Europe: une France aux cinq visages

193 listes se présentent dans les 8 circonscriptions françaises pour briguer 74 sièges de députés européens : le foisonnement des listes aux élections européennes reflète-t-il la diversité des relations que les Français entretiennent aujourd’hui avec la construction européenne ? A quelques jours des élections, la typologie présentée ci-dessous a vocation à dresser le tableau des représentations de l’Union Européenne au sein de la population française. Si une majorité s’accorde à dire que l’Europe est une bonne idée actuellement « mal appliquée », cette typologie démontre que tous ne portent pas le même regard sur le passé, le présent et le futur de l’Union Européenne, ce qui débouche sur des intentions de vote différenciées pour dimanche prochain. Elle met en exergue le fait que « les euro-sceptiques » constituent aujourd’hui le 1er groupe dans la population française, devant « les euro-convaincus » mais aussi « les euro-critiques », et que la posture principale affichée à l’égard de l’Europe traduit une attente de protection plus forte de ses concitoyens, avant de pouvoir envisager une plus forte intégration ou un nouvel élargissement des frontières de l’Union Européenne. Relevons que la tentation de l’abstention est présente dans tous les groupes, à l’exception des euro-convaincus et qu’elle semble elle-même nourrie par différents états d’esprit : désabusement, révolte, scepticisme ou incompréhension.

Cette typologie a été réalisée à partir d’une étude menée par l’institut Harris Interactive en partenariat avec Slate auprès d’un échantillon représentatif de Français visant à identifier les ressorts de leurs intentions de vote, mais aussi plus largement leurs représentations de l’Europe et leurs attentes à l’égard de l’institution européenne. L’exercice de la typologie vise à caractériser les répondants en fonction de leurs représentations, attitudes et comportements afin de dégager des groupes d’individus de telle sorte que :

  • Chaque groupe soit homogène en son sein (les caractéristiques des personnes appartenant au même groupe sont aussi proches que possible) ;
  • Chaque groupe soit exclusif par rapport aux autres (les caractéristiques des personnes appartenant à des groupes différents sont aussi différentes que possible).

La typologie a débouché sur la mise en avant de cinq grandes catégories que nous présentons ici par ordre décroissant de poids dans la population :

5 regards sur l'Europe depuis la FranceLes « euro-sceptiques »

Le premier groupe est constitué des « euro-sceptiques en attente de protection », qui regroupe à lui seul près d’un tiers des Français (32%). Ils portent un regard mitigé sur l’Europe et s’intéressent relativement peu aux prochaines élections européennes, un certain nombre d’entre eux étant d’ailleurs tentés par l’abstention ou le vote blanc. Certes, l’Europe demeure à leurs yeux une « bonne idée », qui a su amener la paix au continent et représente un espace de démocratie, de diversité culturelle et de libre-circulation. Mais en réalité, l’Europe ne signifie aujourd’hui pour eux ni prospérité économique ni protection sociale. Ils attendent par conséquent avant tout des mesures en matière de sécurité des biens et des personnes et accordent également une plus grande importance aux thématiques que sont l’immigration et la lutte contre les inégalités sociales, considérant qu’aujourd’hui l’Union Européenne n’agit de manière satisfaisante sur aucune de ces dimensions. Ils ne souhaitent pas voir les pouvoirs de l’Union Européenne accrus, notamment en matière budgétaire, mais se déclarent plus favorables que la moyenne à une politique européenne étrangère et de Défense, passant notamment par la mise en place d’une armée européenne. Abritant davantage de femmes, ce type regroupe aussi bien des jeunes que des moins jeunes et des représentants de toutes les catégories sociales, particulièrement la vaste classe moyenne.

  • Critiques envers l’Union Européenne, ces euro-sceptiques ne perçoivent pourtant pas davantage que la moyenne l’Europe comme un risque pour les identités et les souverainetés nationales. S’ils pourront grossir le rang des abstentionnistes, ils sont relativement peu tentés par un vote Front National et se retrouvent davantage parmi les électeurs potentiels de l’UMP ou des autres partis « dits » de Gouvernement.

Les « euro-critiques »

Les « euro-critiques » forment le 2ème groupe, à hauteur de 22%. Ils récusent la construction européenne et défendent le retour à une plus grande souveraineté nationale. Ils affichent un moindre intérêt pour les élections européennes et déclarent qu’ils s’en saisiront avant tout pour faire passer un message d’insatisfaction envers le gouvernement français. Ils n’attendent d’ailleurs aucune amélioration à l’issue du scrutin, que ce soit au niveau européen, au niveau de la France ou pour leur situation personnelle, 1/3 jugeant même que leur vie quotidienne s’en trouvera de nouveau dégradée. Pour eux, l’Union Européenne symbolise avant tout la bureaucratie et la contrainte, limitant le pouvoir des Etats et conduisant à une perte des identités nationales. 4 représentants de ce type sur 10 vont même jusqu’à dire que l’Europe est une « mauvaise idée » (contre 16% dans la population d’ensemble). Par conséquent, ils estiment que l’Union Européenne devrait disposer de moins de pouvoir et refusent toute idée de contrôle budgétaire. Une majorité d’entre eux se déclare même favorables à la sortie de l’Euro. Dans ce groupe, on trouve également plus de femmes, mais surtout des membres des catégories populaires, aux revenus moyens voire faibles. Ils sont particulièrement nombreux dans la circonscription Est.

  • Ayant une vision extrêmement négative de l’Union Européenne et semblant n’en attendre plus rien, 1 représentant des euro-critiques sur 2 qui exprime une intention de vote envisage de voter en faveur d’une liste Front National.

Les « euro-convaincus »

Le 3ème groupe, à l’opposé du 2ème, regroupe presque autant de membres : il s’agit des « euro-convaincus » qui prêchent en faveur d’une poursuite de la construction européenne (21%). Pour ces Français intéressés par le prochain scrutin, l’Union Européenne est une construction qui a du sens, rapprochant des pays qui partagent des valeurs et des systèmes politiques. Elle représente la paix, la démocratie, la diversité culturelle et la libre-circulation des biens et des personnes, mais aussi la prospérité économique (72%) et pour un sur deux la protection sociale (49%). Ils voteront principalement en fonction d’enjeux européens, en tenant compte plus que les autres électeurs de l’économie, la politique étrangère et de défense de l’Union européenne, la paix, l’éducation et la formation. A l’avenir, ils déclarent souhaiter que l’Union Européenne voit ses prérogatives renforcés, et espèrent que les résultats des élections permettront une poursuite de la construction européenne. Logiquement, ils sont plus favorables que les autres groupes à la fois à la création d’un poste de Ministre de l’Economie et des Finances, à la mise en place d’une armée européenne, à l’élection d’un président de l’Union européenne ainsi qu’on son éventuel élargissement.

  • Plus favorisé et diplômé, mais aussi plus âgé, sur-représenté dans la circonscription Ile-de France, ce groupe des euro-convaincus a un positionnement plus centriste et plus écologiste.

« Les défenseurs d’une Europe plus verte et plus sociale »

Le 4ème et avant-dernier groupe est formé par « les défenseurs d’une Europe plus verte et plus sociale ». Représentant 19% des répondants, il est davantage ancré à Gauche. S’ils s’intéressent moyennement aux élections européennes, ils déclarent qu’ils voteront davantage en fonction d’enjeux européens que nationaux. 9 sur 10 sont convaincus que la France gagne plutôt à être dans l’Union Européenne et ils ne peuvent envisager sortir de la monnaie unique. Pour faire leur choix lors du scrutin de dimanche, ils tiendront particulièrement compte des propositions en matière d’environnement mais aussi de maîtrise des déficits publics, considérant qu’il s’agit là de deux sujets sur lesquels l’UE doit spécifiquement agir. Ils sont d’ailleurs favorables à la création d’un poste de Ministre de l’Economie à l’échelle européenne. En revanche, ils sont opposés à l’entrée de nouveaux membres dans l’Union Européenne et plaident aujourd’hui pour un statu-quo en matière de répartition des pouvoirs entre l’UE et les Etats. Avant d’aller plus loin, ils semblent attendre que l’Europe stabilise la situation économique pour pouvoir mettre en place une Europe plus verte et plus sociale.

  • Constitué d’autant d’hommes que de femmes, et de Français appartenant à toutes les tranches d’âge, ce groupe compte en son sein de nombreux anciens électeurs de François Hollande. Aujourd’hui, un exprimé sur deux appartenant à ce type envisage de donner son bulletin de vote au Parti Socialiste ou à Europe Ecologie.

Les « ignorants » de l’Europe

Enfin, le cinquième et dernier groupe, les « ignorants » de l’Europe, représente 6% des Français. Pour eux, la fracture semble définitivement consommée. Ils se caractérisent par une méconnaissance des principaux enjeux et actions de l’Union européenne et se positionnent quasi-systématiquement contre elle. Pour une large majorité d’entre eux, l’Union européenne est une construction « artificielle », regroupant des Etat-membres qui ne partagent pas vraiment des valeurs, des modes de vie ou des systèmes politiques. Ils estiment qu’il faudrait sortir de l’Euro, l’appartenance de la France à l’Union Européenne étant source selon eux de plus de désagréments que davantage. S’ils votent aux élections européennes, ils le feront plutôt au regard d’enjeux nationaux, pour exprimer leur insatisfaction à l’égard de François Hollande et du Gouvernement.

  • Bien que peu nombreux, les « ignorants » de l’Europe sont également susceptibles pour parte d’alimenter le vote Front National. Ils comptent en leur sein plutôt des ouvriers et employés et des jeunes de 25 à 34 ans. Notons qu’ils sont sur-représentés dans la circonscription Ouest.

► Pour lire l’étude complète

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Méthodologie

Cette étude a été réalisée du 16 au 23 avril 2014 auprès d’un échantillon représentatif de 1000 Français âgés de 18 ans et plus