Un devoir de vigilance contre la xénophobie, cette honte (et bêtise) contagieuse. Edito Jean-Philippe Moinet

C’est un devoir civique de vigilance. Jean-Philippe Moinet, auteur, intervenant en analyses pour divers médias et fondateur de La Revue Civique, intervenait au festival du cinéma européen des Arcs Les Arcs Film Festival. La question des réfugié(e)s était au coeur d’un « ciné-débat » pour lequel JP Moinet, qui a aussi été Secrétaire général du Haut Conseil à l’intégration et président de l’Observatoire de l’extrémisme, était invité à intervenir. Voici son texte.

La question des réfugié(e)s, avec cet époustouflant film d’animation, «Flee», nous percute à l’estomac et nous oblige. Des hommes, des femmes, des enfants fuient la guerre et le djihadisme. Ils viennent d’Afghanistan. La peur leur oppose souvent, bien trop souvent, une barrière d’hostilité, étymologiquement appelée xénophobie.

Des peurs peuvent bien sûr se comprendre, elles sont même parfois légitimes quand il s’agit du terrorisme (c’est le but des terroristes de terroriser) mais quand des réfugié(e)s fuient la menace djihadiste – dont elles sont les premières victimes – l’horreur de la guerre ou l’oppression d’une dictature (comme celle qui écrase les Syriens), il faut à l’évidence et avec courage savoir lever cette barrière d’hostilité qui ressemble à une honte (humanitaire) et une bêtise (géopolitique).

Jean-Philippe Moinet intervient devant une salle composée notamment de lycéen(ne)s. Débat animé par Véronique Auger, présidente de l’association des journalistes européens.

Il faut savoir lever la barrière d’hostilité (xénophobe) qui ressemble à la fois à une honte (humanitaire) et une bêtise (géopolitique).

Certains démagogues professionnels vous disent que les réfugiés viennent chez nous par plaisir, pour profiter de quelque chose… NON ! Ces hommes et femmes, parfois ces enfants ou adolescents, comme le montre ce film-récit d’un vécu parfois insoutenable, subissent l’exil, la fuite de leur pays, comme ce qu’elle est toujours en cruelle vérité: un arrachement, une douleur, un calvaire parfois. Je vous le dis à vous lycéens/lycéennes dans cette salle de cinéma, personne, jamais personne ne quitte sa maison, sa ville ou son village, tous ses amis, parfois sa famille…. sans être durablement étreint par cette douleur qui s’appelle l’exil, la migration, le départ forcé. Oui, bien sûr, forcé par la misère extrême ou par la guerre et la persécution. Sachons mesurer cela d’abord.

Le réalisateur de ce film raconte donc les réfugié(e)s de ce beau pays, l’Afghanistan, que j’ai moi-même connu il y a 30 ans, il nous raconte le désespoir d’un adolescent, le chaos et les menaces du fanatisme, qui chasse des dizaines de milliers d’Afghans et Afghanes… Chacun d’entre nous à un rôle à jouer, un petit rôle mais qui est grand, en fait. Ce rôle c’est d’abord de prendre le temps réfléchir, comme aujourd’hui, à cet esprit de solidarité qui ne connaît pas les frontières ou différences: d’origines, de couleurs de peau, de cultures… surtout quand l’essentiel est en jeu.

Ne pas mutiler notre devise républicaine française.

Ce rôle, c’est aussi de ne pas abîmer, ne pas mutiler notre devise républicaine. Il y a Liberté. Il y a Égalité. Et il y a FRATERNITÉ ! Beaucoup trop oubliée, et qu’aucun décret ne peut faire vivre pleinement: c’est à nous de la faire vivre. Ces trois termes sont et doivent rester inséparables. Ce triptyque est le résultat d’une longue histoire: plus de deux siècles de combats, souvent durs, avec de nombreuses femmes et hommes qui ont tout donné, jusqu’à la vie, pour cet idéal républicain français !

Ce rôle, le nôtre, le vôtre, est aussi un beau devoir de citoyen(ne), qui nous amène à dire également ATTENTION quand il y a danger. Danger d’intolérance active. De fanatisme virulent. D’extrémisme débordant: au singulier et pluriel. Car les extrémismes ont d’affreuses similitudes qui les réunissent, même quand ils prétendent s’opposer ! Ces sont des alliés objectifs: ils entretiennent les peurs pour colporter les violences.

On le voit malheureusement assez bien, actuellement en Europe et en France particulièrement: des professionnels de la haine, de petits et gros exploitants des peurs (et l’étranger, parce qu’il est inconnu, a toujours naturellement suscité des peurs dans l’histoire, et ça continue… ), oui de grands démagogues, d’estrades ou de plateaux télés, savent utiliser les peurs, trouver les bouc-émissaires d’aujourd’hui, les raccourcis les plus faciles, pour attirer l’attention d’abord et développer des thèses folles pour, d’un seul coup, se présenter au public en prétendu « sauveurs » en agitant par exemple la fausse menace d’une prétendue invasion ou «grand remplacement», ce qui est factuellement complètement faux. En voulant, au passage, par exemple interdire des prénoms !!! En 2021, en France, comment est-ce possible, comment est-ce acceptable ?!

Sachons prendre garde car, dans cet engrenage infernal de la radicalité, il y a l’objectif désormais clairement affiché de mettre fin à l’Etat de droit, à la liberté des médias, à l’indépendance de la Justice… bref à tout ce que la France et l’Europe ont de plus cher et qui fait le socle de la démocratie. Une démocratie qui peut paraître solide mais qui ne l’est pas pas tant que cela, surtout si nous n’y prenons pas garde, précisément.

Alors oui, attention. Prêter attention au sort des minorités, à leur protection, c’est aussi défendre les fondements de notre démocratie, c’est nous défendre, tous, nous-mêmes, la civilisation européenne faite de respect, nos valeurs démocratiques et républicaines françaises, nos libertés à tous. Ce devoir de vigilance est devenu un impératif actuel car l’intolérance et la xénophobie est un virus redoutable: avec de nouveaux variants, il se répand et peut dangereusement se propager dans l’espace public.

Bien sûr, nous sommes en démocratie et sa grandeur est aussi d’offrir la liberté d’expression à toutes les opinions, y compris les plus extrêmes. Elles ont droit de cité, comme toutes les idées. Alors, liberté aux ennemis de la liberté ? Oui… mais avec certaines limites, que le Droit a tracé. Car des violences par exemple ne sont pas des modes d’expression. Elles sont condamnables et condamnées. Car le racisme et l’antisémitisme ne sont pas des opinions, ce sont des délits. Ils sont condamnables et condamnés. Car ils mènent à des violences qu’il faut savoir endiguer. C’est, en démocratie, la mission de la Justice et des forces de l’ordre qui appliquent la Loi. N’en déplaise à ces extrémistes qui ont en projet d’abolir les lois anti-racistes comme les lois mémorielles d’ailleurs…

Alors, oui, à chacun et chacune d’entre nous de réfléchir et de mettre en mouvement son devoir de vigilance. Chacun et chacune peut jouer à sa manière un rôle civique et solidaire utile, quelles que soient bien sûr ses opinions et au-delà de toutes différences sociales, culturelles ou politiques. En la matière, il n’y a pas de petit rôle. Il n’y a qu’un grand rôle: de citoyen(ne).

Jean-Philippe MOINET, auteur, chroniqueur et intervenants pour divers médias, est fondateur et directeur de La Revue Civique.

(19/12/21)

Un devoir de vigilance, un devoir d’#engagement quand l’essentiel est en jeu.