Historien, chercheur essayiste – il est notamment l’auteur de « L’internet de la haine » (Berg international) sur la propagation des thèses racistes et antisémites – Marc Knobel nous adresse ce billet d’humeur, sur les dangers que portent Marine Le Pen, par ses mots et derrière ses mots. Il dénonce ce registre qui consiste à « faire peur, effrayer, tétaniser, se nourrir de nos doutes, de nos peines, de la misère »…
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Quelle langue parlez-vous donc Mme Le Pen ? Serait-ce du Français, vraiment ? Mais alors, de quelle langue s’agit-il, au juste ? Quels sont vos mots étranges et furieux, lorsque pour protéger les plus faibles d’entre nous, dîtes-vous, vous prononcez des mots accusateurs. Ils stigmatisent, salissent, écartent, provoquent, distinguent et hiérarchisent. Quelle est donc cette langue étrange, Madame Le Pen, qui cherche à blesser, à distinguer, à détacher, à croiser le fer, et se répandre ainsi, comme une joute et pas seulement oratoire ? Comme si, de votre bouche, et au plus proche ou loin de votre personne, il ne pouvait y avoir qu’un grand règlement de compte: faire table rase du passé en un esprit de revanche ? Est-ce cela votre rêve ? Pour faire mouche, vous abusez des images effroyables. Est-ce là votre seule stratégie ?
Car, vous ne semblez voir de la France que son irréversible déclin, n’est-ce pas ? Alors, vous effrayez votre monde avec l’idée qu’il pourrait y avoir un grand remplacement. Vos mots puisent dans l’énoncé brutal, lorsque vous semblez pointer du doigt le péril qui pourrait avoir comme seul nom l’étranger, l’immigré, le réfugié, le terrorisme, la mort, l’Islam, le Juif ? Quoi d’autre, encore? Quoi d’autre, enfin ?
«Comme s’il était trop difficile que vous ne viviez le monde autrement que par un grand règlement de compte »
Je vois vos gestes, j’entends vos mots. Est-ce ainsi que votre langue est faîte, Madame Le Pen ? Pour faire peur, effrayer, tétaniser, se nourrir de nos doutes, de nos peines, de la misère ? S’en gaver, jusqu’à plus soif ? Je n’entends alors de votre bouche que des mots blessants, lorsque vous parlez d' »oligarchie » ou que vous utilisez l’expression… « Marche ou crève » ; que vous chantez « les Français d’abord » et que vous prévenez: « Avec nous, avant qu’il ne soit trop tard »… « On est chez nous » est votre leitmotiv, votre mot d’ordre préféré. Vous l’aimez tellement, lorsque votre public se lâche enfin. Comme s’il était trop difficile que vous ne viviez le monde autrement que par le/un grand règlement de compte. Comme s’il était par trop difficile en votre langue de rêver d’une France apaisée, calme, sereine, respectueuse, tolérante, aimante, fraternelle ?
Mais, en votre monde imaginaire, vous savez chanter aussi la « France éternelle » et « mère Nature ». Vous imaginez que vous parlez au « nom du peuple » et que le peuple vous ressemble forcément. Vous pensez incarner alors le peuple, même si vous excluez de ce peuple tous ceux et toutes celles qui ne vous ressemble pas. Vous décrivez alors le bien, tel que vous voudriez qu’il soit, mais aussi la « famille », « l’ordre », « l’équité ». Un monde imaginaire, vous le savez, fait de votre imaginaire. Mais vous profitez de la profonde crise de sens, du doute, de la peur, du malaise, pour construire et reconstruire à votre guise, en réalité, une France mythifiée. Vous voilà enfin, telle que vous voudriez être sûrement, sorte de « cinquième fille de France », pour reprendre l’expression du paternel: Jeanne d’Arc, la sauveuse.
« Jeter en pâture telle minorité »
Au final, ce n’est pas de vous dont la France aurait besoin. Parce qu’il faut plutôt un Président qui prêche la tolérance et le respect et qui en appellerait constamment à l’unité, là où l’on ne sent quelquefois avec vous et vos proches que la division et encore la stigmatisation. Un Président qui rappellerait les fondamentaux en République: que nous sommes égaux en droit, là où certains autour de votre entourage veulent forcément exclure, décrier, bafouer, jeter en pâture telle ou telle minorité.
Un Président qui unifierait la Nation et défendrait la liberté et l’égalité en rappelant que nous sommes fils et filles de France, quelle que soit notre religion et notre couleur de peau. Là où d’autres veulent défendre leur pré carré unique et veulent jusqu’à interdire les signes religieux dans les rues. Vous le savez, ceux-là ont un autre rêve, vous aussi? Celui d’une soi-disant France de souche -DE SOUCHE- et d’une interminable ligne Maginot, ligne imaginaire, futile, de papier, en réalité.
Mais, dans notre Panthéon, Madame Le Pen, il n’y a ni Clovis, ni Maurice Barrès, encore moins Charles Maurras. Mais des gens comme Aznavour, Yves Montand, Emile Zola, Joseph Kessel, Marc Chagall, Pierre Tchernia, Robert Hossein ou… Enrico Macias. Ils parlent une autre langue que la vôtre. Du Français, mais avec des mots qui chantent et aiment la France.
Et, au fond, la France, voyez-vous, ce n’est pas que le ramassis de vos fantasmes. La France est grande.
Elle continuera de l’être malgré vous, après le 7 mai.
Marc KNOBEL
(03/05/17)