Quand M Le Pen suscite la polémique sur le voile, la kippa, le hallal, le casher… Par Marc Knobel

L’historien et essayiste Marc Knobel rappelle dans La Revue Civique, la polémique symptomatique suscitée par la candidate du RN Marine Le Pen, à propos du voile et de la kippa dans la rue, ou encore le hallal et la viande casher.

Son affiche électorale fleurit et recouvre les panneaux électoraux de toutes les communes de France et de Navarre. Marine Le Pen a les mains appuyées sur un bureau, elle sourit, derrière elle un mur légèrement grisâtre comme seul décor. Sur l’affiche, il est écrit en toutes lettres : « Pour tous les Français ».  Vraiment ? 

Le voile et sa discorde

En 2012, Marine Le Pen soulève un tollé en prônant l’interdiction du port du voile et de la kippa en France. Elle réitère ses propos en 2019, mais le spectre est élargi. « Je souhaite que le voile soit interdit dans l’intégralité de l’espace public ». Marine Le Pen explique alors que « le voile est un marqueur idéologique et un marqueur identitaire ». Lors du Grand Jury RTL, Le Figaro, LCI du 20 octobre 2019, la présidente du Rassemblement national (RN) commente et explique que « dès 2004, lorsque la question du voile dans les écoles a été posée, nous savions que le voile se démultiplierait et serait utilisé comme une arme politique. C’est pour cela que dès 2004, il aurait fallu l’interdire dans l’ensemble de l’espace public ». Cependant et curieusement, elle oublie de mentionner que la loi du 15 mars 2004 complète sur la question du port des signes ostensibles d’appartenance religieuse le corpus des règles qui garantissent le respect du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics. Par ailleurs, les convictions religieuses des élèves ne leur donnent pas le droit de s’opposer à un enseignement[1].

Le 15 avril 2022, Marine Le Pen échange avec une femme voilée sur le marché de Pertuis (Vaucluse). Foulard sur la tête, une Française d’origine algérienne, Malika Bounedjar, l’interpelle sur l’immigration et le port du voile. « Vous savez très bien qu’il y a un certain nombre de quartiers dans lesquels les femmes qui ne portent pas le voile sont mises à l’écart, elles sont isolées, elles sont jugées », répond Marine Le Pen.

L’argument réitéré à de nombreuses reprises porte auprès de son électorat. L’épineuse question du port du voile divise même les Français. Il est vrai que dans certains quartiers, le voile est un marqueur non seulement identitaire, mais surtout religieux. Les femmes ont peur d’être stigmatisées, d’être rejetées par des voisins, des membres de leur famille. elles portent donc le voile.

Le programme de M Le Pen prévoit l’interdiction du voile dans la rue, comme un référendum sur l’immigration, la suppression du droit du sol et l’instauration de la « priorité nationale » – principe de discrimination – dans la Constitution.

Mais, que propose Marine Le Pen ? Que les femmes qui portent le voile (par exemple, dans la rue) se voient affligées d’une amende. « Oui, c’est un peu comme lorsque l’on nous a forcé à porter le masque, lorsqu’on ne le portait pas, on a eu une amende. » Mais, comparaison n’est pas raison. Expliquons. Pendant le confinement, n’importe quelle personne qui ne portait pas de masque pouvait être verbalisée. Mais, dans ce cas d’espèce, par contre, la cible est clairement désignée, certaines femmes (pas toutes les femmes) qui porteront le voile seront verbalisées et elles seules.

Et, en cas de récidive ? Marine Le Pen répond « Non, lorsque vous ne mettez pas votre ceinture de sécurité, vous avez une amende. Si le lendemain vous ne la mettez pas, vous avez la même amende[2] ». Là encore, Marine Le Pen essaie de contourner cette difficulté en prenant un exemple qui puisse marquer l’opinion. C’est ainsi qu’elle contourne la difficulté.

S’ensuit une légère distorsion dans les propos sur le port du voile. Se poserait la question de l’âge. Serait-il possible que des femmes âgées puissent continuer de porter le voile ? Le 17 avril, sur BFMTV, Sébastien Chenu, porte-parole du RN, explique qu’il y a « un clivage générationnel dans tout ça […] Le Parlement se saisira de cette question et apportera les réponses pratiques pour qu’effectivement la grand-mère qui a 70 ans et qui porte son petit voile depuis des années ne soit évidemment pas concernée parce qu’elle n’est pas la cible. La cible, ce sont les islamistes ». Mais voilà. Jordan Bardella, actuel président du RN, semble le contredire et affirme qu’il « n’y aura aucune distinction d’âge[3] ».

Mais, comment pourront s’opérer ces contrôles ? Imagine-t-on vraiment que les policiers -qui ont déjà dû verbaliser avec le port du masque- n’auront que cela à faire que de dévisager la tête des femmes pour dresser une amende à celles qui porteront un fichu ou un foulard ? A moins que sous sa tutelle, l’on veuille créer une hypothétique « fashion police », spécialisée dans l’accoutrement et le vêtement de ces dames ? En vérité, « dans l’espace public, dans la rue, l’interdiction du voile serait disproportionnée », rappelle le constitutionnaliste, Jean-Philippe Derosier[4].

Par ailleurs, quid des religieuses catholiques qui portent un voile ? Seront-elles verbalisées également ? Mais voilà, entre les deux tours de la présidentielle de 2022, la candidate est rattrapée par cette mesure controversée, parce qu’elle veut éviter les polémiques et tout ce qui pourrait la « diaboliser », mais aussi parce qu’Emmanuel Macron s’est emparé du sujet. La voilà donc qui rétropédale laborieusement.

Et, si sur le fond Marine Le Pen est toujours sur la même ligne (l’interdiction du voile dans l’espace public), elle semble opérer une soudaine inflexion et laisse la porte ouverte à un prétendu débat.  « Je ne suis pas obtuse », a-t-elle expliqué devant la caméra de BFMTV (16 avril 2022). Elle avoue que ce « sont des problèmes complexes, j’en suis parfaitement consciente de ça », dit-elle. Puis, elle explique qu’il « y aura une loi, elle sera soumise au Parlement, il y aura une discussion. » Elle ajoute également « qu’avec le référendum d’initiative citoyenne, les citoyens pourraient abroger cette loi, s’ils ne sont pas satisfaits ». 

Seulement voilà… Une telle proposition se heurterait, a priori, à plusieurs principes constitutionnels tels que d’égalité des citoyens devant la loi, la liberté religieuse ou encore le principe de laïcité, fondement de la Ve République.

La kippa et son « petit sacrifice »

En 2012, Marine Le Pen demande aux Français de confession juive de consentir un « petit sacrifice », même si leur signe religieux ne « pose pas problème », dit-elle. Elle réitère son propos et se dit favorable à l’interdiction d’autres signes religieux, comme la kippa. « Nos compatriotes juifs ne posent aucun problème avec leur kippa (…) Je leur demande de faire ce sacrifice pour pouvoir mettre en place une véritable lutte contre le fondamentalisme islamiste dont ils sont eux-mêmes en partie les victimes ». La phrase sur le « petit sacrifice » est particulièrement déplacée. Faut-il rappeler que, depuis de nombreuses années, la plupart des Français de confession juive ne portent plus la kippa, tout simplement parce qu’ils craignent pour leur sécurité ?

Hallal, casher et bien-être des animaux ?

En 2012 et en 2017, Marine Le Pen dit faire de la protection animale une priorité nationale. Elle veut défendre le bien-être des animaux en interdisant l’abattage sans étourdissement préalable. Par ailleurs, en 2012 à Lille, Marine Le Pen provoque une vive polémique lorsqu’elle affirme que « l’ensemble de la viande qui est distribuée en Île-de-France, à l’insu du consommateur, est exclusivement de la viande halal », ce que la profession dément immédiatement[5].

Le 26 mars 2022, Marine Le Pen indique vouloir « supprimer et interdire l’abattage sans étourdissement », sur le plateau de M6. Dans son programme, Marine Le Pen ne précise pas comment les personnes de confession juive et musulmane pourraient consommer de la viande en France suite à cette interdiction. C’est alors que le 19 avril 2022, au micro de France Inter, Jordan Bardella apporte cette précision. Si Marine Le Pen était élue, il sera possible « d’importer de la viande casher ou halal qui sera abattue selon un rite parfaitement religieux », précise-t-il. « Il ne s’agit pas de pénaliser des gens qui veulent pratiquer leur religion ». Importer de la viande ? Mais, à quel prix et avec quelles garanties de traçabilité et de sécurité quant à leur consommation? Mystère.

Mais voilà. Sur France Inter, interrogé sur l’encadrement ou l’interdiction éventuelle de la tauromachie et de la chasse au nom de cette même dignité animale, le même Jordan Bardella assure que ni l’un ni l’autre ne sera interdit et que la tauromachie sera simplement interdite aux mineurs. Le président du Rassemblement national, qui justifie l’encadrement de l’abattage rituel par le bien-être animal, se dit par ailleurs opposé à un encadrement de la tauromachie au nom des « traditions ». « Il y a certaines traditions qui sont des traditions culturelles, qui sont des traditions françaises, des traditions européennes depuis plusieurs années », justifie Jordan Bardella, au sujet de la tauromachie[6]. Sur la chasse, Bardella se dit choqué à titre personnel « par la chasse à courre ». Le président du RN estime qu’il y a tout de même « de très gros efforts de régulation à faire notamment dans la répartition des domaines [parce que] bien souvent les domaines de chasse sont aussi des domaines de loisirs, notamment pour les familles qui veulent aller se balader les week-ends et je pense qu’il y a un sujet à ouvrir avec les acteurs autour de la table »[7].

En fait, nous voyons-là et avec notamment les exemples du hallal et du casher, comment s’opère la distinction subjective – et discrimination réelle – qui est faite entre les uns et les autres. Sous quelques fallacieux prétextes purement idéologiques, Marine Le Pen marginalise certaines communautés. Et, au fond, pour les citoyens juifs et les citoyens musulmans, ces mesures portent atteinte à la possibilité d’exercer librement leur pratique religieuse.

Marc KNOBEL, historien et essayiste.

(20/04/2022)