : Quelle a été votre « source d’engagement », la raison fondamentale et le déclic personnel qui, à l’origine, a enclenché votre engagement dans la vie publique ?

-Paul QUILES : Ma source d’engagement se trouve certainement dans l’éducation que j’ai reçue de mes parents et notamment de ma mère, qui avait une conception dynamique de la religion catholique. Même si je n’ai plus la foi aujourd’hui, les valeurs qui m’ont été enseignées à cette époque (le souci de l’autre, le refus des inégalités…) demeurent fondamentales dans les actions que je mène. De plus, l’exemple de mon père, officier d’active et engagé dans plusieurs guerres, m’a servi et me sert toujours pour faire face à l’adversité.

Quant à mon engagement dans la vie publique, c’est un cheminement plus qu’un déclic qui m’a amené à m’intéresser au syndicalisme dans un premier temps, ce qui a surpris beaucoup de monde, puisque j’étais polytechnicien et cadre dans une multinationale et que cela semblait contradictoire !

Du syndicalisme hier à son blog d’aujourd’hui :  » comprendre, vouloir, agir « 

Puis, les évènements (Mai 68, la création du PS en 1971) m’ont amené à regarder de plus près la politique et donc la vie publique. Cet engagement a été progressif et de plus en plus visible, en m’efforçant de rester fidèle aux valeurs léguées par mes parents. Mon mode d’action n’a pas changé. Il se résume par une devise, que j’ai utilisée comme titre de mon blog : « comprendre, vouloir, agir »

-Et aujourd’hui, quelle est, selon vous, l’enjeu majeur qui nécessite le plus, selon vous, un engagement public renouvelé ?

-Pendant les 14 années que j’ai passées comme ingénieur dans une entreprise pétrolière, je me suis intéressé à tout ce qui concernait les conséquences de la hausse du prix des hydrocarbures et à la crise de l’énergie qui menaçait. Dès 1972, j’avais lu avec intérêt le rapport du Club de Rome, qui, malgré quelques insuffisances, alertait déjà sur la dégradation de l’environnement et l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables. J’ai alors consacré une partie de mon engagement à ces questions : création de l’ADEN- Association pour le Développement des Energies Nouvelles, avec Alain Bombard et Haroun Tazieff, action auprès de François Mitterrand pour refuser la centrale nucléaire de Plogoff…

Les fonctions que j’ai exercées dans la direction du PS, comme député puis comme Ministre, m’ont conforté dans l’idée que ces alertes n’étaient pas suffisamment prises en compte dans les politiques menées tant sur le plan national qu’international.

Engagement actuel: alerter sur « le danger que fait courir à la planète l’existence de redoutables arsenaux d’armes nucléaires »

S’est ajoutée progressivement ma prise de conscience du danger que faisaient (et font toujours) courir à la planète l’existence de redoutables arsenaux d’armes nucléaires et leur éventuelle utilisation. Cette deuxième menace, qui s’ajoute à celle d’une dégradation irréversible de l’Environnement, constitue l’essentiel de mon engagement actuel, à travers l’action de l’association que je préside (IDN- Initiatives pour le Désarmement Nucléaire).

Une troisième menace transparaît clairement dans l’actualité que nous vivons : celle du maintien dans la durée de pandémies aux conséquences économiques, sociales et humaines incalculables.

L’enjeu majeur de ce que vous appelez un « engagement renouvelé », est donc clair : il s’agit de répondre aux trois risques qui menacent les générations futures et que je viens de brièvement décrire.

-Vous avez été un compagnon de route et Ministre de François Mitterrand, qui avait su développer le PS jusqu’à l’amener au pouvoir. Comment expliquez-vous les déconvenues de cette formation qui est descendue très bas lors des dernières élections (la présidentielle de 2017, puis les européennes de 2019), chute confirmée par les récentes études d’opinion sur les intentions de vote qui ne placent le PS qu’au troisième rang des mouvements de gauche, après les «Insoumis» de Jean-Luc Mélenchon et Europe Ecologie Les Verts de Yannick Jadot ?  Comment cette famille socialiste peut-elle éventuellement se redresser, selon vous, d’ici 2022 ?

-J’ai trop d’expérience des sondages pour leur accorder une importance qu’ils n’ont pas. Ils fournissent à un moment donné une indication sur l’état de l’opinion mais l’histoire récente montre à quel point ils peuvent être peu pertinents pour prévoir ce qui se passera un an plus tard (Emmanuel Macron en 2016) ou seulement quatre mois plus tard (François Mitterrand au début de 1981), sans parler des perturbations liées à un événement comme la pandémie actuelle.

Au PS, « aujourd’hui, il est clair que l’absence de leader incontesté encourage l’expression d’égos parfois démesurés, qui découragent autant les électeurs que les militants »…

Les « déconvenues » du PS ne s’expliquent pas seulement par des insuffisances ou parfois des erreurs dans la direction du parti depuis quelques années. Elles sont les conséquences d’une évolution qui a commencé au début des années 2000, avec l’incapacité à régler les conflits internes par des compromis et, selon le langage du PS, des « synthèses ». L’exemple le plus clair est l’affrontement créé par le référendum interne sur la Constitution européenne, organisé par François Hollande, dont le résultat a été contredit par le vote des Français six mois plus tard. L’inefficacité des primaires pour désigner un candidat à l’élection présidentielle n’a pas non plus contribué à l’efficacité des socialistes et au rassemblement de la gauche.

J’ai dû constater avec regret que mes efforts, avec des responsables de différentes formations de gauche, pour préparer des programmes de rassemblement avaient échoué (association « Gauche Avenir »)

Aujourd’hui, il est clair que l’absence de leader incontesté encourage l’expression d’égos parfois démesurés, qui découragent autant les électeurs que les militants. De moins en moins nombreux et sans formation de base, ceux-ci ne sont plus incités aux tâches traditionnelles d’un militantisme qui a fait la force des partis. Contrairement aux affirmations d’Emmanuel Macron il y a trois ans sur la disparition des partis, de la droite et de la gauche et même de la politique, ces concepts du monde d’avant sont toujours présents, malgré les réseaux sociaux et les contraintes imposées par la pandémie. Son parti, ses militants et ses élus ont pu s’en rendre compte !

Avant de savoir si la famille socialiste a des chances de se redresser avant 2022, il va falloir observer sa capacité à formuler clairement une méthode : annoncer des objectifs, définir une stratégie, poser des actes de rassemblement, faire baisser l’expression publique des égos. Alors, peut-être, l’espoir pourra revenir.

Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET

(29/01/21)

-Le blog de Paul Quilès

Entretien sur l'engagement de Paul Quilès avec La Revue Civique
De Mitterrand à… Jaurès (livre paru aux éd. Cherche-Midi).