Le terrorisme provoque l’émotion (naturelle): il ne doit pas favoriser son instrumentalisation (cynique). Par JP Moinet

A chaque attentat, les mêmes séquences, les mêmes images, les mêmes émotions et leurs tentatives de récupération. Sous les mandats successifs de Nicolas Sarkozy (avec l’attentat de Mohamed Merah), de François Hollande (avec notamment l’attentat contre Charlie Hebdo, l’Hyper Casher, du Bataclan ou de Nice), d’Emmanuel Macron (avec la récente série noire de l’assassinat du professeur Samuel Paty et de trois personnes dans la basilique de Nice), l’islamisme radical frappe, cherche à diffuser la terreur et y arrive, mécaniquement : les démocraties sont sensibles aux meurtres aveugles, aux massacres abjects et elles ont raison. C’est même, là, une marque essentielle de civilisation, qui différencie fondamentalement les pratiques démocratiques des pratiques barbares.

En France, et depuis de nombreuses années – au moins depuis les attentats du 11 septembre 2001 de New York qui ont sonné l’alerte dans tout le monde occidental – les services de sécurité sont mobilisés, renforcés et actifs, au-delà bien sûr des alternances politiques. La tragique année 2015 a, en France, provoqué de fortes et nécessaires adaptations, de moyens et de législation, pour mieux lutter contre le terrorisme. Sachant que cette guerre est une « guerre longue », menée par des faibles (en moyens et en armes) et des lâches (par leur procédés) qui arrivent à frapper par l’effroi, plus forts qu’eux (les démocraties).  

Perpétrés par des fanatiques dotés d’un simple couteau, les derniers événements ont relancé la machine à commenter l’effroi, et à vouloir adapter à nouveau nos moyens et notre législation.  Des renforcements sont sans doute à la fois souhaitables et possibles. C’est l’enjeu de toute action publique que de s’améliorer même si tous les spécialistes  savent -sans que les politiques n’osent le dire en ces circonstances- que le risque zéro n’existe nulle part en matière de terrorisme: dans aucune démocratie, ni dans aucune dictature (le triste chaos dans lequel a sombré la Syrie, devenue un temps la base privilégiée de Daesh, l’a tragiquement démontré).

Les fanatiques cherchent à faciliter des bascules dans des réflexes primaires et des comportements les plus irrationnels, où les haines en tous genres trouvent naturellement un terreau d’expansion.

« Sentinelle », une opération de nos Armées, bien appréciée par les Français.

Des dispositifs sécuritaires sont donc à renforcer en nos démocraties, même si on y voit à l’oeuvre les mécanismes de surenchères verbales qui, non seulement n’apportent souvent rien de concret, ni de réaliste, ni vraiment de nouveau mais peuvent favoriser l’objectif des islamistes radicaux, qui cherchent à nous entraîner collectivement dans une sombre logique : celle qui cherche à effrayer – et ils y arrivent avec de simples couteaux de cuisine – et, au-delà, à fracturer et déstabiliser les démocraties. Les islamistes cherchent à l’évidence, par la peur, à provoquer des fractures, des divisions, qu’elles soient politiques ou sociologiques: par exemple en cherchant à séparer l’ensemble des musulmans du reste de la communauté nationale. Les fanatiques cherchent à faciliter des bascules dans des réflexes primaires et des comportements les plus irrationnels, où les haines en tous genres trouvent naturellement un terreau favorable d’expansion. Répandre des actes de guerre civile est leur rêve insensé.

Le redoutable mécanisme des alliances objectives est un danger, il peut relier et réunir les extrémismes apparemment (mais faussement) opposés. Dans toutes les démocraties frappées par le terrorisme, et donc en France, les premiers bénéficiaires politiques des attentats sont ainsi depuis 20 ans les extrêmes droites, et tous ceux qui les accompagnent, qui trouvent dans la posture et la réaction « identitaire » une réponse facile à la violence aveugle du djihadisme. La surenchère verbale emporte parfois des élus non affiliés à l’extrême droite partisane (RN pour la France, Afd pour l’Allemagne ou de La Ligue pour l’Italie), des élus qui peuvent aussi se précipiter dans les superlatifs et des effets de loupe médiatiques, pouvant produire une dramaturgie d’ampleur non maîtrisée qui conforte, paradoxalement, les visées islamistes: créer le drame.

Ainsi, quand un député LR comme Eric Ciotti déclare, le jour de l’attentat à la basilique de Nice, que « notre pays n’est plus libre », on ne peut qu’être saisi par le raccourci : est-ce qu’un fanatique, doté d’un couteau, suffirait à rendre « non libre » et donc asservir un pays de 66 millions d’habitants ? Cette facilité de langage n’est-elle pas finalement une manière de nous livrer, de manière aussi expéditive qu’irresponsable, aux islamistes, à leur volonté d’emprise et de soumission ?  Sous le coup de l’émotion – ou du calcul ? – n’est-ce pas affaiblir la capacité de résistance face aux épreuves de la démocratie française toute entière ?

Certains ont vite parlé de sortir d’une « législation de paix », d’autres de se précipiter dans «une législation de guerre», les mêmes parlant de modifier notre Constitution, sachant qu’aucun fanatique ne sera naturellement stoppé par une quelconque réforme constitutionnelle, ni par la proclamation de nouveaux principes de droit mais, plus simplement, par des dispositifs concrets de sécurité publique. Y compris en mode silencieux.

Les temps terroristes sont durs, précisément pour cette raison : la Raison est emportée par les sentiments. On ne peut pas arrêter quelques fanatiques indétectables qui se saisissent d’une arme blanche pour attaquer ? Peu importe, c’est « l’immigration » qu’il faudrait arrêter !

En fait, l’émotion faisant partie de la vie publique, certain(e)s acteurs/actrices politiques aimeraient en  faire l’élément central de la vie politique qu’il est plus facile de secouer par des émotions faciles que d’animer par des actions difficiles, vie politique qu’il est plus facile d’orienter vers des postures déclamatoires (quand on est dans l’opposition) que par des actions concrètes (quand on est au responsabilité), où le principe de rationalité – et d’efficacité – finit pourtant par s’imposer et dominer toute posture compassionnelle.

Les temps terroristes sont durs, précisément pour cette raison : la Raison est emportée par les sentiments et quand le fanatisme se fait meurtrier et sauvagement meurtrier, c’est naturellement le sentiment de vengeance qui devient le plus populaire. C’est ainsi que la pente dangereuse du sentiment et de la démagogie est largement empruntée. Des criminels islamistes sont étrangers ? Peu importe que beaucoup aient été, ces dernières années, de nationalité française, c’est « l’immigration » dans son ensemble qui est « dans le viseur », pour reprendre le bandeau d’actualité d’une chaine d’information continue.

On ne peut pas arrêter quelques fanatiques indétectables qui se saisissent d’une arme blanche pour attaquer ? Peu importe, c’est « l’immigration » qu’il faudrait arrêter ! Le slogan est porteur. Mais aucun pays, occidental et démocratique, n’a jamais « arrêté » l’immigration – qui est régie par des règles, sans doute à actualiser sans cesse et à renforcer dans leurs contrôles, comme aucun pays au monde n’a jamais empêché une immigration clandestine de déjouer les règles les plus strictes.

Peu importe, quand les peurs se saisissent des esprits, il faut par la surenchère, et parfois par de vrais-fausses solutions, occuper les esprits, les canaliser, les orienter vers des forces qui font des phobies en général – et de la xénophobie en particulier – le premier carburateur de leur expansion.

L’efficacité des professionnels de la sécurité contraste avec le bruit des déclarations tonitruantes, qui se situent moins dans l’action opérationnelle que dans les visées et calculs politiques.

La protection des lieux de culte. Déjà en décembre 2015, au moment de Noël.

Dans les circonstances de menaces terroristes dans laquelle la France – parmi et après bien d’autres pays – se situe aujourd’hui, à l’évidence les dispositifs sécuritaires doivent être renforcés. Par les actions militaires sur les théâtres d’opérations extérieures, où notre pays s’est d’ailleurs courageusement engagé depuis de nombreuses années avec nos alliés (notamment au Sahel avec l’opération Barkhane, ou au Levant avec l’opération Chammal). Par les actions policières, de sécurité intérieure, à compléter sur le territoire national où les actions les plus efficaces ne sont d’ailleurs pas les plus visibles.

Un attentat a été déjoué chaque mois en moyenne en France, depuis plusieurs années. Ce résultat résulte du professionnalisme des forces de sécurité intérieure, des services de renseignements notamment, qui agissent jour et nuit dans un silence remarquable qui est le gage, on le sait, de l’efficacité en ces domaines. Cette efficacité des professionnels contraste d’autant plus avec le bruit des déclarations tonitruantes, qui se situent moins dans l’action d’intérêt général opérationnelle que dans les visées de récupérations et les calculs politiques. C’est aussi le jeu de la démocratie. A se demander si certaines forces politiques et certains élus n’attendent pas, avec une délectation et un cynisme à peine contenus, une nouvelle série d’attentats pour faire prospérer, dans une dramaturgie surjouée et orchestrée par leurs soins, des thèses qui, sans cela, resteraient dans une marginalité politicienne.  

Finalement, en ce domaine comme dans d’autres, la démocratie française saura, ou ne saura pas, se relever par le haut : en restant solides sur ses fondamentaux historiques et son identité, ceux de la République, de ses lois, et de l’Etat de droit. Ou en choisissant le chemin dangereux des émotions dominantes, des instincts primaires et des options « identitaires », ce chemin obscur que tracent les fanatiques islamistes, et qu’ils aimeraient tant élargir en boulevard.

Heureusement, mais il faut être collectivement vigilants, il n’est pas sûr que les Français aient fait le choix de « ne plus être libres ».

Jean-Philippe MOINET, auteur, chroniqueur, fondateur de La Revue Civique, a été  Président de l’Observatoire de l’extrémisme.

Sur les murs d’une école, à Paris, après l’attentat du Bataclan.