Il faut l’avoir vu pour le croire. C’était l’autre soir, sur iTélé. Commentant « l’affaire Dieudonné », Eric Zemmour s’inquiétait-il avec vigueur de l’écho que prend en France les saillies antisémites et les thèses négationnistes ?
Non, le chroniqueur polémiste a doctement considéré que toute cette affaire relevait de « la haine de la France ». Et que celle-ci provient surtout de « la France black, blanc, beur » dont on nous « bassine », estime-t-il, depuis trente ans.
Et de charger la « petite main jaune »de SOS Racisme, qu’il trouve insupportable. Et d’insister sur toutes les dérives de l’après Mai 68. Et de dénoncer le danger communautariste provenant surtout, assène-t-il, de « la France de la diversité ». Et d’enfoncer son clou, avec une élégance typiquement d’extrême droite : Dieudonné ? C’est « l’enfant d’Harlem Désir et de Christiane Taubira » !
C’est éclairant et inquiétant. Zemmour a ainsi été, l’autre soir, en quelques phrases très travaillées, un porte-parole (au sens étymologique). Pas plus que Dieudonné n’est un « humoriste » en spectacle (c’est un politique qui tient meeting sur la haine), Zemmour n’est un chroniqueur éclairé. Il est devenu un propagandiste « racialiste », sorte de petit télégraphiste, du Front national version Jean-Marie !
Marine Le Pen fait tout son possible, avec un certain succès marketing, pour lisser la parole frontiste et tenter d’enjoliver la vitrine FN.
Elle entend gommer tout positionnement verbal laissant directement entendre que Noirs, Arabes ou juifs sont les maux de la France – même si c’est ce que pensent tout bas les bataillons qui travaillent pour elle. Zemmour, lui, n’a pas de tel complexe !
Obsédé par les origines
et la couleur de peau
Zemmour cogne, obsédé par les origines ou la couleur de peau (celle d’Harlem Désir ou de Christiane Taubira). Il en fait la clé d’explication obsessionnelle de la « haine de la France ». C’est devenu, consciemment ou inconsciemment, son fonds de commerce, avec la complicité de quelques médias plus ou moins abusés.
Voilà un effarant et bien triste retour en arrière du débat public, dans une posture de type ultra-réactionnaire. Une réaction primaire à la France telle qu’elle est, naturellement plus « diverse » qu’il y a quarante ans (quoique : Zemmour, que fais-tu de l’héritage colonial !). Ce qui rend malade Zemmour, comme Le Pen père et Cie.
Sa lecture de l’affaire Dieudonné est non seulement totalement erronée mais elle effraie tant elle est un symbole de la dérive actuelle du débat public.
Dieudonné, enfant de Taubira ? Il oublie de dire que la garde des Sceaux est, sur ce sujet, sur la même ligne d’intransigeance absolue que Manuel Valls.
Zemmour n’ignore pas le climat qui a amené sur le devant de la scène les injures racistes visant la ministre, quelques semaines avant que la « quenelle » de Dieudonné fasse l’objet de toutes les attentions. Zemmour s’en tient à son petit argumentaire, blâmant la « France black, blanc, beur » qu’il honnit.
Dans une vue très courte, mais facile car elle lui permet de « cliver » son propos, le Zemmour fait aussi porter toute la responsabilité du « tintouin » Dieudonné au ministre de l’Intérieur et à la gauche.
Pourtant, à l’évidence, droite, gauche et centre se sont à juste titre inquiétés des risques de propagation des thèses antisémites et négationnistes de Dieudonné. Ces idées peuvent vite aller d’un stade anglais aux salles de spectacle françaises. Dans ces théâtres, on trouve un public, qui n’est pas marginal, prêt à rire du pire cauchemar qu’a connu l’Europe il y a un peu plus de soixante-dix ans.
A l’heure où les derniers survivants de la Shoah sont, par définition, moins nombreux à pouvoir témoigner, faut-il accepter qu’on s’esclaffe, sur le dos des victimes, autour de ce que Dieudonné a appelé « une pornographie mémorielle » ?
Pas un mot, étrangement, de Zemmour sur ce sujet, alors que l’occasion lui était largement donnée sur la chaîne d’information en continu.
Il a préféré relever qu’il était contre la loi Gayssot (qui établit l’interdiction de diffuser les thèses qui nient l’existence des chambres à gaz et de la Shoah), étrange point commun avec les amis de Dieudonné. Zemmour préfère s’en tenir à son obsession : la France métissée.
En creux,
l’apologie d’une France blanche
Mais que veut dire sa dénonciation télévisée de la « France black, blanc, beur » ? On peut aisément en déduire, qu’il s’agit de prôner une France « bleu, blanc, rouge »… « BBR » comme disait le bon vieux Jean-Marie. C’était le « bon temps », quand le FN mettait les pieds dans le plat bien gras du racisme de la France d’en bas !
Contre « Black, Blanc, Beur », « BBR » veut dire « blanc », dans le petit jargon ignoble des militants FN. Sous le manteau, un peu comme Dieudonné à la « Main d’or », ces derniers diffusaient des petites annonces d’embauche portant la mention « BBR » afin de recruter blanc tout en espérant échapper à la sanction des tribunaux (pour discrimination à l’embauche).
On comprend pourquoi Zemmour est, en matière juridique, contre une belle « exception française », qui a permis à la République d’établir un arsenal juridique contre les actes et propos racistes, antisémites et négationnistes. Zemmour le « libéral » préférerait sans doute s’exiler aux États-Unis (ou, comme Dieudonné, en Iran) pour échapper aux lois françaises ?
On comprend en tout cas pourquoi Zemmour voulait, il y a quelques années devant un petit cénacle de députés ultra-libéraux (minoritaires à l’UMP), que l’État supprime la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde, dont les services ont depuis été intégrés au Défenseur des droits).
Et pourquoi il réclamait que cessent les subventions aux « ligues de vertus », comme il les appelle avec mépris (encore un emprunt de langage venu du FN) que sont SOS Racisme ou la Licra.
Les télés complices d’idées « racialistes »
Il faudrait quand même que certains grands médias, audiovisuels notamment – comme iTélé, du groupe Canal Plus, ou RTL – finissent par comprendre les dangers des postures « racialistes », dont Zemmour s’est fait, marketing de l’exclusion faisant, le représentant tristement emblématique.
Non pas que la question des origines des personnes soit taboue. Les sorties de Zemmour sur ce thème, notamment en ce qui concerne les chiffres de la délinquance, relèvent d’ailleurs du même amalgame sur les origines. Ce dernier est non seulement infondé quant à l’extrapolation des faits qu’il a osé faire sur certaines antennes, mais proprement insupportables.
Ces propos sont inacceptables à la fois pour les « catégories d’origine » qu’il a tendu à incriminer globalement, mais aussi pour tous ceux – très nombreux – qui ont une certaine idée de la République. Une République qui, précisément, offre à tous les citoyens l’opportunité de sortir de toute catégorie (ethnique, religieuse ou autres) dans laquelle on pourrait être tenté de les enfermer ou de les ramener sans cesse.
Les temps de crise font sauter des digues
Alors que le « politiquement correct » risque, de fait, de devenir en France le « politiquement xénophobe », il faudrait que certains médias prennent garde à ces dérive, qui débouchent sur des postures ou des grilles de lecture racialistes.
Le débat et la vie publique, la vie politique et la société toute entière glissent alors vers des thèses qu’on pouvait croire révolues depuis très longtemps. Les temps de crise font sauter les digues que la dignité humaine devrait exiger en toute période.
Les souffrances sociales, les dérèglements politiques (notamment « les affaires »), les difficultés économiques, ont conduit et peuvent encore conduire aux pires effondrements moraux et aux violences contre des boucs émissaires.
Alors que la France redécouvre avec effroi que, sous couvert d’humour, on s’en prend à guichets fermés aux juifs et à la Shoah, Zemmour ose de son côté un piteux spectacle sur la « France black, blanc, beur ». On ne rit pas. Il faut condamner.
Jean-Philippe Moinet, Directeur de la Revue Civique
> Tribune publiée sur Rue89