Jean-Daniel Levy, directeur du département Politique & Opinion d’Harris Interactive, était l’un des invités de Patrick Chêne pour le débat des éditorialistes, autour du plateau de « Politique Matin » (le 27 mars) sur La Chaîne Parlementaire. Après sa participation à cette émission, notamment consacrée aux nouveaux chiffres du chômage, la Revue Civique lui a posé trois questions. Ses réponses font « rebond » sur le comportement des électeurs face au chômage, et également le lien à établir avec le vote frontiste.
La REVUE CIVIQUE : Quel lien faites vous entre la réalité du chômage d’aujourd’hui et le vote des Français ? Peut-on faire un lien avec le vote vers l’extrême de gauche, l’extrême de droite et/ou l’abstentionnisme ?
Jean-Daniel LÉVY: Il n’y a pas forcément de lien intime entre la réalité du chômage au niveau national et le vote des Français. On a pu le voir par exemple, au cours de l’élection présidentielle de 2002, alors même que Lionel Jospin avait réussi aux yeux des Français à réduire assez nettement le chômage : cela n’avait pas été un élément suffisant pour pouvoir l’aider à ne serait-ce que passer le premier tour. On ne peut donc pas dire qu’il y ait une traduction immédiate en termes de comportement électoral, qui permet de pouvoir s’en sortir politiquement lorsqu’on résout ce problème. Cela ne fonctionne pas de manière complètement mécanique. D’autre part, on est dans une société française où il y a une forme de suspicion, et cette forme de suspicion est assez manifeste quand bien même il y aurait des résultats sur le front de l’emploi. Car aujourd’hui en France, on doute assez manifestement des chiffres, de leur véracité, de la manière dont ils ont pu être construits, et de la manière dont ils peuvent éventuellement être instrumentalisés. Dans ce contexte là, le fait qu’il y ait parfois des chiffres meilleurs ne suscite pas forcément un comportement d’adhésion de la part des Français. Il n’y a pas non plus d’effet mécanique sur le fait qu’on vote uniquement en fonction d’un seul enjeu, comme celui de l’emploi. Et quand on voit d’ailleurs le vote d’extrême droite ou le vote d’extrême gauche c’est une motivation mais ce n’est pas la seule. Sur l’abstentionnisme non plus car on est dans un contexte où les électeurs vont s’interroger sur la manière dont ils peuvent entrevoir une situation, notamment sur le front de la Justice. Et sur ce point là, les Français s’interrogent sur la conduite de l’action du Gouvernement et du Président de la République.
D’un point de vue général, comment analysez-vous l’attitude abstentionniste reflétée par les élections municipales ?
Du point de vue des abstentionnistes, on est dans une situation où l’abstention n’est pas forcément un refus absolu du politique, ou une considération que le politique ne peut rien faire ou ne doit rien faire. La situation aujourd’hui en France amène les Français à considérer qu’il faut absolument faire quelque chose, que le politique a cette capacité à pouvoir peser sur le cours des choses, et que dans ce contexte là, tout ce qui d’une manière ou d’une autre participe à cette amélioration potentielle de la qualité de vie, va redonner une forme de noblesse à ce que peut être l’action politique. Mais, aujourd’hui, c’est une forme de critique à l’égard de la politique qui se manifeste par le comportement des abstentionnistes.
Le Front national a un électorat mobilisé
Quelles perspectives attendez-vous du vote frontiste quant à son évolution en vue des élections européennes le 25 mai prochain ?
À priori, les événements donnent à voir que le Front national pourrait réaliser un très bon score au cours des prochaines élections européennes. Il y a une raison assez nette. D’un manière globale, le FN ne réalisait pas de bons scores aux élections européennes parce qu’il ne parlait pas vraiment d’Europe et parce qu’ il y avait au sein de la droite une liste concurrente qui arrivait à progresser. D’autre part, le fait qu’il y ait aujourd’hui une forme d’interrogation, de cristallisation autour de l’Europe – et qui se manifeste autour de thématiques sur la démocratie, le pouvoir d’achat – tout cela interroge assez fortement les Français. Aussi, dans un moment où il y a une abstention assez caractérisée, le FN réalise de bons scores. Ce qu’ont pu nous montrer ces élections municipales notamment, c’est qu’il y avait une assez forte mobilisation de l’électorat FN alors même qu’il avait un taux d’abstention en progression, et ceci parce que le FN a un électorat qui se mobilise et qui, depuis l’élection de François Hollande, est extrêmement critique à son égard.
Propos recueillis par Emilie Gougache
En partenariat avec LCP