Pascal Perrineau : « le vote FN n’est pas un mouvement d’humeur, mais un mouvement de fond »

Pascal Perrineau

L’arrivée en tête du Front national aux élections européennes dimanche 25 mai aura des conséquences profondes sur la vie politique, estime Pascal Perrineau, professeur de sciences politiques et ancien directeur du centre de recherches politiques de Sciences-Po dans cet échange publié initialement dans le journal La Croix du 26 avril 2014.

Loin du simple mouvement d’humeur, la victoire du FN montre que l’extrême droite est parvenue à s’enraciner dans la vie politique, déjouant le bipartisme jusqu’alors dominant.

______________________________

LA CROIX : La première place du FN aux européennes peut-elle se résumer à un succès conjoncturel ou est-elle le signe d’une crise profonde ?
Pascal PERRINEAU : Il s’est passé quelque chose qui ne doit pas être minoré. Le score du FN survient après sa bonne prestation aux municipales et la bonne performance à la présidentielle de Marine Le Pen. Tout cela montre bien qu’il ne s’agit pas d’un mouvement d’humeur, mais bien d’un mouvement de fond. Il y a désormais trois familles solidement installées. Un tiers pour la droite classique, entre l’UMP, l’UDI et le MoDem. Un autre tiers pour la gauche, dans toutes ses divisions. Et désormais, un quart pour le FN. Le bipartisme cède la place au tripartisme et cela va profondément perturber le jeu institutionnel.

Le scrutin européen, avec ses modalités particulières, a-t-il favorisé cette percée du FN ?
On ne s’est sans doute pas rendu compte de l’effet produit par l’introduction du scrutin proportionnel dans notre culture majoritaire. Cela a instillé une « tentation proportionnelle » jusque dans certaines élections au scrutin majoritaire. Les électeurs n’hésitent plus à voter en dehors du cercle des partis de gouvernement, y compris au second tour d’une élection majoritaire. Cela conduit à des turbulences qu’on ne peut plus ignorer.

La réponse passe-t-elle par l’introduction de davantage de proportionnelle alors que le FN, devenu le premier parti de ces européennes, reste quasiment absent du Parlement ?
Nous vivons dans un régime à forte dimension présidentielle, c’est un fait. Or un président ne s’élit pas à la proportionnelle mais avec un scrutin majoritaire à deux tours, comme chez nous, ou à un tour, comme aux États-Unis. Cet élément perdurera mais on peut toutefois desserrer ce carcan en jouant sur les législatives, avec une part de proportionnelle. Toutefois, le passage à une vraie proportionnelle, comme pour les législatives de 1986, conduirait à revoir tout le fonctionnement de nos institutions. Le quinquennat a en effet été décidé pour aboutir à des majorités présidentielle et législative cohérentes, identiques. Changer les règles du jeu risquerait d’aboutir à une contradiction majeure dont personne ne mesure les effets.

François Hollande peut-il ne rien changer ? Le FN notamment, demande une dissolution…
La démocratie, c’est l’état de droit et le respect des règles. Or, les mandats ont une durée précise et ils courent jusqu’en 2017 pour le président de la République comme pour les députés. Jamais, d’ailleurs, un mauvais scrutin européen pour la majorité en place n’a conduit à une dissolution. Nos institutions ont déjà prouvé leur robustesse. La gauche qui dans un lointain passé, les avait condamnées, doit d’ailleurs éprouver un immense soulagement… Pour autant, l’exécutif ne peut faire la sourde oreille alors que son soutien se réduit comme peau de chagrin. Un PS à moins de 14 %, rassemblant tout juste 2,5 millions d’électeurs, pose un vrai problème de crédibilité. L’exécutif devra se poser la question d’un élargissement de sa majorité actuelle, au-delà du bastion assiégé du PS et de Verts mal en point.

Ce scrutin est-il un indicateur de ce qui peut se passer en 2017 à la présidentielle ?
Ces élections sont marquées par une abstention de 57 % et il ne faut pas faire parler les Français qui ont choisi le silence. Beaucoup reviendront aux urnes, notamment pour la présidentielle. Néanmoins, il est clair qu’une élimination de la gauche, comme en 2002, n’est pas impossible. On peut déjà parier que Marine Le Pen sera bien plus difficile à contrer que ne le fut Jean-Marie Le Pen, car elle a prouvé sa capacité d’élargissement de sa base électorale. Toutefois, si le FN s’est émancipé du pré carré de l’extrême droite, il n’est pas encore perçu comme un parti de gouvernement. Il peut se targuer d’être la première force politique mais il reste une force solitaire, c’est là sa grande faiblesse.

Propos recueilli par MATHIEU CASTAGNET (La Croix)

► Lire l’article original sur la-croix.com