Le virus Français de la méfiance/défiance est beaucoup moins virulent chez nos voisins: l’étude Cevipof-Sciences Po

Le Président de la République a parlé de « 66 millions de procureurs » en France ? C’est bien sûr un raccourci. Mais toutes les études d’opinion constatent, depuis de nombreuses années, un syndrome national très particulier, les Français étant beaucoup plus que chez nos voisins portés par le pessimisme et la protestation. Les défiances touchent les politiques mais pas seulement, les « élites » économiques, médiatiques et même scientifiques par exemple sont touchées. La dernière vague du baromètre du Cevipof-Sciences Po (vague 2020, celle de 2021 va sortir en février), « En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd’hui ? », réalisé par OpinionWay, permet d’explorer de nombreuses questions et de les comparer aussi – dimension très éclairante – avec la perception de ces enjeux de confiance/méfiance/défiance chez nos voisins allemands et anglais. Etude très instructive, comme vous pouvez le découvrir ici, sur de nombreux sujets liés ou non à la crise du Coronavirus. On constate en effet une très nette singularité française, l’opinion est majoritairement installée en France (et depuis longtemps) dans une posture de méfiance et de défiances plurielles (avec un léger mieux, mais insuffisant sans doute, mesuré depuis 2018).

Sur l’état d’esprit et la confiance en général

Le trio de tête en France reste: méfiance, morosité, lassitude… Chez nos voisins allemands et anglais, même avant la crise Coronavirus, ce sont les mots « Sérénité » et « Confiance » qui arrivent en tête. La France a un état d’esprit majoritairement négatif.
La proportion reste à peu près la même : deux tiers des Francais pensent qu' »on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres », un tiers seulement qu' »on peut faire confiance à la plupart des gens ». Un chiffre qui n’a pas chuté avec la crise du Coronavirus. La méfiance/confiance est structurellement installée en ces proportions en France.
Nos voisins allemands et anglais sont nettement plus confiants: 48% des Allemands et 51% des Anglais affirment qu' »on peut faire confiance à la plupart des gens ». Une sensible différence.

Sur les institutions politiques

Avec des variations, la confiance dans les diverses institutions mentionnées (UE, l’institution présidentielle, le gouvernement, l’Assemblée nationale) atteint, après une chute en 2018, environ un tiers seulement de l’opinion en France.
Surtout chez nos voisins allemands, la confiance dans les quatre institutions nommées est nettement supérieure : 52% pour l’UE (contre 36% en France, 44% en GB), 60% pour le Gouvernement (contre 32% en France et 61% en GB). Les Français sont bien installés dans une posture de défiance assez générale, et largement partagée.
En France, le sentiment que la démocratie ne fonctionne « pas bien » reste majoritaire (57%); même si le sentiment inverse, que la démocratie fonctionne bien, est à la hausse depuis décembre 2018 et le déclenchement du mouvement protestataire des « gilets jaunes » (hausse de 27% à 41% en avril 2020).
La satisfaction sur le fonctionnement de la démocratie est beaucoup plus élevée en Allemagne (69%) et au Royaume Uni (72%). La défiance française, qui touche les institutions, concerne aussi le système démocratique.
En France, le Maire en revanche reste nettement plus apprécié que les élus nationaux (député, Premier ministre, Président). Pour tous, les courbes varient, elles sont à la hausse depuis décembre 2018: légère, cette hausse s’est poursuivie pendant la crise du Coronavirus (qui aurait pu accentuer la défiance; ce n’est pas visiblement le cas).
L’auto-positionnement des Français sur l’axe gauche-droite. La case 5 du centre, à elle seule, réunit 20%. Les cases 2, 3, 4 de gauche 19%. Les cases 6,7,8 droite 27%. Un penchant au centre/centre droit apparaît nettement: les cases 5,6,7 réunissent 39% des sondés.
L’auto-positionnement chez les Allemands est plus équilibré vers la gauche, il penche en revanche nettement plus à droite au Royaume Uni. Les Français sont les plus nombreux à s’auto-placer à l’extrême droite.

Cette étude d’opinion a été réalisé en la 1ère quinzaine d’avril 2020, à partir d’un échantillon de 1899 personnes représentatives de la population française de 18 ans et plus, de 1008 personnes représentatives de la population britannique de 18 ans et plus, et de 1005 personnes représentatives de la population allemande de 18 ans et plus.

(20/04/20; chapeau actualisé le 22/01/21)

Les résultats complets du Baromètre de la confiance CEVIPOF-Sciences Po

Sur cette passionnante enquête d’opinion, le politologue Pascal Perrineau, livre ici son analyse: sur « l’ampleur du fossé, sur le terrain de l’inquiétude », qui sépare la société française des sociétés allemandes et anglaise; sur la « société de défiance » qui en France peut devenir « une société de colère politique » ; sur ce qui peut en résulter, pour « l’après » ; avec deux hypothèses qu’il énonce aussi dans cette vidéo, celle « de lendemains difficiles » une fois la crise sanitaire passée, la France se braquant « sur les autres » en terme de responsabilité (l’étranger, l’Europe, la globalisation…); ou, hypothèse plus optimiste, « la nécessité (et volonté) de remettre les choses à plat », avec la redéfinition positive de « trois contrats », « le contrat civique », « le contrat social » et « le contrat européen ».

Le lien ici vers la vidéo de Pascal Perrineau

Pascal Perrineau, ancien directeur du CEVIOPOF-Sciences Po, aujourd’hui Président des Alumni Sciences Po, a été à l’origine du « baromètre de la confiance », réalisé chaque année depuis une dizaine d’années, et qui mesure les méfiances et défiances dans lesquelles s’est installée la société française.