Prêter une oreille attentive au mal-être, réconforter par une présence-même l’espace d’un instant-une personne en situation de grande solitude, se placer suffisamment en amont afin de prévenir la crise suicidaire: voici quelques-uns des principaux objectifs poursuivis par l’association S.O.S Amitié, qui fête cette année son 50ème anniversaire. Comme le précise la Charte de S.O.S Amitié: « S.O.S Amitié est conscient que tout être humain, à tout moment de son existence, peut avoir besoin d’être écouté par un autre être humain, disponible et attentif. (…) Dans un monde où les communications entre les personnes se font mal(…), S.O.S Amitié s’efforce de conduire la personne écoutée à prendre l’initiative dans les choix de son existence individuelle ou sociale ».
Aujourd’hui, les quelques 1800 bénévoles reçoivent annuellement 720 000 appels, et ce sur tout le territoire français. Forte de principes et de valeurs ancrés depuis l’apparition du premier poste d’écoute à Paris, cette association a cependant été amenée à évoluer, accompagnant notamment les changements sociaux et les évolutions technologiques de son époque. Si la détresse et l’urgence prévalaient autrefois, les « écoutants », comme on les appelle, sont aujourd’hui confrontés à une demande relevant plutôt du maintien du lien social. Cette demande est d’ailleurs en grande partie due à l’évolution du téléphone et d’internet qui permet des communications facilitées car moins onéreuses, et donc plus nombreuses.
Le premier poste d’écoute de S.O.S Amitié est mis en place à Boulogne en 1960 par le pasteur Jean Casalis. Des « répondants » sont accessibles de façon anonyme à toute heure du jour et de la nuit. Bientôt, les postes d’écoute essaiment à travers la France, et tous se réunissent en 1965 au sein d’une structure de coordination fédérale, S.O.S Amitié France. Très vite, le service proposé va s’affranchir de toute connotation religieuse et s’enraciner dans un humanisme largement ouvert, sans jugement ni référence à une morale. Peu à peu, le rôle des bénévoles va également évoluer : l’écoute va prendre le pas sur le dialogue. Il s’agit non plus de dire mais d’aider à dire. Au cours des années 70, les « répondants » vont ainsi devenir des « écoutants », invités à se mettre en retrait (« l’écoute requiert un suprême degré de retenue plutôt qu’un suprême degré d’initiative agissante… » Carl Rogers). Ce changement d’approche est codifié dans la Charte officielle de l’association élaborée en 1976 et régulièrement révisée afin de s’adapter aux changements de la société française.
Ces changements s’accompagnent d’un rôle accru des psychologues, des psychothérapeutes et des médecins psychiatres, qui forment et animent régulièrement les groupes de bénévoles. En 1991 paraît un livre blanc de la formation, qui a pour but de préciser les fondements déontologiques et les repères d’organisation de l’association et est destiné aux futurs écoutants, leur rappelant également les étapes de leur formation. Avec la Charte « S.O.S Amitié », l’association s’adapte ainsi aux évolutions sociales et technologiques. A titre d’exemple, S.O.S Amitié commence dès 1999 à expérimenter un service d’écoute sur internet (S.O.S Amitié Internet : www.sos-amitie.org). L’idée est de combiner messages électroniques envoyées par les personnes en détresse et écoute téléphonique classique. L’utilisation des nouvelles technologies permet de toucher un public plus large et notamment une tranche d’âge plus jeune, jusqu’alors peu touchée par l’offre téléphonique.
Ces évolutions technologiques laissent cependant encore une large place à l’écoute au moyen du téléphone (un appel toutes les 40 secondes !). Certaines personnes chargées d’écoute sont attachés à une relation qui prend appui sur la voix. « Une voix, comme le précise l’éditorial de la Revue consacrée aux 50 ans de S.O.S Amitié, dont les multiples intonations permettent de sentir, au-delà des mots, l’état dans lequel se trouve la personne qui appelle et ainsi l’accompagner. Une relation véritablement duelle, aussi, tandis que se multiplient les possibilités pour la personne fragilisée de «zapper» en vue de rechercher une réponse immédiate à son problème ». S.O.S Amitié se place ainsi dans une démarche de renouvellement et de réflexion permanente sur ses moyens d’agir et sur son rôle au sein de la société française. On est ainsi passé d’un service d’aide qui avait alors pour principal mission de prévenir les suicides des personnes dans la région parisienne à une organisation présente dans toute la France et qui s’efforce de recréer un lien social pour les personnes en détresse et isolées. Et ces personnes ne manquent malheureusement pas, qu’il s’agisse des Sans Domicile Fixe-de plus en plus jeunes- ou des personnes âgées qui ne reçoivent plus de visites depuis bien longtemps et s’éteignent seules chez elles lors d’un été caniculaire…
Le gouvernement actuel a d’ailleurs proclamé la Lutte contre les solitudes « Grande Cause nationale 2011 ». Instaurée depuis quelques années maintenant, le principe de la Cause nationale est de permettre à des associations et des organisations à but non lucratif de diffuser pendant un an à leur guise leur message via la télévision, la radio, les journaux et la publicité plus généralement. Cette année, S.O.S Amitié est en bonne place au sein des associations reconnues pour leur combat contre la désagrégation du lien social et les situations d’extrême solitude. Et la situation est loin de s’améliorer : une personne sur trois souffrirait de solitude en France. Jean Nicolas, qui a œuvré pour S.O.S Amitié depuis 1979, parie ainsi sur la pérennité de l’association à laquelle il aura consacré trente ans de sa vie : « Permettez-moi de prophétiser que S.O.S Amitié restera encore indispensable très longtemps, car la planète sera réchauffée bien avant que des relations chaleureuses et véritablement fraternelles ne s’établissent entre les hommes »…
Aurélien Mathé
(in La Revue Civique N°6, automne 2011)