Pour Alexandra de Hoop Scheffer, Directrice du bureau parisien du German Marshall Fund of the United States, le thème central de la conférence de Munich sur la sécurité internationale (de février 2017) revenait sur les trois préoccupations européennes actuelles : la peur de l’affaiblissement « des piliers de l’ordre libéral international »; les risques d’un vide de leadership mondial liés à la politique « America First » (l’Amérique d’abord) du Président Trump ainsi que par une Europe divisée ; sans oublier les menaces qui pèsent sur la démocratie. Sommes-nous au bord d’un âge « post-occidental », ou même d’un post-ordre, un âge « post-vérité » ? Comment peut-on éviter de remplacer un partenariat basé sur la confiance mutuelle par des sphères d’influence divergentes ? Voici les réponses d’Alexandra de Hoop Scheffer.
……………………………………………………………….
Pour cette experte, depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, la situation est claire : l’OTAN et la survie même de l’Occident ont été remis en question, ce qui démontre que l’ordre mondial a déjà changé. À la conférence de Munich, on a surtout remarqué la déclaration du Ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, qui préconisait de bâtir un monde basé sur la coopération multilatérale et une mondialisation ouverte… Le concept chinois d’une « communauté mondiale dont l’avenir est à partager » contrastait avec l’actuelle attitude européenne, où des visions différentes sur l’avenir de l’UE semblent irréconciliables : par exemple, l’Allemagne souhaite plus d’intégration et d’unité européenne ; la Pologne, une solidarité souple ; et la Lituanie ne veut pas entendre parler d’une Europe à deux vitesses… Plus que jamais à Munich, dénonce Hoop Scheffer, les dirigeants européens se sont montrés divisés et incapables de relever les défis internes et externes de manière coordonnée. Ainsi, l’Union Européenne n’a même pas été mentionnée une seule fois dans le discours du vice-président américain.
Sous-estimation de la nouvelle réalité américaine
Dans ce contexte, les dirigeants européens continuent pourtant de se tourner vers les États-Unis pour se protéger, comme pour se rassurer; ils sont tentés de sous-estimer la nouvelle réalité politique américaine. Le débat sur le partage du fardeau financier de la défense du Vieux Continent a mis en évidence les lacunes conceptuelles entre Bruxelles et Washington: les Européens espèrent que les Américains respecteront et défenderont les valeurs démocratiques alors que Washington demande à l’Europe d’être un partenaire responsable en développant ses propres capacités militaires. La déception finale est inévitable, avertit cette analyste de la German Marshall Fund of United States. D’une part, les Européens résisteront aux demandes des États-Unis d’augmenter les dépenses militaires, alors qu’il conviendrait sans doute de promouvoir une « voie européenne » de sécurité mettant l’accent sur le développement et l’aide humanitaire, ce qui entraînera sans doute des tensions transatlantiques. James Mattis, le nouveau Secrétaire à la Défense des Etats-Unis, mettra sans doute pour sa part toute la pression pour que les Européens contribuent plus amplement aux dépenses de l’OTAN et atteignent, tel qu’il l’a prévu, la barre des 2% des Budgets (des Etats) consacré aux dépenses militaires .
De plus, l’engagement des dirigeants américains envers la stabilité mondiale et l’État de droit est en train de s’affaiblir. Malgré les discours rassurants que les hauts fonctionnaires des États-Unis essayent de faire valoir, il est évident que la politique « America First » (l’Amérique d’abord) sera moins universaliste que la politique de l’administration Obama. Et plus encore, rappelle Hoop Scheffer, la manière avec laquelle l’administration Trump gèrera les questions russe et iranienne montrera d’une façon claire comment les Etats-Unis traiteront l’enjeu de l’Europe.
L’option d’une indépendance politique de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis
L’OTAN et l’Union Européenne ont compris que pour maintenir leur pertinence ils ont besoin de s’adapter et d’innover. Et, comme cette auteure le souligne, les premières mesures ont déjà été prises. Ainsi, à Munich les dirigeants allemands et français ont mis l’accent sur la coopération en matière de sécurité et de défense et sur le renforcement de la machine défensive européenne. « En 2016, l’Allemagne s’est concentrée sur la question des réfugiés, la France sur le terrorisme. Aujourd’hui, l’Allemagne travaille avec la France au Mali », rappelle Hoop Scheffer. Le Brexit et la victoire de Trump ont convaincu tous les États membres de l’Union européenne de la nécessité d’élaborer une stratégie de sécurité commune, peut-être différente de la vision américaine. La meilleure option pour l’Europe à l’égard des États-Unis est celle d’une indépendance politique croissante. Si l’unité transatlantique devient moins évidente sous l’administration Trump, affirme avec conviction Hoop Scheffer, l’unité de l’Union Européenne sera encore une fois une nécessité absolue.
Des doutes et des questions s’accumulent
Même si l’OTAN est en train d’intensifier la lutte contre l’autoproclamé État islamique et d’autres extrémistes violents, les doutes et de nouvelles questions s’accumulent. Par exemple, se demande cette auteure : la menace terroriste suffira-t-elle à convaincre l’administration Trump de l’importance du partenariat transatlantique en matière de sécurité ? À qui peuvent faire confiance les Européens aujourd’hui ?
En tous cas, s’il y a une chose que la conférence de Munich a confirmé pour la première fois de l’histoire récente, conclut Alexandra de Hoop Scheffer, c’est que les dirigeants européens devront s’engager dans une diplomatie bilatérale avec l’administration américaine, en renfonçant activement leurs propres équipes de sécurité nationale. Pour cela, il sera central de convaincre les républicains et les démocrates de tradition libérale (au sens large, de protection des Libertés) d’agir en tant que rempart légal contre les tendances isolationnistes de Trump. Puisque le nouveau président américain sera au pouvoir au moins pendant quatre ans, la stratégie des Européens, explique cette experte, devrait être celle d’une coopération renforcée dans ces domaines d’intérêt commun et de s’assurer, en priorité, que les décisions prises à Washington à l’égard de la Russie sont décidés en consultation (et concertation) avec les alliés européens. Cela serait déjà une victoire pour la diplomatie européenne.
Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ
(mars 2017)