Deux études de la Fondation Jean-Jaurès montrent que cette élection présidentielle est la plus volatile depuis la naissance de la Ve République. Le contexte très particulier à cette campagne ne contribue pas à la rendre moins imprévisible : la critique des partis traditionnels, perçus comme responsables des difficultés actuelles par une partie non négligeable de l’électorat, les affaires judiciaires bien sûr et l’envie de jouer le vote « antisystème », soit avec Marine Le Pen soit avec Emmanuel Macron, consolident des dynamiques totalement inédites dans une campagne présidentielle en France. L’étude « Qui sont les indécis ? », élaborée par Adrien Abecassis, Chloé Morin et Emmanuel Rivière, et « Présidentielle 2017 : ce qui peut faire basculer les indécis », de Guillaume Inigo, Chloé Morin et Adelaïde Zulfikarpasic, offrent des pistes pour décrypter les intentions de vote et les niches électorales auxquelles les présidentiables devront prêter particulièrement attention.
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Un premier constat illustre l’état d’esprit des Français sur le plan politique : à seulement six semaines du scrutin, tel que le relevaient les auteurs du rapport Présidentielle 2017 : ce qui peut faire basculer les indécis, l’intérêt des Français pour la campagne (71%) n’était guère supérieur à ce qu’il était il y a un an (70%), même si les indécis ressortaient comme davantage intéressés par cette élection que l’ensemble des Français (autour de 8 indécis sur 10).
Sur la nature du vote et la probabilité que les électeurs s’inclinent vers un candidat plutôt que vers un autre, Adrien Abecassis, Chloé Morin et Emmanuel Rivière ont développé une méthode permettant de « distinguer les socles relativement solides de chaque candidat, des réserves électorales mouvantes ». En fait, ils ont constaté que si cinq électeurs sur dix étaient solidement arrimés à un candidat et à un seul, quatre restaient indécis.
Venant de droite comme de gauche, la solidification de l’électorat d’Emmanuel Macron
À l’exception de Marine Le Pen, qui a pétrifié autour de sa candidature 19% des votants, les cœurs électoraux de tous les autres candidats restaient encore assez faibles, même si cela s’illustre à des degrés divers. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ne pouvaient compter chacun, au moment de l’étude, que sur 10% d’électeurs-socles, une proportion relativement stable dans le temps. D’une autre nature, pourtant, est la situation entre Emmanuel Macron et François Fillon, car leurs socles électoraux se sont croisés. Ces électeurs, que le rapport qualifie de « centristes », sont aussi ceux qui, après les dernières révélations touchant François Fillon, ont basculé le plus facilement – et naturellement – vers Emmanuel Macron.
Le candidat du mouvement En Marche semble bénéficier également du manque de crédibilité du candidat issu des primaires socialistes, Benoît Hamon. L’électorat de gauche se reconnaît pour partie dans la démarche d’Emmanuel Macron : 8% de cet électorat semble susceptible, explique le rapport, de basculer entre l’un et l’autre des deux candidats.
Dans cette perspective, l’étude confirme une tendance qui semble s’être renforcée tout au long du dernier mois de la campagne: le cœur électoral d’Emmanuel Macron est en voie de rapide solidification. Si ses électeurs assurés de leur choix n’étaient que de 11% en janvier, ils étaient 16% en mars. Cette dynamique est d’autant plus importante qu’il existe une large proportion d’électeurs (50%) de Jean-Luc Mélenchon pouvant basculer sur Benoît Hamon. Cette division de la gauche, relève les auteurs du rapport, ne peut que favoriser la dynamique d’Emmanuel Macron.
Quoi qu’il en soit, la règle d’or est bien la volatilité de l’électorat, soumis à des variations à l’ampleur inédite. Entre 45% et 50% des électeurs de Benoît Hamon peuvent céder, confirme l’étude, aux sirènes du vote utile et, finalement, voter Emmanuel Macron. Mais ce dernier disposait aussi, potentiellement, d’une part non négligeable de son électorat (20%) qui, en février ou mars, pouvait encore « retourner » chez François Fillon (même si celui-ci, aux vues des études d’opinions publiées dans la 2ème quinzaine de mars, continuait de subir une réelle érosion des intentions de vote, l’écart se creusant en faveur d’Emmanuel Macron).
La probité, élément important surtout au centre et à gauche
Au-delà de cette tendance, et liée aussi aux défiances ou au détachement démocratique, l’incertitude électorale, à moins d’un mois du 1er tour, était encore fortement perceptible. Le rapport « Présidentielle 2017 : ce qui peut faire basculer les indécis » soulignait que la probité des candidats apparaissait comme un élément important pour les électeurs les plus indécis, surtout à gauche et au centre. Des électeurs indécis qui pèsent lourd, puisqu’ils représentent à eux seuls 10% du total d’électeurs dans cette présidentielle. L’étude « Qui sont les indécis ? » distingue une catégorie, appelée « les vrais indécis », qui rassemble des Français disant vouloir aller voter mais sans savoir vraiment pour qui. Le rapport souligne que ces « vrais indécis » semblent plus attirés par Marine Le Pen et Emmanuel Macron, c’est-à-dire par les deux candidats perçus comme « antisystème » par leur positionnement, « ce qui en dit long », relèvent les auteurs, « sur la dynamique porteuse de cette campagne ».
Il apparaît clairement que les intentions de vote peuvent encore receler des surprises, mais un constat s’est établi: puisque les « cœurs électoraux » sont insuffisants pour assurer une qualification, les candidats qui s’adressent essentiellement à ces « cœurs électoraux » risquent de faire un faible score. Inversement, estiment les auteurs de ce rapport, la meilleure stratégie consiste à se tourner vers les larges réservoirs d’indécis: la victoire attendra celui qui saura les convaincre.
Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ
(mars 2017)
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