Déroutante campagne

Déroutante campagne

-DÉROUTANTE CAMPAGNE : le monde est en ébullition, l’Europe en pleine crise, les perspectives politiques devraient donc être toutes autres, les candidats en appeler à une responsabilité collective, à un esprit civique mobilisé vers de nouveaux horizons… et que voit-on ? Des polémiques de cours de récréation, des propositions gadgets qui sortent des chapeaux, une focalisation à courte vue sur les sondages d’intention de vote, des surenchères de démagogies sur la droite comme sur la gauche, les étrangers et le halal à bâbord, la « caste » des super-riches à tribord, des exutoires qui font tanguer et donnent des hauts le cœur. N’a-t-on pas mieux à offrir en partage ?

-FAIT RARE POUR UNE PRÉSIDENTIELLE, les Français s’en éloignent dans un sentiment mêlé d’exaspération et de résignation (car il faudra bien aller voter).Ils savent que les temps sont durs, que l’heure est grave : selon Ipsos (cf. leur étude en rubrique «Études et sondages » ), ils sont même 65% à dire qu’ils ne sont pas être intéressés par la campagne, en tout cas telle qu’elle était embarquée jusqu’en mars.

-LES CHOSES VONT-ELLES CHANGER, le débat s’élever ? Les Français attendent sans doute du concret et des perspectives, des solutions crédibles et de l’espoir, des débats sur l’essentiel et non des polémiques sur l’accessoire. Logement, emploi, formation, solidarités… les thèmes qui les intéressent ne manquent pas. Pas plus que les perspectives à ouvrir : l’Europe et les enjeux de la mondialisation (économique, sociale et culturelle) sont des thèmes que la crise oblige à revisiter, thèmes difficiles, où les approches idéologiques, simlistes et binaires (gauche/droite) ne sont pas opérantes, thèmes qui devraient être au cœur des débats tant il apparaît certain que les solutions à la crise ne sauront être trouvées dans les seules limites de nos frontières nationales et d’un Etat plombé par le surendettement. L’Europe est notre nouvel horizon, mais personne, en France, n’ose vraiment le tracer. On préfère se replier et, syndrome de la présidentielle oblige, renforcer les illusions : la puissance publique est contrainte, le pays a frôlé la « faillite », mais on aime toujours mieux discourir sur la «grandeur de la France» plutôt que de reconnaître qu’il faudra bloquer les dépenses publiques pendant quelques années et, pour s’en sortir par le haut, bâtir une puissance européenne, réellement agissante et cohérente sur le plan économique et social.

-QU’ON L’APPRECIE OU QU’ON LE REGRETTE, notre réalité, dans tous les domaines, est celle des échanges mondialisés, qu’il s’agisse de l’industrie ou des migrations, des informations qui nous parviennent ou des biens que nous consommons. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons rien faire, que nous serons spectateurs d’une histoire qui nous échappe, mais cela veut dire qu’il faudra agir autrement, en particulier à l’échelle du continent, seule échelle où nous pouvons réunir nos chances, qui sont encore grandes si nous savons nous adapter.  Les « modèles » qui nous sont chers, en France,  et à juste titre, notamment dans le domaine social et culturel, ne pourront être défendus avec efficacité dans les dix ans qui viennent que si les Etats européens parviennent à s’unir sur l’essentiel et à définir, après des années de flottement et des actions nationales (et budgétaires) divergentes, une gouvernance adaptée aux enjeux de ce 21ème siècle.

-CE BEAU DÉBAT-LÀ, qu’aurait pu nous amener l’acuité de la crise dans un pays voisin comme la Grèce, n’est pas audible dans cette campagne. Pourquoi ? Est-ce – hypothèse soulevée par Franz-Olivier Giesbert par exemple – que les Français ne veulent pas voir la réalité en face ? Est-ce que nos responsables politiques, et médiatiques, manquent à leur devoir, celui d’éclairer, de tracer les perspectives d’avenir, en se complaisant dans les facilités du feuilleton de l’anecdote ? Encore un fois, venant des plus hauts responsables, la chose est troublante. On agite quelques chiffons, ici le spectre de l’immigré ou du halal, là celui d’une nouvelle taxe, le tout étant dans le «symbole» bien sûr. Dans une drôle (ou plutôt triste) «bulle». Celle des démagogies qui s’auto-entretiennent, des grandes illusions qui, si elles se développaient, ne laissent augurer rien de bon.
Mais tout n’est pas fini dans cette histoire française en marche. Reste à savoir si les citoyens, les premiers et grands insatisfaits de cette campagne, sauront faire prévaloir d’autres enjeux, qui appelleront d’autres discours. Ceux de la responsabilité collective qui sera, quoiqu’il en soit du résultat des urnes, à bien mieux faire partager.

Jean-Philippe MOINETfondateur et directeur de LA REVUE CIVIQUE
(9 mars 2012)