Comme dans toutes les crises et les grands moments d’Histoire, les comportements humains révèlent le meilleur comme le pire. Il y a par exemple ces agressions, honteuses, de personnels soignants, ces mots anonymes déposés dans des boites aux lettres où ces humbles héros sont présentés comme des menaces.
Il y a aussi la kyrielle de protestataires incorrigibles, aux réflexes pavloviens, qui ne savent pas vivre hors de la dénonciation, souvent idéologique, parfois radicale, et la critique systématique: « JE critique donc JE suis », cette posture égotiste assez répandue (dans le milieu politique, intellectuel, voire journalistique) doit rassurer ces inquiets qui transfèrent leur anxiété (compréhensible) ou frustrations (moins compréhensible) sur des boucs-émissaires (faciles). « Personne n’avait encore accepté réellement la maladie. La plupart étaient surtout sensibles à ce qui dérangeait leurs habitudes ou atteignait leurs intérêts. (…) Leur première réaction, par exemple, fut d’incriminer l’administration »: c’est ce qu’écrivait le grand Albert Camus dans La Peste…
Il y a ceux qui se construisent sur la performance démagogique, à la surface des émotions, des pulsions et des frustrations ».
Et il y a bien sûr, les récupérateurs professionnels des peurs populaires, ces nationaux-populistes qui se construisent dans la performance démagogique, à la surface des émotions et des pulsions. Entre la gauche ultra et l’extrême droite, il y a une grande compétition sur ce sordide marché, où Marine Le Pen s’est surpassée pendant cette crise du coronavirus, affirmant sans la moindre retenue, encore moins de scrupules: « On vous ment sur tout » ! Rejoignant allégrement un complotisme ambiant quand elle indiqua par exemple qu’il était « de bon sens » de se demander si le coronavirus n’était pas une création des laboratoires !
Il y a ces déversements de cynisme en cette crise, où l’on trouve aussi ce que le philosophe Alain Finkielkraut a joliment appelé « la bêtise des intelligents », quand il s’est franchement démarqué de « l’esprit de système » d’un groupe d' »indignés » (qu’a tenté de canaliser le magazine Causeur), qui s’en prenait par idéologie aux « dirigeants » plutôt qu’au virus et à sa contagion mondiale.
Mais bien heureusement, il y a une puissante tendance inverse, faite de désintéressement, d’humilité et de modestie, une armée de solidaires invisibles, reliés par des milliers de gestes fraternels, qui préfèrent agir concrètement avec les autres que lutter contre de fantasmatiques démons. Oui, une multitude de citoyen(ne)s s’est largement manifestée aussi dans cette crise, qui a également déclenché une autre contagion, non seulement de comportements civiques (le confinement, devenu en quelques jours une norme sociale à l’échelle du pays) mais de gestes positifs pour les autres, la société de proximité qui fait sens: les voisins d’immeuble, les personnes isolées, âgées, défavorisées, les êtres chers aussi qu’on a vus différemment.
Une scène m’a personnellement touché. Une voisine d’immeuble que je connaissais très peu a très discrètement déposé, un matin, des masques – faits maison et lavables ! – à ma porte aussi. Geste bouleversant, qui fait dire que la France, bien au-delà de ce que peut faire (ou ne pas faire) son « Etat-Providence » (dont on sait les limites), a des ressources humaines formidables: qui s’appellent solidarité, prise en charge, civisme et générosité.
Oui, la France se sort et se sortira de cette épreuve car elle puise en elle bien plus de belles sincérités que de petits calculs, bien plus de disponibilités pour la solidarité concrète que de volontaires pour l’agressivité ou le ressentiment. Naturellement, il ne faut pas être naïf, la nature humaine reste et restera contrastée dans ses dispositions, comme la société reste et restera marquée de disparités, voire de divisions. La démocratie doit s’exprimer, et l’esprit critique vivre pleinement, y compris dans les excès.
Cette crise est aussi un grand miroir d’humanités, simples, dignes, utiles: pour soi comme pour les autres »
Mais cette crise, qui est un grand révélateur d’une vulnérabilité planétaire, qui a mis en lumière de manière inédite l’interdépendance entre le « Je » et le « Nous », est aussi un grand miroir d’humanités, simples, dignes, utiles pour soi comme pour les autres. L’ampleur de la réserve sanitaire et de la réserve civique mises en place et qui ont fait lien de solidarité avec les acteurs associatifs, comme la multitude des petits gestes du quotidien font, au total, une impressionnante chaîne de citoyenneté bien plus active et solide, que le déversement d’agressivités, de dénonciations et de haines qui n’ont d’autres débouchés qu’une aveugle auto-promotion qui finit par tourner en boucle sur elle-même, et se détourner de l’intérêt public.
A l’inverse, la discrète et simple générosité comme l’esprit critique clairvoyant, eux, diffusent du positif, non seulement qui réconfortent mais qui assurent l’avenir des temps incertains auxquels doit s’attendre la collectivité (nationale, européenne et mondiale). Un avenir qui ne se construira que par la multitude d’initiatives solidaires et par ce qui lui est lié: l’esprit de responsabilité partagée.
Jean-Philippe MOINET, auteur, chroniqueur, fondateur de La Revue Civique
(15/04/20)