L’urgence d’une forte et rapide rénovation démocratique en France. Par Jean-Philippe Moinet

Alors que l’abstention a largement dépassé la barre des 50% au 1er et 2d tour des électeurs aux législatives (élections majeures s’il en est), Jean-Philippe Moinet en appelle, propositions précises à l’appui, à une forte et audacieuse réforme des institutions et des pratiques démocratiques.

Pouvons-nous laisser notre démocratie en cet état de désintérêt, en proie au risque de déliquescence et aux assauts de défiances radicales, avec une abstention qui dépasserait les 50% à ces élections législatives, majeures pour l’avenir du pays? Pouvons-nous laisser la fatigue et le décrochage démocratique emporter durablement plus de la moitié des citoyens?

Après le record d’abstention de 2021 (plus de 65% aux élections régionales et départementales), nous ne pouvons plus contourner ce mal démocratique qui atteint le lien de construction civique qui devrait relier les citoyens à leurs élites politiques et aux enjeux qui feront, ou devraient faire, un avenir commun. Ce n’est plus concevable pour une démocratie qui se veut solide et rayonnante.

Tribune de Jean-Philippe Moinet, qui en appelle (dans Le HuffPost) à une vaste et ardente réforme de rénovation démocratique en France
Cette tribune a été initialement publié par le média en ligne Le HuffPost

Il y a même urgence à agir. Après les législatives, un vaste chantier de rénovation démocratique doit être lancé pour résoudre le problème, qui ne date pas d’hier mais qui s’est dangereusement aggravé. Car aucun pouvoir, aucune société, ne peut vivre sans ce lien de participation qui fait que, au-delà de toutes les différences légitimes, un accord est assuré sur l’essentiel, sur ces cinq principes clés de la République énoncés dès l’article 1er de notre Constitution: Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité et, last but not least, Démocratie. Tout se tient par une démocratie ardente, tout peut se déliter sans démocratie vivante.

Un vaste chantier de rénovation démocratique doit être lancé. Car aucun pouvoir, aucune société, ne peut vivre sans ce lien de participation.

Il devient impératif de mettre en priorité du nouveau mandat présidentiel une vaste réforme non seulement des institutions mais des pratiques démocratiques, suffisamment ambitieuses et innovantes pour raccrocher une majorité de citoyen(ne)s aux wagons de notre vie publique, en les associant étroitement et régulièrement aux grandes orientations à tracer.

C’est un objectif essentiel qui n’a pas été atteint lors du premier mandat d’Emmanuel Macron. Il l’a lui-même reconnu, indiquant qu’il n’avait pas réussi à réconcilier les Français avec la ou les politiques. La réforme institutionnelle qu’il souhaitait lancer, avec des éléments d’innovation – comme l’interdiction du cumul des mandats dans le temps ou l’instauration d’une dose de proportionnelle – a été bloquée en 2018 par le Sénat. Et le chef de l’État, malgré la crise des gilets jaunes ensuite et après quelques hésitations, n’a pas voulu passer en force et utiliser l’article 11 de la Constitution (le référendum) pour contourner la voie prévue de réforme de la Constitution, à savoir l’article 89 (le Parlement réuni en Congrès).

La question de la confiance est devenue un vrai problème de société

Résultat, aujourd’hui le Président de la République, sa majorité et plus largement l’ensemble des élus républicains se retrouvent face à un défi majeur: renouer le lien avec les Français. Tous les signes d’éloignement et même de rupture sont connus. Et ils se sont tendanciellement aggravés. Depuis 15 ans, diverses études attestent de la dégradation du respect des institutions, qu’elles soient politiques ou non d’ailleurs: syndicats, partis et médias sont ainsi dans le top 5 des 20 organisations qui suscitent le moins la confiance des Français. La question de la confiance est devenue en France un problème de société qu’il faut savoir collectivement traiter.

Pour cela, l’audace doit s’imposer, au-delà des urgences du moment. Le président de la République l’a bien senti, lui qui a annoncé pendant sa campagne présidentielle la nécessité d’inventer une “nouvelle méthode”. Les contours sont encore imprécis, même si l’exécutif a amorcé une réflexion, interne pour le moment, sur la manière de soumettre de grands sujets (l’Éducation, la Santé notamment) à l’avis et des débats associant les organisations concernées (sociales, économiques, locales, associatives) mais aussi les citoyens directement, par le biais de convention citoyenne ou de consultations directes à grande échelle.

Les choses dans leurs détails ne sont pas arrêtées mais on voit bien la direction à prendre. Il s’agit à la fois de faire respirer les institutions de notre démocratie représentative et d’instaurer des pratiques nouvelles se tournant à la fois vers “les forces vives de la Nation” et vers les citoyens. Tous les moyens, numériques notamment, sont aujourd’hui disponibles et favorables à une démocratie consultative et délibérative bien organisée sur le territoire. Au moment de sa création, il y a une dizaine d’années, la Revue Civique se demandait pourquoi on appelait aux urnes les Français pour élire des représentants sans qu’on imagine le même processus pour leur permettre d’exprimer des opinions, des préférences, non pas sur des personnes ou des étiquettes mais sur des sujets ou des propositions, en évitant le travers des postures populistes qui cherchent à exploiter les émotions plutôt que la raison.

Tirer vers le haut la participation civique globale est possible

Aujourd’hui, alors que la participation électorale tend à s’affaisser, il apparaît plus que nécessaire d’appeler les Français à s’exprimer sur une série de questions ouvertes, permettant par exemple de mieux définir (et d’en débattre) quelques priorités et de soumettre des mesures au processus délibératif, le tout étant de nature à améliorer leur acceptabilité.

Dans cette perspective, l’expression populaire ne remplace évidemment pas la démocratie représentative, qui reste indispensable et légitime pour les grandes décisions, mais oblige les institutions à inscrire dans leurs agendas des expressions et propositions issues du processus citoyen. Cela ne peut que tirer vers le haut la participation civique globale et la reconnaissance des institutions de la République qui l’organise.

Bien sûr, pas de miracle à attendre. Les radicalités protestataires ne disparaîtront pas et l’esprit critique français sera à l’œuvre. Mais les pires démagogies extrémistes seraient pour partie prises à contrepied sur le terrain de l’expression populaire. Personne n’a le monopole du peuple, surtout pas les extrêmes, qui s’alimentent aussi des dysfonctionnements du “système” démocratique dans lesquelles elles ont loisir de se répandre. Toutes les formations et personnalités républicaines responsables, y compris d’opposition bien sûr, peuvent apprécier cette logique d’ouverture démocratique, qui élargirait l’espace du débat public. Et cela rapprocherait les citoyens de leurs élus et des corps intermédiaires appelés à participer au même processus.

Pour assurer à la fois le caractère opérationnel, avec des garanties d’indépendance, de ce processus consultatif et délibératif, il semble opportun qu’aux côtés du Parlement (et sous le contrôle des divers groupes parlementaires), un Centre d’information et de consultation civique (CICC), doté d’un collège de personnalités indépendantes (par exemple issues d’instituts de sondages et de la technologie civique) comme de représentants des collectivités locales, organise la mise en œuvre des étapes de consultations sur le territoire. L’ingénierie doit être à la fois assez élaborée et légère, pour être efficace (car incontestée) et agile pour produire les meilleurs résultats.

Le défi est très grand pour la démocratie française. Mais le pari sera assurément perdant (pour tous) s’il n’était pas tenu.

Jean-Philippe MOINET auteur, chroniqueur, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, fondateur de La Revue Civique.

(19/06/22)

-La tribune de JP Moinet dans La Croix: « Peut-on laisser plus longtemps plus de la moitié des citoyens sur le bord de la route de la participation ? »

-La tribune du collectif « Démocratie Ouverte », publiée dans Le Monde, co-signée par JP Moinet (avec la liste de près d’une centaine de personnalités signataires): « Le bouleversement institutionnel actuel est une formidable occasion d’ouvrir le chantier démocratique ».