Opinion : le FN en recul, un effet primaires à la hausse à droite comme à gauche

Et si le pire, en politique comme ailleurs, n’était pas certain ? Le disque de l’inexorable ascension du FN – « qui-accèdera-à-l’Elysée-sinon-en-2017-en-tout-cas-après » – n’est-il pas entrain de s’enrayer ?

Un peu seul en 2015, alors que le mouvement d’extrême droite faisait ses meilleurs scores, j’estimais néanmoins déjà que le FN bénéficiait à la fois de toute une série de crises cumulées (politiques, économiques, sociales, culturelles) et d’un cycle d’échéances favorables qui allaient prendre fin : les élections dîtes « intermédiaires »  (municipales et européennes en 2014, départementales et régionales en 2015) considérées comme sans enjeux importants de pouvoir et donc utilisées comme une soupape d’expression pour toutes les craintes et protestations, étaient nécessairement favorables. Et il y en a eu, des craintes et des radicalités, en 2015…

Cette tribune de Jean-Philippe Moinet a été publiée sur le HUFFPOST

Trois études d’opinion récentes montrent aujourd’hui qu’à l’approche de l’élection présidentielle nous entrons bien dans une toute autre perspective pour les Français : non seulement le FN n’est pas perçu comme un parti crédible mais, face à lui, un bloc républicain de résistance s’est renforcé dans l’opinion, en particulier à droite et au centre. Par ailleurs, pour ce camp, une dynamique de primaires est devenu communicative au point de susciter un fort désir de primaires à gauche, le tout pouvant ressourcer un clivage démocratique gauche-droite et, ainsi, limiter encore davantage la capacité du FN à apparaître comme une alternative « nationale » au bloc droite-gauche qu’il cherche à amalgamer.

La hausse de la combativité anti-FN, à droite

La dernière étude annuelle « baromètre d’image du Front national »[1] montre ainsi que la perception négative du FN est à la hausse dans l’opinion, renvoyant l’image du parti lépeniste à l’année 2011, date à laquelle Marine Le Pen succédait à son père : entre temps le FN a certes fait de bons scores électoraux aux élections intermédiaires (en pourcentage des suffrages exprimés) mais dans l’opinion, malgré toutes les opérations « marinistes » de lissage (relatif) du discours et la rupture (consommée) avec son père,  56% des Français considèrent (comme en 2011) que le FN est « un danger pour la démocratie en France ».

L’isolement du parti d’extrême droite est net. Les Français ne sont par exemple que 9% à penser que le FN peut être traité « comme un allié en passant avec lui une alliance électorale globale ». Et, fait notable, la posture de barrage au FN est à la hausse : une marge majorité des Français estiment qu’il faut soit « le combattre », soit « refuser tout accord politique avec lui sans le combattre ». La hausse de la combativité est significative du côté des sympathisants de la droite « LR » (Les Républicains) : la réponse « le combattre » connaît une hausse de 16 points en un an.

Est-ce que les Français souhaitent que Marine Le Pen joue « un rôle important au cours des mois et des années à venir » ? Chute de 6 points (à 23%) pour la Présidente du FN. Et 66% des Français estiment que les termes « ferait une bonne Présidente de la République » « s’appliquent mal » à Marine Le Pen. On voit bien que les logiques protestataires, qui ont pu se développer aux élections intermédiaires passées, butent à la fois sur un bloc de résistance républicaine renforcée et sur un manque de crédibilité flagrant des solutions proposées par Marine Le Pen pour traiter les problèmes rencontrés: une énorme majorité de 73% « n’adhèrent pas aux solutions qu’elle propose », même si dans cette majorité 32% adhèrent « aux constats qu’elle exprime ». C’est dire l’importance du pas, que les Français ne franchissent pas, entre certains « constats », qui peuvent faire écho dans l’opinion, et les solutions avancées. C’est bien un problème de crédibilité qui se manifeste, pour le FN, à l’approche de la présidentielle où, au-delà des protestations et des postures, ce sont bien des solutions et des actions crédibles qui seront recherchées.

Marine Le Pen détrônée par Alain Juppé

Dans la même période, une autre enquête d’opinion[2] reflète notamment le grand intérêt porté dans l’opinion par la future présidentielle et l’épisode des primaires qui précédera, en novembre prochain, à droite et au centre. Une projection du premier tour de l’élection présidentielle montre que Marine Le Pen est nettement détrônée, dans un seul cas de figure : si Alain Juppé est candidat, même en présence de François Bayrou au 1er tour, le maire de Bordeaux atteint 31% des intentions de vote, devançant de 6 points Marine Le Pen. Le scénario est tout autre si Nicolas Sarkozy ou François Fillon sortaient gagnants des primaire : en ce cas, non seulement Marine Le Pen devancerait largement le candidat de droite (de 5 points dans le cas d’une candidature Sarkozy, de 10 points dans le cas d’une candidature Fillon) mais le candidat de la droite et celui de la gauche François Hollande seraient au coude-à-coude (à un petit point d’écart), ce qui induit clairement un gros risque, pour les sympathisants de la droite et du centre : celui d’une disqualification, au premier tour, du candidat de la droite républicaine et du centre.

Au fond, il apparaît aussi avec clarté qu’une attitude d’intransigeance vis-à-vis du FN, qui est celle jusqu’à présent d’Alain Juppé, est plus payante électoralement qu’une attitude qui consiste à vouloir se rapprocher du discours, des postures, voire des propositions du parti lepéniste, qui est le premier à en tirer profit, alors que ces imitateurs s’en trouvent affaiblis. Bien sûr, à 15 mois de l’échéance, beaucoup de choses peuvent fortement évoluer. Mais cette suprématie d’Alain Juppé, non seulement sur ses concurrents de droite, mais sur la candidate du FN, montre que la double clé de la crédibilité politique et de la constance des positions sera déterminante dans une compétition qui, compte tenu de l’importance de l’enjeu, sera d’une toute autre nature que ce qu’on a pu observer lors des élections intermédiaires passées.

La structuration de l’opinion autour de ces données est si clairement en train de s’imposer qu’à gauche, l’attrait pour les primaires, permettant de faire émerger le meilleur (électoralement) de ce camp, de ne pas rester spectateur d’un débat public animé par la partie adverse et peut-être de réduire l’influence du FN, est en train de prendre rapidement de l’ampleur. Une troisième étude d’opinion[3] révèle à la fois le désir d’une candidature unique à gauche et cette volonté de primaires pour sélectionner le (ou la) candidat(e) de 2017. Le score est sans appel : pour 79% des sympathisants de gauche, « dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017, une union de la gauche (socialistes, écologistes, Front de gauche…) autour d’une candidature commune serait indispensable pour assurer la présence d’un candidat de gauche au second tour ». Cet appel du « peuple de gauche », avant qu’il ne devienne très bruyant et peut-être irrésistible dans les semaines qui viennent, Jean-Luc Mélenchon s’est empressé de ne pas l’entendre : il  a annoncé sa propre candidature (sur le plateau de TF1), prenant de cours son allié communiste avec lequel il ne s’est pas concerté.

Une demande qui ne peut être ignorée, à gauche

Dans cette configuration de l’opinion, la position de François Hollande est à la fois délicate, voire acrobatique, mais pas totalement désespérée. En termes de candidatures souhaitées à gauche, selon cette dernière étude, le chef de l’Etat est relativement peu distancé (de 4 points quand même par Manuel Valls, et d’1 point par Martine Aubry). Mais l’impératif de regroupement et d’arbitrage démocratique est devenu tel, à gauche aussi, qu’il ne peut pas être ignoré sans risque majeur : 74% des sympathisants de gauche souhaitent ainsi une primaire qui rassemblerait « tous les candidats potentiels à gauche, y compris François Hollande s’il le souhaitait ».

Même si la constitution du nouveau Gouvernement, avec le retour des écologistes, montre que cette demande a commencé à être intégrée dans les décisions, rien n’indique que pour des primaires unitaires « la pression de la base » soit encore suffisante pour que François Hollande donne son feu vert et qu’un large consensus voit le jour pour aboutir à une telle procédure de sélection. Mais le raisonnement peut être renversé : jusqu’à quand François Hollande et les principaux dirigeants de la gauche au pouvoir pourront résister à cette demande pressante de primaires populaires, qui ne manquera pas de prendre de l’ampleur au printemps ? Sachant qu’ensuite, il sera sans doute trop tard.

Jean-Philippe MOINET,

auteur, fondateur de la Revue Civique,

directeur conseil à l’institut Viavoice.


[1] TNS Sofres pour Le Monde, France Info, Canal Plus. Février 2016.

[2] « Enquête électorale française 2017 », IPSOS SopraSteria pour le CEVIPOF et Le Monde. Février 2016.

[3] Le baromètre politique Viavoice pour Libération. Février 2016.