La politologue Amandine Crespy, également chargée de cours à l’Université Libre de Bruxelles, intervenait sur le plateau de l’émission « Europe Hebdo » (le 22 mai), présentée par Ahmed Tazir sur La Chaîne Parlementaire, à l’occasion d’un tour d’Europe des campagnes pour les européennes. Suite aux résultats des élections européennes, la Revue Civique lui a posé plusieurs questions qui font rebond sur les raisons du maintien des positions de la droite (PPE) en Europe et sur la montée des populismes, et en particulier du Front National.
La Revue Civique : Comment expliquer le maintien de la droite (PPE) en tête des formations politiques en Europe ?
Amandine Crespy : Ce résultat, c’est bien entendu une agrégation de ce qui s’est produit dans les différents États membres. Je crois que, d’une manière générale, cela résulte d’une faiblesse des partis de gauche et de centre gauche, sauf exception par exemple en Italie ou en Roumanie. S’il faut chercher des causes un peu plus générales, à l’échelle de l’Europe entière, je dirai que le gouvernement social démocrate n’a pas été capable d’imposer son diagnostic et son interprétation de la crise. Très tôt, ce qu’on a constaté, suite à la crise financière en 2007-2008, c’est une première phase de réponse, considérée un peu trop vite comme keynésienne, parce qu’on a utilisé l’argent des contribuables pour sauver le système bancaire. Et puis, assez rapidement, des politiques d’austérité ont été mises en place, plutôt inspirées par des recettes conservatrices et libérales. Il n’y a eu qu’un seul constat sur la situation de crise, et il a été porté par les gouvernements de droite et centre droit. Ils se sont maintenus sur le plan électoral. Les sociaux démocrates n’ont pas vraiment réussi à imposer un diagnostic différent mais, en plus, ils n’ont pas forcément cherché à le faire. C’est à mon sens la cause profonde.
Une restructuration profonde
des paysages politiques
Qu’en est-il de la montée des populismes ?
C’est une tendance qui est loin d’être nouvelle, car on l’observe depuis au moins une dizaine d’années. Ce que l’on constate, c’est qu’avec cette élection là particulièrement, il y a une restructuration profonde des paysages politiques, pas seulement européens mais aussi nationaux. On voit un glissement, depuis le clivage gauche/droite traditionnelle, vers un nouveau clivage qui oppose les partis du centre au gouvernement – qu’il soit de gauche ou de droite – à des partis périphériques, plus radicaux et plus ouvertement critiques envers l’Union Européenne. Les succès dans ces pays là s’expliquent par la spécificité des paysages politiques nationaux. Quand deux grands partis ont du mal à se distinguer, c’est vers une force émergente plus radicale qu’on se tourne, parce que ces partis là apparaissent comme la seule alternative, la seule véritable opposition.
Le FN pourra-t-il vraiment peser au Parlement ?
Cela va dépendre en grande partie de la stratégie qui va être adoptée par le FN et ses élus au Parlement européen. Selon toute vraisemblance, les nouveaux élus ont une connaissance très faible, à la fois des institutions européennes mais aussi de leur fonctionnement concret, des fonctions à occuper au sein des commissions parlementaires ou encore des dossiers européens. S’ils poursuivent sur la ligne qui a été celle de Marine le Pen dans le passé, il s’agira d’un très faible investissement dans cette institution : une quasi absence permanente à Bruxelles et peut-être des apparitions ponctuelles ou des interventions de type tribunitiennes parfois en session à Strasbourg, mais c’est tout. Donc si le FN continue avec cette stratégie là, ce qui est assez vraisemblable puisque je pense que leurs objectifs politiques se situent bien davantage au niveau français qu’au niveau européen, on est en mesure de penser qu’ils ne vont pas s’investir massivement dans le travail quotidien du Parlement Européen.
Propos recueillis par Emilie Gougache
En partenariat avec LCP