Texte publiée initialement dans Le Figaro du 14 mai 2014.
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Vécue comme une consultation intermédiaire, l’élection souffre de la dispersion de l’offre politique et du repli national des électeurs.
Huitième d’une série inaugurée en 1979, ce scrutin a mobilisé en trente-cinq ans des dizaines de millions d’électeurs pour élire leurs représentants au Parlement européen. Ceux qui ont voté à l’âge de 18 ans en 1979 ont aujourd’hui 53 ans. L’enjeu européen a eu le temps de s’inscrire dans la vie de l’électeur français. Et pourtant, cela est loin d’être toujours le cas.
En dépit d’une montée en puissance régulière des pouvoirs du Parlement européen, la participation décline. De 60,7% des électeurs inscrits en 1979, celle-ci est passée à 40,6% en 2009. Depuis la fin des années 1980, c’est toujours moins de la moitié du corps électorale qui se déplace aux urnes. Le 25 mai prochain, il est peu probable que la tendance s’inverse. Interrogée par la Sofres en avril dernier(1), 51% des personnes interrogées s’intéressent « peu ou pas du tout aux élections européennes qui auront lieu le 25 mai prochain ».
Quelles sont les logiques propres à ces élections singulières qui, en dépit de l’enjeu européen, ne parviennent pas – et de moins en moins – à mobiliser ? Ces élections ont trois caractéristiques qui éclairent leur particularité : elles sont tout à la fois européennes, proportionnelles et intermédiaires.
Européennes dans l’enjeu juridique et politique, ces élections le sont beaucoup moins dans les enjeux de campagne et les comportements qu’elles engendrent. Selon l’enquête de la Sofres citée plus haut, 64% des électeurs interrogées (ils étaient 52% en mai 2009) pensent qu’ils tiendront compte avant tout, au moment de voter, des « positions pries par les partis sur les problèmes qui se posent en France » ; 35%seulement (contre 44% en mai 2009) des prises de « position sur les problèmes de la construction européenne ». Il y a une « nationalisation » croissante de l’usage que les électeurs français ont des élections européennes.
Ce repli national va de pair avec une perception de plus en plus négative de l’Europe qui n’a cessé de s’accentuer avec les effets de la crise économique et sociale. D’une manière générale, par rapport aux effets de la crise, 59% des personnes interrogées (27% en mai 2009) disent que « l’Europe aggrave plutôt les effets de la crise économique » 24% (contre 39% en mai 2009) qu’elle nous « protège plutôt des effets de la crise » 16% (contre 29% en mai 2009) qu’elle n’a « pas d’impact sur les effets de la crise économique ». Il y a ainsi une nette négativisation de l’Europe au regard de sa capacité à protéger des effets de la crise. Dans l’enquête Ifop(2) de janvier 2014 sur les regards sur l’Europe dans six grandes démocraties européennes, l’opinion française est la plus méfiante : 74% des Français souhaitent exprimer « plutôt leur méfiance à l’égard de l’Europe telle qu’elle se construit actuellement » (73% en Grande-Bretagne, 60% en Espagne, 55% en Belgique, 52% en Italie, 50% en Allemagne).
Les tentatives d’européaniser la campagne, la personnalisation et la politisation de la question du leadership de la Commission européenne, l’accroissement constant des pouvoirs du Parlement européen ne semblent pas capable de porter un mouvement sensible d’européanisation des attitudes et des comportements du côté des électeurs, tout au contraire même.
Proportionnelles par leur mode de scrutin, ces élections rompent avec le principe électoral majoritaire qui reste dominant dans la vie électorale française. Cette proportionnalité entraîne une forte dispersion de l’offre politique, puisque 24 listes, en moyenne seront en lice dans huit grandes circonscriptions. Cette très forte ouverture de « l’accordéon électoral » va de pair avec une importante dispersion des voix. Cette dernière est sensible dans le rapport de forces, défavorable aux grands partis traditionnels et favorable aux formations périphériques, qui est devenu la règle de toutes les élections européennes. En 2009, les listes se réclamant des grands partis traditionnels (UMP et alliés, PS, PC) ne représentaient tout juste qu’une moitié (50,4%) de l’électorat. En 1979, les listes des quatre grands partis de l’époque (PC, PS, UDF, RPR) captaient 88% des voix. Avec le temps, la culture proportionnaliste s’est installée et a fait sentir son pouvoir de dispersion.
Élections intermédiaires et secondaires, les élections européennes se traduisent, comme cela est le cas pour toutes les élections qui interviennent en milieu d’un cycle électoral scandé par les grandes élections nationales (élections présidentielles et législatives, 2012 et 2017) par un sur-abstentionnisme et une sur-représentation des oppositions. Le sur-abstentionnisme est confirmé depuis que les élections européennes existent. Il y a en moyenne 19 à 20% de plus d’abstentionnistes aux élections européennes par rapport aux dernières élections législatives. Si l’on applique cette règle à la séquence électorale « législative de juin 2012 – européennes de mai 2014 » on pourrait, au soir du 25 mai prochain, dépasser la barre des 60% d’abstentions. Quand à la sur-représentation des oppositions, elle est patente depuis les années 1980. En général, la majorité politique en place est réduite à la portion congrue (entre 20 et 29% des suffrages exprimés). Elle est victime à la fois d’une bouderie abstentionniste de certains de ses soutiens et d’un vote sanction d’autant plus vigoureux que le pouvoir en place est impopulaire et que l’on se situe au milieu du cycle électoral.
Aux dernières élections européennes de juin 2009, les listes de la majorité au pouvoir ont rassemblé à peine 28% des suffrages exprimés. Aujourd’hui, les listes de la majorité socialiste devront être encore plus modestes dans leurs prétentions, car jamais, la volonté d’un vote sanction n’a été aussi élevée. Selon le sondage de la Sofres réalisé su 4 au 6 avril 2014, 71% des personnes interrogées souhaitent que les électeurs profitent de cette élection pour « manifester leur mécontentement ». Ils n’étaient « que » 57% en 2009.
Du fait de leur « nationalisation », de la dimension de « laboratoire politique » qu’elles recèlent et de leur composante protestataire, ces élections européennes ne seront pas exemptes de leçons nationales et contribueront à dessiner la recomposition électorale qui est à l’œuvre dans la perspective des prochaines échéances de 2017.
Pascal Perrineau
(1) Sondage TNS Sofres Sopra pour le Nouvel Observateur et RTL, réalisé en ligne du 4 au 6 avril 2014 auprès d’un échantillon de 1501 personnes inscrites sur les listes électorales représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
(2) Sondage IFOP pour la fondation Jean Jaurès, réalisé en ligne du 7 au 14 janvier 2014 auprès d’un échantillon de 4879 personnes, représentatif de la population française, allemande, britannique, belge, espagnole et italienne âgée de 18 ans et plus.