Le climat ne cesse de se dégrader. Il n’est plus délétère, il tourne à l’abject quand un Ministre de la République, quelles que soient sa sensibilité ou ses opinions, se voit injurié, traîné dans une boue raciste et nauséeuse qu’on croyait reléguée au très mauvais souvenir de l’histoire, celle des années 30.
Le climat est inquiétant quand une date de commémoration qui, à défaut de faire unité nationale dans une gestuelle civique, devrait être protégée de toutes les protestations habituelles, légitimes dans d’autres jours du calendrier démocratique. Le fait est alarmant, car il n’est peut-être pas un détail de l’histoire en marche, quand la date du 11 novembre, celle de la mémoire due à l’armée des morts de la Grande Guerre et des conflits qui ont suivi, se voit perturbée et salie par des militants d’extrême droite, aveuglés par leur fanatisme. Le masque est d’ailleurs tombé : ce qui s’est manifestée grossièrement, c’est bien l’atteinte à notre mémoire nationale et à l’image d’une Nation recueillie. Ce n’est pas un simple hasard.
Le climat est inquiétant, au-delà des épisodes, des expressions ou des manifestations apparentes, quand les logiques de boucs-émissaires – et ils sont nombreux, de l’Europe à l’étranger (dans certains cas, ou lieux, le Juif) à devenir coupables de tous les maux – travaillent en profondeur la société française et traversent les courants d’opinion. Au point de faire du parti d’extrême droite, grand récupérateur des malaises sociaux et des protestations radicales, selon les études les plus sérieuses, le premier parti de France à l’horizon des prochaines élections européennes. Une banalité ? Banalisation du mal, plutôt. Et baromètre de nos faiblesses.
Car la simple indignation, et c’est aussi ce qui est source d’inquiétude, n’est plus de mise, elle paraît même déplacée dit-on, comme les incantations morales, dans le contexte de crise. Crise économique et sociale, crise civique et morale, les doutes et les remugles de la société française, prompte au pessimisme, aux faux-fuyants et aux replis en tous genres, seraient d’une normalité accablante. Paralysante. Les boussoles de la République seraient-elles entrain de s’affoler ?
Restent les ressorts de l’histoire et de ses sursauts, restent, au-delà des penchants de sinistre mémoire, les ressorts des institutions et du droit, ressorts qui doivent être implacables quand l’essentiel des principes de la République est en cause. C’est pourquoi le rempart de la Justice, l’un des plus solides, doit sans doute être utilisé sans faiblesse, loin des agitations médiatiques ou politiques.
Dans une époque en mal de repères, dans une période où les souffrances sociales s’accentuent, il ne faut donc pas forcément craindre le pire mais il ne faut pas sous-estimer la force des démagogues, leur capacité à propager les idées fausses et les climats les plus malsains. Que le premier compte politique sur Facebook soit celui du Front National en dit long sur les facilités d’instrumentalisation des bien nommés « réseaux sociaux », sur des thèmes ou des «événements » les plus racoleurs…
Alors, au-delà des sensibilités qui peuvent (et doivent) faire l’heureuse diversité française, au-delà des clivages politiques qu’appelle toute démocratie vivante, une nouvelle vigilance républicaine va sans doute devoir se renforcer, en France, dans les semaines ou les mois qui viennent. Une vigilance qui pourra peut-être s’appuyer d’abord sur la vitalité de la société civile. Puisque la société politique, elle, on le sait, on le constate avec regret, est atteinte d’une faiblesse qui perdure, alimentant d’année en année, d’élection en élection, d’alternance en alternance, une fracture civique devenue béante. Béante comme un boulevard, pour un parti qui mise avant tout sur deux mots et deux lettres : fracture nationale.
Jean-Philippe Moinet
(13/11/13)