Et si aux trois W, qui portent une révolution de la communication et des savoirs sans nulle autre pareille, il fallait ajouter un quatrième W ? Quatre W qui symbolisent le rôle central que jouent les femmes dans Internet « en y apportant un vent de liberté, d’ouverture et de générosité… », écrit David Lacombled, Directeur délégué des stratégies de contenu du groupe Orange et Président du think-tank « la Villa numéris » : « Et si, finalement, la révolution numérique était leur révolution ? »
Dans le passé, les révolutions, qu’elles aient été techniques, industrielles ou politiques, se sont souvent faites sans les femmes. Quand les condottieres masculins se chargeaient de transformer la technologie, de bousculer l’industrie ou de changer le monde, les femmes semblaient curieusement absentes de leur plan. Pire, certaines révolutions se sont même faites contre elles. Combien de progrès et de libéralisations – que l’on pense seulement aux différentes révolutions industrielles – se sont soldés pour les femmes par toujours plus d’aliénations ?
Avec Internet, pour la première fois, une révolution semble se faire avec elles. Au départ, ce ne fut pas tout à fait le cas. Internet fut d’abord une stricte affaire militaire et informatique : donc une affaire essentiellement d’hommes. Il est vrai que le monde d’Arpanet, de la technologie des pionniers d’Internet et des Géo Trouvetou de la programmation des mastodontes d’ordinateurs de l’époque, n’avait que très peu de liens avec l’univers féminin… Mais depuis, l’informatique comme on le sait s’est transmuée en numérique, la technicité a cédé la place à l’intuitivité, l’exceptionnel est devenu le quotidien, et les femmes ont regagné le terrain que les hommes avaient pu préempter au départ.
Internet : l’échappée belle féminine
Les chiffres traduisent éloquemment cette échappée belle féminine dans le monde numérique : si moins de 30 % des internautes étaient des femmes en 2000, elles sont aujourd’hui près de 50 %.
Mais, au-delà des chiffres, c’est la présence féminine sur Internet qui se révèle indiscutable : les femmes investissent en nombre et en qualité les espaces numériques à travers les blogs, les réseaux sociaux ou les forums dont la plupart se révèlent être de composante plus féminine que masculine.
C’est aussi ce que révèle l’Observatoire Orange- Terrafemina qui, depuis mars 2010, se charge d’analyser les rapports qu’entretiennent Internet et les femmes, notamment en leur donnant la parole à travers des tables rondes organisées par l’agence Treize Articles. Au fil des livraisons de l’Observatoire, une certitude se dégage : les femmes entretiennent avec Internet un lien puissant. Mieux, des affinités électives. Avant toute chose, elles ressentent une réelle connivence avec un outil en phase avec les valeurs dites féminines. L’intuition, le sens de l’échange et du partage, l’expression de la créativité et de la liberté constituent pour elles autant de valeurs qui qualifient Internet et forment un contrepoint bienvenu avec le pouvoir, les règles, la puissance du statut qui régissent d’une manière générale les rapports humains dans la vie sociale et économique. Pour elles, Internet représente un outil facilitateur à leur disposition leur permettant pleinement d’assumer leur liberté, leur désir de réussite et l’organisation de leur vie professionnelle. Longtemps apanage masculin, elles ressentent que la liberté d’entreprendre est rendue possible grâce à Internet.
Elles y expérimentent aussi un surcroît de liberté, là où la vie réelle porte fatalement vers plus d’inhibition. C’est le cas notamment par rapport à la rencontre amoureuse que les sites de rencontres via Internet contribuent à rendre plus naturelle, plus acceptable socialement, moins transgressive ou disqualifiante. Mais aussi face aux jeux d’argent, où elles se sentent libres de jouer chez elles, alors que se rendre dans un PMU constitue un obstacle rédhibitoire. Ou encore, face à certains pouvoirs de prescription, comme par exemple celui la médecine, où Internet offre la possibilité de se faire « son propre chemin » de prescription en croisant les différentes sources d’information.
Dans cette expérimentation de leur liberté, les femmes interrogées par l’Observatoire Orange-Terrafemina se sentent aussi portées par l’échange, la solidarité et le partage – notamment entre femmes – qu’Internet permet. Bref, Internet et ses blogs, ses forums, ses réseaux sociaux sont vécus par les femmes comme des vecteurs de leur liberté d’expression tout autant que comme l’expression de leur liberté.
S’ajoute à cela un autre élément de connivence. Internet possède pour elle une ergonomie et une souplesse en parfaite résonance avec leur mode de vie en s’intégrant comme du « sur-mesure » à leur quotidien. À tel point, que certaines soulignent – non sans une pointe d’ironie – que la femme partage avec les digital natives la capacité de mener à bien plusieurs choses en même temps !
Internet : paritaire par essence
Face à une telle symbiose avec Internet, on serait tenté d’évoquer l’existence d’un Internet féminin ou de souligner une façon féminine d’investir Internet. Comme on avait pu un temps se poser la question de savoir s’il existait un vote féminin ou une façon féminine de voter. En réalité comme pour le vote, la réponse est négative. Et qu’il n’y ait pas de spécificité féminine dans l’utilisation d’Internet constitue à y regarder de près une très bonne nouvelle… pour les femmes. Car s’il n’existe pas d’Internet féminin, c’est bien parce que par nature Internet est égalitaire. Paritaire par essence. Et si la révolution numérique semble être la première révolution dans laquelle les femmes entrent de plain-pied au même niveau que les hommes, c’est parce que le réseau est plus porteur de savoir que de pouvoir, plus mû par l’intelligence que par l’ordre, plus animé d’intuitions que de certitudes. De cette manière Internet met en défaut le male bond – ce lien masculin invisible, mais bien réel – qui a façonné – et continue de façonner – la vie politique et économique.
Internet : l’ouverture au féminin
Ce que les femmes ont parfaitement saisi d’Internet en l’adoptant comme outil naturel, c’est sa capacité à développer toutes les formes d’ouverture. En effet, on constate que la révolution numérique est créatrice de nouvelles frontières et de nouveaux espaces de liberté. Il y a d’abord l’ouverture vers de nouvelles citoyennetés. En effet, on constate que depuis la naissance d’Internet et des réseaux sociaux (Facebook, Linkedin, Twitter…), une nouvelle forme d’appartenance sociale et citoyenne se dessine. Une citoyenneté qui n’est plus restreinte à son seul pays d’origine mais à une communauté libre d’échange transnationale. Une nouvelle forme de citoyenneté – que l’on pourrait appeler cybercitoyenneté ou citoyenneté numérique – émerge animée par les valeurs que chaque réseau développe : la diversité, l’échange, l’ouverture, la vision internationale, la foi en l’information… Une nouvelle citoyenneté qui transcende les nationalités et qui, du reste, inquiète certains dirigeants par le souffle de liberté qu’elle porte.
Il y a aussi l’ouverture à une nouvelle générosité. En effet, une nouvelle forme de solidarité se met en place. Son efficacité a été testée notamment pour Haïti, lors du séisme de 2010 qui a vu se lever un élan de solidarité remarquable de par le monde. Grâce aux téléphones portables, un service “Text Haiti” a permis la collecte de dons et la coordination des organisations d’assistance aux victimes par téléphonie : le simple fait d’appeler un numéro débite son compte d’un montant dirigé directement et intégralement aux victimes. Une même impulsion mêlant générosité et efficacité technologique a pu être observée pour le Japon touché par un tsunami en mars 2011. Une aide mondiale qui a eu pour vecteurs Internet, Skype et les réseaux sociaux. Une générosité qui peut s’exprimer partout et par tous grâce à l’utilisation des nouvelles technologies comme moyen de paiement, et notamment de son téléphone mobile. Mais aussi, en offrant via le numérique du temps, le temps éminemment précieux de la transmission du savoir et des techniques. Grâce à ces développements et à Internet, chaque citoyen peut, s’il le souhaite, se muer en cyberphilanthrope…
Il y a enfin l’ouverture à de nouvelles libertés. Le monde entier a été spectateur du rôle qu’ont joué Internet et les réseaux sociaux lors des Printemps arabes notamment en Tunisie et en Égypte, mais aussi au Yémen… On a pu constater que sans Twitter et Facebook, les jeunes Tunisiens et Égyptiens n’auraient pu aussi aisément éviter la censure, se concerter, et organiser leur révolte. Le vent de la démocratie a soufflé depuis les réseaux sociaux et a réussi à faire tomber les régimes en apportant l’éclatante démonstration que, désormais, la société civile possédait ses propres armes pour lutter contre les dictateurs. Et ces derniers ont pu constater que l’Internet était tout sauf virtuel.
Dans toutes ces actions d’ouverture au monde, les femmes se trouvent aux avant-postes. Elles agissent au coeur même de la révolution numérique. Citoyenneté, philanthropie, libertés civiques sont autant de domaines où oeuvrent une grande majorité de femmes. Par leurs ac tions, c’est la liberté des hommes qui se joue et à travers elle, celle des femmes.
Cette révolution numérique ouvre donc une perspective nouvelle pour les femmes : pas celle de conquérir une liberté sur Internet – puisque celle-ci leur est acquise – mais plutôt via Internet. En utilisant cet outil paritaire, porteur d’ouverture et de liberté comme un adjuvant au service d’une plus grande égalité et une plus grande justice dans la vie réelle. L’enjeu pour les femmes va être de s’appuyer sur les acquis d’Internet pour faire avancer toutes les formes d’égalités. La leur évidemment mais, partant, celle de la société tout entière.
Car si les femmes et la Toile sont tant en affinité, c’est parce qu’ensemble elles partagent le même destin : toutes deux, pour paraphraser Aragon, sont l’avenir de l’Homme, c’est-à-dire de l’humanité.
David LACOMBLED, Directeur délégué à la stratégie des contenus du groupe Orange, Président du think-tank « La villa numeris ».
(in La Revue Civique 8, Printemps-Été 2012)