Dire du mal, Claude Sérillon le définit comme « un réflexe commun », comme « une manie qui ne cesse », « comme un penchant naturel « , car « il y a un bonheur à dire du mal ». Son livre « Dire du mal » (Editions Descartes) offre une vision de notre société actuelle et de ses travers, en particulier à travers le prisme médiatique que l’auteur a bien connu : Claude Sérillon a été journaliste depuis 1970, présentateur notamment du JT de TF1 et France 2, avant d’être quelques temps conseiller du Président François Hollande.
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La Revue Civique : Quelles responsabilités ont, selon vous, les médias dans le phénomène du « tout-dénigrement », que vous avez analysé ?
Claude Sérillon : Le ‘dire du mal’ actuel vient de loin. Nous avons l’habitude de râler, de tenir des propos de comptoirs, de tourner en dérision tout et n’importe quoi, disons que c’est un état d’esprit assez Français mais ce qui a changé c’est l’ampleur de cette ‘râlerie’. Compte tenu du développement phénoménal des réseaux sociaux et des moyens de communication, chacun se prend pour un journaliste et c’est donc une véritable surenchère de rumeurs, d’opinions, d’avis personnels à laquelle nous assistons. Les médias professionnels n’ont pas vu venir la vague mais ils ont aussitôt suivi. En ce sens, ils n’ont pas joué le rôle qui est le leur : expliquer, tenter de comprendre, mettre de la raison et de la rigueur, hiérarchiser les informations. Le système média est devenu plus important que le système politique…
Dans votre livre, qui traite beaucoup des médias, il y a un certain nombre de tacles enrobés avec beaucoup de bienveillance, grâce à votre style d’écriture. On peut y voir un diagnostic-réquisitoire, où vous dénoncez un certain nombre de « maux » : la course à l’audience, la « peur d’être zappé », l’instantanéité, la suffisance, « la science de l’à peu près », « l’arnaque intellectuelle certaine »… Les principaux remèdes sont, selon vous, de « se mettre à distance, de choisir soigneusement les mots, de montrer que tout ne se vaut pas », mais comment faire pour les mettre en œuvre, alors que c’est souvent la rapidité de l’information et de son analyse qui prime ?
Mon propos est libre mais j’ai pu constater après des décennies de journalisme et un passage (court) au plus haut niveau de la République, combien à proportion de la complexité du monde dans lequel nous sommes il est nécessaire de livrer des informations vérifiées, mises en perspective, claires…Or la seule règle actuelle semble ‘l’immédiateté’. C’est à dire l’émotion, la pulsion, la mode. On le voit avec des emballements pour les faits divers, avec des titres grossiers voire vulgaires, avec des jugements partiels, rapides, fugaces sur telle ou telle personne publique. Il y a quelques années un magazine titrait « Sarkozy voyou » ! Je ne pense pas qu’il s’agisse de journalisme.
« On est loin du mieux disant culturel »
Selon vous, « le citoyen s’ennuie ferme lorsque l’on tente, ici ou là, de mettre en mesure toute chose, du raisonnable », le citoyen serait alors devenu simpliste… mais au contraire n’y a t-il pas une demande, de la part du téléspectateur-citoyen (ou lecteur, auditeur), pour une offre journalistique plus exigeante, avec plus de recul et d’analyses ?
La supposée demande du téléspectateur, de l’auditeur ou du lecteur est le plus souvent contradictoire. Il veut se distraire et s’informer, regarder des documentaires et des enquêtes sérieuses, des films intelligents…et en réalité il va au plus pressé, au plus facile. Nous sommes tous responsables. La télévision est un appareil électro-ménager. On l’ouvre, on le ferme. On consomme. La multiplicité des offres tire plutôt vers le bas. On est loin du mieux disant culturel. Donc c’est notamment au service public de relever le niveau. Les journaux télévisés sont souvent achevés, en terme d’information, sur l’actualité à 20 H 15. La suite, c’est du spectacle.
Vous ciblez en particulier les chaînes d’information en continu, qui vont d’ailleurs être 4 sur la TNT, avec LCI et la chaîne d’information du service public. Que vous évoque ce passage de 2 à 4 chaînes d’information en clair ?
Je ne veux pas préjuger de ce que sera la nouvelle offre de France TV. On peut aussi parier sur l’intelligence…
Vous aussi, finalement, vous dîtes du mal de ceux qui « disent du mal » … est-ce un ras le bol que vous exprimez dans cet essai ?
Je ne crois pas dire du mal de ce métier qui me passionne…je fais un constat, je donne des exemples et j’invite à regarder une deuxième France qui se trouve dans le partage, l’association, hors du champ média autocentré et parisien
Racontez-nous la fin… où en sera-t-on dans quelques années ? Continuera-t-on à « dire du mal » dans ces proportions là, en France ?
Je reste un optimiste qui doute…je crois que c’est à nous journaliste de trouver le courage et l’envie de redéfinir cette profession, sur le plan éthique notamment.
Propos recueillis par Bruno Cammalleri
(février 2016)