La sécurité d’Israël passera à terme par la sécurisation (internationale) de Gaza, garantie de la paix

Même si les positions semblent dramatiquement figées dans la guerre Hamas-Israël, l’histoire du Proche-Orient a montré qu’une « nouvelle donne » peut, à terme incertain, devenir certaine et transformer le climat. Analyse de Jean-Philippe Moinet.

Six mois après l’attaque terroriste du 7 octobre, attaque Hamas qui a sauvagement et délibérément déclenché la guerre contre Israël, les perspectives de cette guerre meurtrière sont à la fois incertaines dans sa temporalité mais assez certaines sur ses aboutissements. L’apparence d’une impasse, puis la sortie du tunnel.

Cette guerre, comme d’autres qui l’ont précédé dans la région, aura une fin. La question de son terme reste ouverte mais les forces en confrontation, comme les puissances mondiales en observation, savent bien qu’un jour, très prochain ou assez lointain, arrivera où les armes lourdes se tairont à Gaza. Les appels au cessez-le-feu, perspective théorique que tout le monde ne peut que souhaiter, butent actuellement sur la volonté israélienne qui est de le conditionner absolument à deux conditions préalables : la première est la libération de tous les otages détenus par le Hamas (132 personnes, dont des enfants, des jeunes femmes et trois Français, sont à ce jour détenues par l’organisation terroriste, sans qu’on sache précisément combien sont encore vivantes).

La deuxième condition est le démantèlement complet du Hamas, condition qui est la plus difficilement évaluable avec précision aujourd’hui et la plus discutée sur la scène internationale, les partisans de Benjamin Netanyahou ajoutant à la destruction intégrale du dispositif militaire du Hamas, la destruction de sa dimension politique. Mais jusqu’où aller dans les durs combats sans continuer à toucher « collatéralement » mais tragiquement des milliers de civils qui ont naturellement rien à voir avec le mouvement islamiste qui les a pris cyniquement, et depuis longtemps, en boucliers humains. De source Hamas, le nombre des « civils » gazaouis tués seraient d’environ 35 000. Ce chiffre, souvent repris (parfois même sans évoquer sa source), est invérifiable sur le terrain. Il n’est pas forcément faux non plus mais il peut être aussi mis en relation avec le nombre des combattants armés du Hamas, qui étaient estimés par les experts en stratégie avant le 7 octobre à un totale allant de 20 à 30 000 combattants au moins.

Que sont devenus les 30 000 combattants armés du Hamas,

qui étaient dénombrés par les experts avant le 7 octobre ?

Que sont devenus ces 30 000 combattants armés du Hamas ? Ces islamistes en combat actif mais pas toujours en treillis se sont évidemment fondus, après leur attaque du 7 octobre, dans la population civile à Gaza et pour certains terrés en relais dans les fameux tunnels (de plusieurs centaines kilomètres au total) qui ont été la cible des plus durs combats terrestres et souterrains depuis des mois aux abords immédiats d’infrastructures civiles, comme les hôpitaux ou les écoles. Le Hamas n’a manifestement pris aucune précaution pour épargner les populations civiles vivant au-dessus de ces tunnels, pas plus que Tsahal n’a considéré qu’il fallait suspendre les combats pour cette raison de proximité avec les bâtiments civils.

Il n’en reste pas moins que les dégâts, humains et humanitaires, sont très importants à Gaza et que les deux parties en belligérance en sont mécaniquement responsables: le Hamas d’abord, pour avoir sciemment provoqué et déclenché cette guerre; Israël ensuite, pour avoir mené des opérations de grande ampleur, qui ne pouvait que mener à ce chaos. Alors comment sortir de cette situation, qui paraît aussi tragique qu’inextricable ? La communauté internationale, Etats-Unis et Europe notamment, fait naturellement pression de toutes parts pour favoriser la libération des otages et aboutir à une situation qui pourrait approcher, ensuite, l’étape de l’arrêt des combats. Mais ni le Hamas, ni les dirigeants israéliens, n’ont pu à ce jour de début avril 2024 trouver un terrain d’accord minimum permettant d’aboutir à ce premier stade.

Pourtant, en coulisses, beaucoup d’acteurs y travaillent activement, du côté des pays occidentaux, Américains et Européens particulièrement, du côté de certains pays arabes aussi, notamment de ceux qui avoisinent la bande de Gaza, qu’il s’agisse de l’Egypte (dont le régime combat depuis des années les islamistes « Frères musulmans », auxquels est affilié le Hamas), de l’Arabie Saoudite (monarchie puissante dont on sait qu’elle réprouve toutes les influences de l’Iran dans la région, le Hamas à Gaza étant l’un des proxys armés iraniens avec le Hezbollah et les Houthies) ou encore des pays arabes qui avaient été signataires des Accords d’Abraham (Emirats arabes unis, Bahreïn, Soudan, Maroc), qui ont suspendu leurs relations officielles avec Israël sans les rompre définitivement ou totalement.

Jean-Philippe Moinet estime que la sécurité de l'Etat d'Israël, pour le moyen et le long terme, passera inévitablement par la sécurisation de Gaza, assurée par la communauté internationale et un groupe d'acteurs clés.

Le désengagement de Tsahal à Gaza passe par un désarmement durable du Hamas à Gaza, où certains acteurs internationaux ont et auront un rôle d’influence majeur

Tout le monde voit bien, y compris chez les Israéliens naturellement, qu’il ne peut y avoir de sécurité durable pour l’Etat d’Israël sans, à terme de cette guerre, une sécurisation de la bande Gaza, sans une pacification négociée et organisée des territoires palestiniens, sans la perspective d’un Etat palestinien reconnaissant l’existence de l’Etat d’Israël, l’objectif de sécurisation passant aussi, à terme, par une nouvelle gouvernance palestinienne et un engagement concret de la communauté internationale et d’un groupe d’acteurs concertés permettant d’assurer le silence des armes et la sécurité de tous, population gazaouie comprise bien sûr. Le désengagement de Tsahal passe donc par un désarmement durable du Hamas : cet objectif simple dans son énoncé est aussi difficile à obtenir, en engagements concrets de la part de certains pays arabes notamment, que l’objectif de reconnaissance des droits des Palestiniens est difficile à obtenir, en engagement concret, de la part de certains dirigeants israéliens et le Premier ministre Netanyahou en particulier. En tout cas pour le moment.

L’histoire a cependant montré à plusieurs reprises, en ce Proche-Orient compliqué, que ce qui était un temps le plus catégoriquement exclu et même considéré comme impossible à concevoir par les parties en guerre – ne pas oublier par exemple les violences terroristes de l’OLP et les accords qui ont pu quand même aboutir, ensuite, entre dirigeants arabes et dirigeants israéliens -, peut basculer rapidement dans une « nouvelle donne » géopolitique, qui transforme le climat et ouvre un horizon de paix. Paix armée certes, paix précaire – l’histoire l’a montré aussi -, mais paix quand même.

La « solitude » d’Israël – pour reprendre le titre du récent livre de Bernard-Henri Lévy – est donc d’une actualité certaine, elle n’est pas pour autant une durable fatalité. Les débouchés de guerre peuvent même surprendre.

Jean-Philippe MOINET

(04/04/2024)