Le décryptage des programmes économiques des candidats à l’élection présidentielle était au centre des réflexions d’un petit-déjeuner débat, organisé par HEC Paris avec Viavoice (le 15/03/17), animé par François Miquet-Marty, président de Viavoice. Deux invités pour éclairer cet enjeu : Nicolas Bouzou, économiste, essayiste, fondateur du cabinet Asterès, auteur notamment de « L’innovation sauvera le monde. Philosophie pour une planète pacifique, durable et prospère » (Plon). Et Jeremy Ghez, professeur affilié d’économie et d’affaires internationales à HEC Paris, co-directeur du Centre de géopolitique et ancien rédacteur en chef du trimestriel La Nouvelle Revue Géopolitique.
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Et si la France résistait à la tentation populiste, et le percevait au lendemain de l’élection présidentielle ? Tel est le rêve de Jeremy Ghez, qui espère un nouveau leadership occidental de la France « grâce au fait que nous puissions faire émerger dans le débat des solutions du centre » car, pour lui, « la population a compris qu’il fallait changer de modèle, avant même la classe politique ». Et tout commencerait par un changement d’approche, notamment sur la question du travail : « cessons de vouloir protéger les emplois qui sont des choses qui, en un même mouvement, se créent et se détruisent. Au lieu de vouloir protéger les emplois, il faut essayer de protéger les individus » souligne le professeur affilié à HEC Paris, qui fait référence au « grand nombre d’outils à disposition » pour remédier au problème structurel du chômage, notamment les outils liés à la formation, tout au long de la vie: « il faut prêter bien plus d’attention à l’éducation, étant donné que l’on peut connecter les gens aux autres et créer de nouvelles opportunités ».
« Se montrer très innovants face aux mouvements populistes » (J. Ghez)
Pour Jeremy Ghez néanmoins, « la population peut parfois apparaître comme lassée, blasée, car elle serait persuadée d’une perte de pouvoir d’achat, d’une perte d’influence de la France et elle peut alors tenter le diable dans les urnes ». Selon lui, puisqu’il y a une partie grandissante de l’opinion qui est persuadée que les choses vont empirer, « il va falloir se montrer très innovants face à ces mouvements populistes. Il faut prendre acte du sentiment de déclassement de beaucoup de gens en sachant que l’on a un certain nombre d’outils pour réformer» et sortir par le haut des difficultés.
Cette projection en avant peut (et doit) se faire par une prospective organisée en tous domaines, d’autant plus qu’en France « nous sommes des stars de la prospective qui nous ignorons « , relève-t-il. Il cite notamment le domaine de la Défense. On se demande alors, ajoute-t-il, « où est passée cette tradition française en économie ». Et de souligner un certain nombre d’atouts, qui peuvent « dessiner les contours du Made in France » poursuit Jeremy Ghez.
« Arrêter de déculpabiliser le vote FN » (N. Bouzou)
Pour Nicolas Bouzou, « le vote FN serait dramatique » pour la France, et « il faut arrêter de déculpabiliser le vote populiste ». L’économiste note « le grand paradoxe de cette campagne » entre d’un coté « des programmes de bons niveaux » et de l’autre « une campagne très mauvaise à cause des polémiques, avec une vraie difficulté à traiter du long terme ». L’essayiste, qui s’est bien sûr plongé dans les projets des différents candidats, constate qu’il y a selon lui « des mesures fortes et engageantes qui sont des propositions que l’on peut naturellement discuter mais qui relèvent de choix forts, qui nécessitent qu’on en parle: que ce soit chez François Fillon, qui veut 500 000 fonctionnaires de moins, Emmanuel Macron qui propose de changer le système d’indemnisation chômage, Benoît Hamon et son revenu universel ou Marine Le Pen qui veut sortir de l’euro ». Nicolas Bouzou souligne par ailleurs qu’en France « on a des problèmes de tuyauterie fiscale à régler mais tout ne va pas si mal ».
« Phase de destruction créatrice , et montée simultanée du nationalisme et du fondamentalisme»
Sur les questions de moyen et de long terme, on a en revanche « plus de mal » à tracer les perspectives. Il faut bien réaliser, selon Nicolas Bouzou, «que l’économie mondiale se trouve dans une phase de destruction créatrice, entre intelligence artificielle, robotique, numérique… C’est un mécanisme de destruction créatrice qui va très vite. La question pour les pays développés sera de savoir comment conserver une économie prospère et un équilibre social dans cette phase de mutations ». Sur les innovations, il s’est appuyé sur l’exemple futuriste de la voiture autonome qui est « certes formidable mais qui est clairement une mauvaise opération pour un chauffeur de taxi ou de poids lourd ». Rejoignant Jeremy Ghez, Nicolas Bouzou souligne l’importance d’une économie « plus flexible avec l’enjeu majeur de la formation, que ce soit la formation initiale, la formation continue ou l’apprentissage ».
Toutes ces périodes de destruction créatrice sont pour lui « des ères où l’on retrouve systématiquement une montée simultanée du nationalisme et du fondamentalisme ». C’est aussi pourquoi, il faut assurément « prendre en charge les perdants de la mondialisation et projeter véritablement les gens vers l’avenir ». Dans cette perspective, ajoute-t-il « l’Europe demeure un excellent terrain », notamment dans le domaine de la recherche et de l’espace relève-t-il, car ce sont des domaines où les projets sont mobilisateurs. L’enjeu est donc, pour lui, de « redonner du contenu à la notion de progrès car la grandeur d’un pays comme la France est de se demander comment les citoyens peuvent bénéficier du progrès ». Enfin, Nicolas Bouzou insiste aussi sur le fait, malgré le pessimisme ambiant en France, qu’il y a beaucoup de secteurs dans lesquels on peut recréer des emplois, pour les classes moyennes : « peu de métiers disparaissent, ils évoluent, et se transforment. Cela nécessite d’anticiper, et d’avoir le courage d’aller voir les gens avant que le problème explose » affirme t-il.
(mars 2017)