Tribune de Jean-Philippe Moinet publié par le Huffington Post le 31 août 2017.
Symptôme? La semaine dernière un média évoquait, à gros titre, la rentrée ratée d’Emmanuel Macron… alors que la rentrée n’était pas faite! Ce dimanche, à lire des « Unes » de deux grands journaux (moins leurs pages intérieures…), on se croirait plongés en une obscure fin de règne, « cote d’alerte », « attention danger ! »… Deux tiers d’opinions favorables au printemps, l’hôte de l’Élysée est descendu à un gros tiers, en fin de cet été. Crépuscule d’un Dieu nommé Jupiter?
Quand on voit la stabilité-efficacité-rationalité allemande (après 10 ans de Merkel, les Allemands en redemandent!), on peut s’interroger sur la versatilité (de surface d’ailleurs) française, la fébrilité de notre insatisfaction nationale en tout cas. Quand on demande aux Français s’ils sont satisfaits (des politiques au pouvoir), depuis plus de 20 ans, ils répondent vite, et structurellement, NON (entre 4 et 6 mois, selon les cas, après le court nirvana de la présidentielle, lui même signe d’immaturité). Même quand aucune mesure majeure n’est entrée en application, ni même, dans le cas présent, décidée…
Une vieille habitude sur laquelle
prolifèrent les nationaux-populismes
Nous avons donc à faire là à une vieille habitude, sur laquelle prolifèrent les nationaux-populismes, devenus flamboyants. C’est cela aussi la France, on y aime brûler les idoles d’un moment, on y aime les enfermements idéologiques, les postures slogans qui brocardent, à l’approche d’une réforme, même modérée – « libéral » est une injure sans argument pour les uns, comme « socialiste » pour les autres –, le tout produisant des réactions aussi, parfois de la pire espèce. In fine, voilà comment un pays, celui de la conservation d’habitudes stratifiées, s’installe durablement dans la morosité protestataire et, pour son développement et son rayonnement, dans les risques du statu quo permanent. Mal Français. Dont ont été victimes, parmi bien d’autres, dans des temps espacés de plus 15 ans, par exemple Alain Juppé et François Hollande. Qui, tous deux, sentant l’air du temps actuel, sont néanmoins sortis de l’été en lâchant leur critique acerbe à l’égard de l’hôte de l’Élysée. Ne parlons pas des éructations mélanchono-lepénistes qui, de surenchères en récupérations des protestations populaires, ont déjà tonné et s’amplifieront dans les semaines qui viennent, quand le marché des protestations de rue sera ouvert.
Certains, optimistes, diront qu’on en revient tout simplement à une situation politique normale. Ce n’est pas faux. Avec des oppositions qui se reconstituent et une majorité, plus faible que ce que l’arithmétique des législatives pouvait montrer, majorité qui va devoir agir malgré les obstacles. En ce cas, il est sain que la monarchie républicaine française soit mise en cause, dans ses attitudes jupitériennes et ses orientations politiques. Mais ce qui peut néanmoins inquiéter, c’est que le grand penchant idéologique et protestataire français rejoint une certaine tendance politico-médiatique, qui s’en tient souvent aux enjeux de tactique politique, à vue assez courte, où l’horizon ne dépasse pas la semaine.
Signe. La pré-rentrée aurait pu par exemple être marquée par un débat puissant, passionné, pourquoi pas polémique, sur les trois ou quatre mesures-clés qui, sur le droit du travail entre autre, sujet qui concerne la vie de tous les Français (qu’ils soient actifs ou inactifs-chômeurs), mesures qui devraient être mises ou non en œuvre rapidement. Vous avez entendu ou vu les passions se déchaîner sur des mesures concrètes, avec des arguments précis, sur des changements d’ampleur ? Pas vraiment.
Impression d’une course de vitesse
au détriment de l’ambition « Révolution »
Le débat public, et le pouvoir en place, vont-ils réussir à tracer des perspectives larges et ambitieuses, au-delà d’arbitrages de petite conjoncture, et dépasser ce qui doit simplement équilibrer, ou moins déséquilibrer, les comptes publics d’ici la fin de l’année ? Impression d’une course de vitesse, où le court terme (normalement géré à Matignon, par Édouard Philippe) l’a emporté cet été sur les perspectives de moyen et long terme (normalement tracées à l’Élysée par Emmanuel Macron).
Passer de la parole aux actes, quand il s’agit de l’ambition d’une pacifique « Révolution » (titre du livre d’Emmanuel Macron), est bien sûr un exercice sans doute plus compliqué en France qu’ailleurs. Quand on voit par exemple que la mesure consistant à baisser les APL (aides au logement) de 5 euros par mois (pas le prix d’un paquet de cigarettes) a provoqué ce qui a vite été appelé « un tollé ». Oui, l’exercice est compliqué, même quand « l’État-providence » a démontré (au moins depuis 20 ans) toutes ses limites (ne serait-ce que budgétaire) et son essoufflement durable.
Mais pour paraphraser Sénèque, ce n’est pas parce les choses sont compliquées qu’on n’ose pas, c’est parce qu’on n’ose pas qu’elles deviennent compliquées. Et, en l’espèce (et le dilemme aurait été le même pour tout autre hôte de l’Élysée qu’Emmanuel Macron), il devient sans doute impératif au pouvoir d’oser autre chose, en tout cas, à défaut de recette miracle, d’essayer d’autres choses (au pluriel), et vite, dans les domaines clés que sont, on le sait depuis 30 ans en terme d’attentes de l’opinion, l’emploi (le chômage de masse), l’éducation et la formation.
L’intérêt du pays, non pas à 5 jours mais à 5 ans
La question de cette rentrée est donc la suivante : voyant clairement les oppositions protestataires recommencer à gronder dans divers segments de sensibilités (y compris modérées), le tandem Emmanuel Macron-Édouard Philippe va-t-il être tenté par une conciliation consensuelle et trouver les petits dénominateurs communs (mais minimalistes en terme d’impacts) pour les réformes affichées au dessein présidentiel ? Ceci au risque d’enliser l’ambition de « transformation » du pays et de poursuivre une sorte de hollandisme, en le modernisant simplement sur la forme ? Ou le plus jeune Président de la Vème République va-t-il continuer de surprendre, d’amplifier la recomposition politique amorcée au printemps, en appelant de ses vœux et surtout en réalisant sans attendre les premières transformations, par exemple en terme de « flex-sécurité » (plus de flexibilité pour les employeurs, plus de sécurité pour les salariés) ou de formation ?
Napoléon, dont on dit qu’il participe de l’imaginaire macronien, a gagné de grandes batailles compliquées : « sur le front, ma gauche m’enfonce, ma droite m’attaque, je fonce !!! » Bien sûr, les temps actuels méritent un art de la synthèse. Mais aussi une lucidité sur l’intérêt du pays, non pas à 5 jours mais à 5 ans. Cette rentrée va éclairer, sans doute durablement, le personnage. Et montrer réellement si Emmanuel Macron tourne ou non le dos, définitivement, à la méthode des synthèses permanentes hollandaises, qui ont tant compromis, comme il le regrettait à Bercy, l’action et l’image de son prédécesseur.
Changement (réel, y compris de méthode et de gouvernance) ou continuité tranquille, un moment, il faudra trancher. Emmanuel Macron et son équipe le savent. La réponse que le chef de l’État apportera en cette rentrée impactera le reste de son quinquennat.
Jean-Philippe Moinet, auteur, chroniqueur, fondateur de la Revue Civique
@JP_Moinet
(le 31/08/2017)