Pourquoi certaines entreprises ont-elles réussi dans la durée quand d’autres ont périclité ? Quelles sont les clés du succès ? Comment l’entreprise peut-elle et pourra t-elle avoir un succès durable dans un environnement économique fait de modèles novateurs, de révolution numérique et de concurrence notamment asiatique ? François Miquet-Marty, président de Viavoice, tente de répondre à ces questions dans son nouvel ouvrage « Secrets de croissance, l’entreprise-métamorphose, nouvel âge de l’entreprise » (Michalon).
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La Revue Civique : Pourquoi l’école en France développe peu la culture d’entreprise, et comment selon vous faire en sorte, plus généralement, de réduire les préjugés qui touchent l’entreprise ?
François Miquet-Marty : L’école effectivement, à travers les enseignements et la culture qu’elle transmet, développe peu la culture d’entreprise. Il est même possible de dire que la culture scolaire est sans rapport avec la culture d’entreprise. Un grand nombre de créateurs d’entreprises à succès, entrepreneurs dans l’âme, n’étaient non seulement pas de très bons élèves, mais ont construit leur « passion entrepreneuriale » contre l’école. Le restaurateur Guy Savoy ne s’en cache pas. Il soutient ne pas avoir supporté le carcan scolaire, celui des règles et des passages obligés, et affirme avoir dès l’adolescence couru après sa liberté.
Mais ne nous méprenons pas : en l’espèce, le défaut de l’école ne consiste pas uniquement à négliger « l’apprentissage du monde de l’entreprise » ; il est certes vrai que le fonctionnement des entreprises, leurs réalités commerciales ou financières, l’histoire même des entreprises sont peu enseignées à l’école. Mais l’essentiel n’est pas là. L’une des responsabilités de l’école pourrait être de transmettre davantage le goût de la liberté, de l’autonomie, de la responsabilité, de la conquête, de la passion ou de la ferveur comme disait Gide. Le moteur essentiel de l’entreprise est une passion de faire advenir l’avenir. En ce sens l’entreprise est une réalité indissociable du projet des Lumières au 18ème siècle, celui de faire advenir des mondes nouveaux.
Effectivement, les préjugés majeurs concernant l’entreprise se concentrent sur cette illusion : parler de l’entreprise en termes organisationnels, financiers, voire socialement conflictuels, alors que l’entreprise est d’abord un projet de société, une ambition humaine, un rêve d’avenir. Réduire les préjugés relatifs à l’entreprise passe par la promotion et illustration de cette idée simple : l’entreprise est avant tout un œuvre collective de réinvention du futur. Elle exige, pour s’épanouir durablement, à la fois un goût de la révolution, mais également une exigence de structuration. L’entreprise est une réalité Janus.
La Revue Civique : Quels seraient les acteurs les plus légitimes et efficaces pour porter une pédagogie positive de l’entreprise et sur l’entreprise ? Les politiques ? Les médias ? Les entreprises elles mêmes ? Les enseignants ?
François Miquet-Marty : Je suis réservé face à la notion de « pédagogie », qui laisse entendre qu’il existerait des « sachants » habilités à inculquer un savoir à d’autres.
Il existe en revanche une passion de l’entreprise à partager. Et pour cela, les passionnés sont les plus à même de diffuser leur goût et leur vision de l’entreprise. Beaucoup le font déjà, qui ont écrit des livres (Xavier Fontanet (Essilor), Jean-Baptiste Duroselle (Criteo) notamment). D’autres évoquent leur passion (Steve Jobs lors de son célèbre discours de Stanford en juin 2005). Des associations d’entrepreneurs existent, des think tanks, des organisations patronales. Leur mission peut être de ne pas prioritairement apparaître comme des défenseurs des droits des entrepreneurs (face au législateur ou face aux syndicats de salariés), mais également comme des promoteurs, avec les salariés, des mondes qui viennent.
La Revue Civique : Avez vous des expériences d’entrepreneurs à succès que vous avez rencontrés ? Quelles seraient la ou les mesures qui vous semblent devoir être mises au débat public en 2017 ? La rénovation et l’assouplissement du droit du travail ? Les réformes d’allègement de la fiscalité et des prélèvements obligatoires sociaux ? D’autres types de mesures ?
François Miquet-Marty : Pour relancer la croissance en France, ce sont les entreprises qui peuvent jouer un rôle majeur. Si l’assouplissement du marché du travail ou les allègements de fiscalité peuvent faciliter la vie quotidienne des entreprises, l’essentiel n’est probablement pas là.
Par-delà les passions créatrices, par-delà les projections dans le monde de demain et le désir puissant d’en façonner le cours, les entreprises devront à l’avenir de plus en plus conjuguer « esprit de révolution » et « esprit d’empire ». Toute l’histoire des entreprises à succès, depuis le 19ème siècle, est celle d’une accélération des mutations, des innovations, et simultanément d’une intensification des cristallisations, des organisations, des rationalisations (systèmes de productions, marques, brevets, juridique).
Pour les décennies qui viennent, l’imprévisibilité du monde, la capacité pour un nouvel entrant de fragiliser un groupe établi, l’ampleur des innovations, la rapidité des mutations de société, la mondialisation et la digitalisation, tout cela plaide pour un nouvel âge de l’entreprise, celui d’« entreprises-métamorphoses », c’est-à-dire en permanence en mesure de se réinventer. C’est ce règne des entreprises mutantes, aptes par leur organisation et leur culture à s’adapter en permanence à des environnements en mutations et porteuses d’opportunités et de menaces toujours renouvelées, qui pourra véritablement soutenir l’économie de demain. Il s’agit, autrement dit, de créer des organismes en mesure d’inventer toujours le monde qui vient, et de modifier en permanence leur physionomie pour mieux s’adapter à ses réalités nouvelles. C’est indissociablement une physionomie nouvelle de l’entreprise, de l’économie et de la société dont il s’agit.