Pascal Perrineau: « Discrédit aggravé »

Pascal Perrineau

L’analyse du Directeur du Cevipof

« La montée de la défiance envers les politiques peut déboucher sur une poussée du populisme, mais aussi se tourner vers une personnalité faisant partie du système » estime le politologue.

Le baromètre annuel du Cevipof (Centre d’étude de la vie politique française) et de l’institut Pierre Mendès France a le mérite de la constance et de permettre de percevoir les tendances lourdes. On croyait le plancher du discrédit des politiques déjà atteint. Et bien non, les indicateurs montrent que la situation s’est encore aggravée en ce qui concerne l’état d’esprit général des Français et leurs relations avec les décideurs politiques.

Ce baromètre, réalisé par OpinionWay, montrait dés le début d’année la tendance : le moral des Français est de plus en plus en berne. Les qualificatifs qui caractérisent le mieux leur état d’esprit ? Arrive en tête « la lassitude » (34% des réponses), suivie de 28 % « la méfiance » (28%) et de « la morosité » (28%). En un an, la «lassitude» a gagné 8 points pour l’ensemble de la population, 11 points chez les moins de 35 ans et 13 points au sein des professions intermédiaires. Le pessimisme général progresse. Ils sont plus nombreux (+ 7 points) que l’année dernière, une large majorité passée à 57 %, à estimer qu’un événement récent leur a fait perdre confiance. Sans surprise, l’événement majoritairement cité est la crise économique et financière. « Cela montre à quel point les Français sont désabusés, note Pascal Perrineau, Directeur du Cevipof dans Le Monde, non seulement ils se voient dans un tunnel mais ils sont persuadés d’y être pour longtemps ».

La défiance exprimée envers les politiques, sans être nouvelle, s’est aggravée. Alors qu’en 2009, 56% des Français n’avaient déjà confiance ni en la droite ni en la gauche pour gouverner, ils sont désormais 60 % ! Tous les types de personnalités politiques, même les élus locaux sont touchés. Le taux de confiance baisse de 13 points pour le maire, de 11 points pour le conseiller général et régional. Pour « le président de la République actuel », le taux de confiance a encore baissé pour atteindre le plus bas niveau de confiance tous types de personnalités politiques confondues avec 29 % de confiance, 65 % déclarant ne pas avoir confiance en lui. Pour « le Premier ministre actuel», le déséquilibre est moins fort : 38 % de confiance (56% de non confiance).

Pascal Perrineau relève aussi que les Français restent très majoritaires (56%) à penser que voter est « la meilleure façon d’influer sur les décisions prises dans le pays ». Ce qui pour lui est à la fois rassurant et inquiétant. Rassurant car, malgré la défiance et la colère qui montent, «les Français ne veulent pas brûler le navire et restent attachés aux outils de la démocratie représentative». Inquiétant, car « la scène électorale, en redevenant centrale, risque de canaliser le sentiment de défiance».

Le Directeur du Cevipof observe que  « les promesses non tenues » participe largement au désamour : la chute de confiance dans les politiques, indique Perrineau dans le JDD, «est bien la sanction des promesses non tenues. Les Français ont l’impression que la scène politique nationale n’est plus qu’un théâtre d’ombres, que les élus sont impuissants à répondre aux problèmes de la société, dépassés par les forces internationales… Cette défiance est à la mesure de la demande de protection, économique et sociale, mais aussi culturelle. Je suis frappé, ajoute-t-il, de voir combien a baissé la confiance vis-à-vis des étrangers et des immigrés. Dans ce contexte, on mesure l’ampleur du travail de conviction à venir pour les futurs candidats à la présidentielle»…
«Cette montée de la défiance, analyse-t-il, peut déboucher sur un abstentionnisme protestataire ou sur une poussée des populismes de droite ou de gauche. Les électeurs peuvent aussi se tourner vers une personnalité faisant partie du système. La popularité de François Fillon ou de Dominique Strauss-Kahn montre qu’un certain discours pédagogique, austère peut avoir autant de succès que le populisme. En fait, les qualités de gestionnaires, d’homme de la situation face à la crise détermineront sans doute pour une large part les résultats de 2012 (…) les Français voient toujours dans les élections le meilleur moyen de changer les choses. Mais, plutôt que des utopies, ils attendent qu’on leur décrive un cap à cinq ou dix ans. Dans cette crise de confiance, il y a beaucoup de demandes, et aussi un peu d’espoir».

Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF
(in La Revue Civique N°5, printemps-été 2011)