Pour La Revue Civique, Philippe Foussier fait ici la recension du livre de Laurent Escure, Secrétaire général du syndicat UNSA: « Cultivons le Je démocratique. Pour une immunité collective » (Ed de L’aube; entretien avec Madani Cheurfa).
Laurent Escure a beau être syndicaliste, il ne se préoccupe pas que de démocratie sociale. Le Secrétaire général de l’UNSA propose dans ce livre d’entretien une vaste réflexion sur la démocratie en général, dont il pointe « l’affaissement ». Et comme il en appelle régulièrement à « l’insurrection des bonnes idées », il s’efforce d’en émettre un certain nombre ici. A titre d’exemple, il suggère que soient filmées et retransmises les négociations sociales comme le sont certaines séquences parlementaires : « On verra ainsi les attitudes des uns et des autres. Ceux qui cherchent des positions qui font avancer et des solutions. Ceux qui ne discutent pas et entretiennent leurs postures ». Laurent Escure n’est en effet pas de ceux qui conçoivent le syndicalisme comme a priori contestataire, dans des conduites où « la paresse intellectuelle est compensée par les décibels », regrettant que « les personnes qui ont le gout du compromis ne soient pas majoritaires dans l’espace du dialogue social ».
Parmi ses propositions, la création d’un passeport syndical « qui permette à chacun, en toutes circonstances -en emploi, au chômage, en contrat précaire…- de bénéficier de services qu’on est en droit d’attendre dans sa vie professionnelle : accompagnement, conseils juridiques, défense des droits, avantages d’un comité d’entreprise… ». Laurent Escure conçoit ce passeport comme une base complétée, le cas échéant, par une adhésion classique et qui serait accessible par un modique abonnement, mettant au goût du jour les prestations fournies par les bourses du travail du syndicalisme des origines.
Laurent Escure affirme son adhésion à la notion de progrès, à-même selon lui d’endiguer les obscurantismes et extrémismes de diverses natures qui assaillent nos démocraties.
Du reste, le patron des “autonomes” entend que le syndicalisme ne soit pas circonscrit à un domaine restreint. C’est ainsi qu’il consacre de stimulants développements à la culture scientifique, déplorant qu’elle soit tendanciellement en baisse. « Le Je démocratique a besoin de la connaissance et de la science au service du progrès », assure-t-il, recyclant là aussi une mission exercée par les syndicats au début du siècle dernier, qui organisaient « des sessions sur les avancées de la science, l’astrophysique, etc. (…). Il y avait cette culture populaire, qu’on peut même qualifier d’ouvrière, qui estimait la science et croyait au progrès par la science : depuis les vaccins, la péridurale, le satellite, la voiture ou le frigo ». On l’aura compris, Laurent Escure affirme son adhésion à la notion de progrès, à-même selon lui d’endiguer les obscurantismes et les extrémismes de diverses natures qui assaillent nos démocraties. Inquiet pour leur devenir, il analyse longuement l’ère Trump, rappelant que ce dernier a recueilli 74 millions de voix sur son nom en 2020 contre 62 millions en 2016.
Chez cet auteur, syndicaliste universaliste, il y a « le goût du débat, l’exercice du doute et la pratique de la raison ».
Concernant ce “Je” démocratique à retrouver à travers un « grand bouillon de culture démocratique commune » destiné à générer des « anticorps » pour « s’immuniser contre les fléaux », Laurent Escure soumet l’idée d’un Haut-Commissariat à la citoyenneté chargé de former 50 millions de personnes tous les dix ans, soit 5 millions par an. Ces formations de 3 jours seraient dispensées à travers 200 centres répartis sur le territoire et offriraient des conférences et des débats de culture générale, de culture scientifique, sur la santé publique ou la prévention. Elles comporteraient aussi des modules d’initiation ou d’entrainement au débat, de maitrise des médias et des réseaux sociaux : « Je considère que ce projet est nécessaire pour empêcher que toute une partie de nos concitoyens ne s’isolent ou ne s’enkystent dans le complotisme ».
S’il est d’une nature optimiste, Laurent Escure ne s’aveugle pas sur l’état actuel de notre démocratie : « Dans cette ère de post-vérité et de vérités alternatives, beaucoup remettent en cause absolument toute parole officielle. Plus elle est officielle et plus elle sera remise en cause », prévient-il, inquiet aussi de ce qu’il nomme « l’impuissance publique » ou la « crise de l’efficacité » qui mine la confiance des citoyens dans la démocratie. Originaire lui-même de Corrèze, l’auteur observe en outre que le débat public semble souvent ne s’adresser « qu’aux insiders vivant dans des métropoles ». Les autres, ceux de cette France dite périphérique, « je n’ai pas besoin de me forcer pour penser à eux. Je les connais ».
Laurent Escure alerte encore : « Nous sommes face à des fléaux qui se nomment populisme, autoritarisme, islamo-fascisme, racisme… ». Sans la considérer comme un remède à tout, ce qui serait assurément un mauvais service à lui rendre, l’auteur revendique son attachement à la laïcité et dénonce ceux qui, pour stigmatiser ses partisans, les affublent de l’épithète de “laïcards” comme le faisait la seule extrême droite au siècle dernier. « Je suis un humaniste universaliste qui tient à distance de la République, car contraire à elle, les communautarismes qui enferment et s’enferment », ajoute encore Laurent Escure, qui entend conjuguer « le goût du débat, l’exercice du doute et la pratique de la raison ».
Philippe FOUSSIER
(17/09/21)