–On pourrait bien sûr dire : «Aux urnes, citoyens !» La présidentielle, la mère des batailles électorales, doit appeler une participation franche et massive. Occasion unique, dans la démocratie la plus centralisée du monde, de dire ce qu’on a sur le cœur et dans l’esprit. En pour et en contre. Pour le passé et pour l’avenir. 26 avril, pour un premier choix. 8 mai, pour le décisif.
–Curieuse focalisation sur deux jours ! Ensuite, pendant cinq ans, «circulez, citoyens, y a rien à voir» ? La démocratie française n’a-t-elle vraiment rien d’autre à offrir au 21ème siècle qu’une campagne théâtrale, frénétique et hyper-personnalisée – «pipolisée» aussi – qui tourne autour du jeu d’«hommes providentiels» ? Et qui évitent tous les sujets qui fâchent, alors que la crise devrait au contraire nous obliger à les traiter de face ? Ce qui était concevable il y a plus de 50 ans, quand « le Général » est sorti des combles de l’histoire pour façonner à sa main cette Vème République monocratique, correspond-il aux nécessités et aux temps actuels, à l’heure des réseaux numériques et sociaux, de la mondialisation des échanges et de la place rétrécie des Etats surendettés ?
-A contrepied et par conviction que notre avenir se jouera aussi sur l’enjeu d’une profonde modernisation civique et institutionnelle, le nouveau numéro de la Revue Civique tourne son regard de l’autre côté de la scène, vers le public plutôt que vers les acteurs. Les projecteurs sont quasiment tous braqués dans la même direction, de quelques grands discours et de nombreuses toutes petites phrases. Loin des projecteurs aveuglants, nous trouvons une utilité publique à nous interroger sur les symptômes démocratiques français, les sourdes insatisfactions qui traversent l’opinion (…)
-Si la classe politique est discréditée, avec une amplitude dont nous soulignons une fois encore la gravité (voir notamment en nos pages une série de tableaux de sondages, l’entretien avec François Miquet-Marty, président de ViaVoice, sur les « oubliés de la démocratie », et l’article de Pascal Perrineau), ne serait-il pas temps de se tourner non pas vers l’offre politique mais vers l’expression de la demande civique et de moderniser la relation si mal établie dans la durée, hors des démagogies de campagnes électorales, entre l’offre et la demande ? N’est-il pas temps de traiter cette question en profondeur, plutôt que de réagir dans le psychodrame, comme le 21 avril 2002 avec un Le Pen catalyseur de la protestation «anti-système» qui n’a, évidemment, apporté aucune solution mais fait honte à notre démocratie ?
–Les temps de crise devraient appeler une évolution accélérée de nos mœurs. La participation du citoyen à la chose publique devrait y avoir une place de choix. La Res Publica, qui nous est si chère, ne peut être totalement déléguée à des professionnels de campagnes électorales, enfermés dans une scène comme dans une bulle, alors que les frontières des décisions publiques se sont étendues à l’échelle des continents et du monde. Le masque de l’illusion, celle du pouvoir national absolu, colportant nostalgies et populismes, va-t-il enfin tomber ? A moins que ce soit, malheureusement, dans le fracas d’un nouveau 21 avril ?
–La question essentielle de la gouvernance et de l’articulation des différents niveaux de pouvoir, du local au mondial, devrait être de pleine actualité. Elle très peu abordée par des candidat(e)s qui, comme beaucoup de médias d’ailleurs, préfèrent les vieilles habitudes de la scénographie électorale. Sans se rendre compte que, pour un large public, il y a rupture. Nous soumettrons néanmoins nos questions et propositions aux principaux candidats à l’élection présidentielle. Notamment aux trois qui apparaissent les seuls à pouvoir être le Président du prochain quinquennat : le sortant, Nicolas Sarkozy, et deux prétendants qui semblent portés dans les sondages par le souhait d’alternative, ces deux François (Hollande et Bayrou) qui, à chance inégale sur la ligne de départ, se concurrencent pour incarner, à l’arrivée, le changement dans la responsabilité.
–Le contexte délétère de crise, et la menace d’une pulsion populiste et ultranationaliste, nous conduit donc aussi à poser la question de la place nouvelle que le citoyen doit acquérir pour mieux faire respirer notre démocratie et appauvrir le terreau des extrêmes, qui ont beau jeu d’exploiter les souffrances sociales et le thème de la «confiscation des pouvoirs ». Oui, c’est aussi une raison qui nous amène à penser qu’il faut donner la parole aux républicains ardents, en dehors des moments d’élections qui ne peuvent assouvir une soif durable de participation. Les primaires, à gauche, ont d’ailleurs montré (contre tous les pronostics) que l’appétit de débat et de participation était très fort dans notre pays. Il n’y a aucune raison de penser que cet appétit soit limité à un courant de l’opinion et au sujet des candidats à sélectionner.
–Cet appétit participatif concerne de nombreux sujets, qui pourraient être soumis à la question citoyenne lors de grands moments annuels de consultation des Français sur les thèmes qui les concernent : cela peut aller des grandes missions de l’Etat – la Justice, la fiscalité ou l’éducation… – à l’avenir de l’Europe en passant par des sujets relatifs à notre vie locale. Les cercles de proximité immédiate – localité, entreprise, association… – sont d’ailleurs les lieux où émergent des modes de gouvernance intéressants.
–On est très loin des schémas idéologiques, caricatures partisanes ou autres postures politiciennes qui envahissent les ondes et les colonnes des journaux depuis des mois. Même si la symbolique du chef perdure dans toute société, chaque citoyen ne peut-il pas avoir une part plus forte et concrète dans la construction collective, qu’il s’agisse de la vie politique, de l’entreprise, de la vie associative ? Oui, en 2012, «aux actes, citoyens !» Encore faut-il que de nouveaux outils de participation soient offerts et que les acteurs de la démocratie représentative, légitime, ne cherchent pas à «verrouiller» le système. Cela nécessite une petite révolution culturelle en France. A chacun d’y participer…
Jean-Philippe MOINET, fondateur et directeur de LA REVUE CIVIQUE
(janvier 2012)