Simone Veil, l’autorité d’une humanité. Douleur, hantise, mais optimisme quand même.

Entrant au Panthéon avec son mari Antoine, Simone Veil a été honorée par une cérémonie nationale en ce haut lieu républicain de « La patrie reconnaissante ». Jean-Philippe Moinet, auteur, chroniqueur, fondateur de la Revue Civique, l’avait bien connue, nouant avec elle des relations personnelles, régulières et approfondies. Comme il s’en est souvenu, avec ces quelques mots, au moment de sa disparition.

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Simone Veil est partie. Définitivement. Elle était déjà si loin, trop loin de nous, touchée par cette terrible maladie qui transporte ailleurs…

Un flot d’hommages publics est tombé, de tous bords (sauf à l’extrême droite), de tous lieux. Si mérités.

Une douleur étreint. Des souvenirs personnels jaillissent. Lutte contre l’extrémisme, Europe, Mémoire de la Shoah… s’en va un monument d’autorité -et d’humanité. De simplicité aussi. Je la vois encore, une bassine de haricots qu’elle écossait en toute simplicité sur les genoux, dans sa maison provençale, discuter de l’actualité politique avec moi. Cet été là, elle avait invité, pour toutes les vacances chez elle, un enfant de harki. Son sens de la solidarité et de la mémoire historique, sans mélange des genres, était sans frontières.

Sa rigueur de magistrate était impressionnante. Elle avait mis notamment toute sa force, comme on le sait, au service de la cause des femmes. Elle avait agi, par la Loi, contre des murs d’archaïsme et de brutalité, quand Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, pour la première fois, l’avaient appelée au Gouvernement. La réforme, concrète, précise, efficace, l’intéressait. Loin des idéologies ou des postures, qui tendent à tellement polluer, en France, l’air de la politique.

Le sens de la justice et de la discrétion

Le sens de la justice, et de la discrétion aussi, si rare chez les politiques, l’incarnait. Jamais, elle ne rendait public, ses actes de générosité, qui était nombreux et grands, envers des personnes déshéritées, touchées par des drames, souvent des femmes. Elle n’avait rien à prouver. Elle n’était pas fascinée, du tout, par les médias. Cela faisait aussi sa force, son charme, cette rigueur, parfois très rude, qu’elle réservait aussi à ceux qu’elle accueillait dans son cercle de confidences. Une rudesse qu’il fallait prendre comme un don.

Elle et Antoine, dans le cadre du Club Vauban (« et droite, et gauche », c’était il y a 20 ans et loin du marketing politique), m’avaient fait l’honneur de m’accompagner en réflexion, et encouragement, quand je préparais par exemple les fondations et les actions de « l’Observatoire de l’extrémisme » (pour une vigilance républicaine). J’ai naturellement gardé de nos nombreuses discussions, des leçons de vie pour toujours. Dans son comportement, il y avait tant de dignité, de sens, de droiture.

La hantise des derniers rescapés

mais la force des actes simples pour l’humanité

Simone est partie. Un an après Elie Wiesel. Et une certaine hantise reste: celle des derniers rescapés de l’horreur absolue de l’extermination à échelle industrielle, commise par un Etat de haute civilisation européenne…. Qui désormais, avec l’autorité incontestable du vécu, va pouvoir témoigner ??? Et nous prémunir, avec autant de puissance naturelle, contre les atrocités qui, toujours, menacent ???

Gardons néanmoins un message d’optimisme. Celui qui nous fait penser que la raison, le Droit et l’humanité finissent toujours par l’emporter contre les assauts des fanatismes meurtriers, qui détruisent des vies certes, mais finissent aussi par s’autodétruire.

Simone évoquait aussi, souvent, la grandeur des actes simples, anonymes, trop oubliés, par exemple des « Justes » sous l’Occupation nazie, ces non Juifs qui, au péril de leur vie, avaient simplement trouvé naturel, évident, important, de sauver des Juifs des filets exterminateurs, de les accueillir et les cacher chez eux.

Simone, adolescente, avait subi la violence inouïe de la déportation, et  de l’extermination des siens, de ses plus proches. Elle n’en parlait pas aisément mais elle en parlait, un peu, avec une sobriété qui glaçait d’émotion. Elle avait fini par transformer sa tragédie personnelle en une force agissante: pour les autres, pour une haute idée de la République et de la démocratie, pour une France et une Europe, qu’elle voulait fortes et unies.

A la fin de sa vie, la maladie avait fait vaciller sa mémoire personnelle.

Que la France républicaine ne fasse pas vaciller la mémoire collective que notre pays, et toute l’Europe, lui doit.

Jean-Philippe MOINET,

auteur, chroniqueur,

fondateur de la Revue Civique

(30/06/17)

Des combats, pour une haute idée de la République et de la démocratie, de la France et de l’Europe.