Hommage et émotions des familles de victimes du terrorisme. Moment rare avec le chef de l’État (exclusif Revue Civique)

Quand une « rescapée du terrorisme »
tombe en larmes dans les bras de Macron

On comprend avec le chef de l’État que cette femme, comme toute cette assemblée de familles de victimes du terrorisme réunie autour d’elle, ne pourra jamais chasser les démons que leur a imposé le terrorisme. Moment exceptionnel, auquel a assisté Jean-Philippe Moinet, directeur de la Revue Civique (en absence de tout média). 

Récit de JP Moinet a été publié aussi par Le HuffPost

Ce 19 septembre, dans un petit square ensoleillé près de l’Hôtel des Invalides à Paris, deux Présidents convergent: l’actuel, Emmanuel Macron, et un ancien, Nicolas Sarkozy.

L’assistance des invités, pas plus de 200 personnes, est déjà recueillie. Le soleil donne mais les cœurs sont en berne cet après-midi là. Les gardes républicains sont figés, le chef de l’État arrive. La cérémonie officielle d’hommage aux victimes du terrorisme va commencer.

Les autorités politiques sont en position d’écoute. Au micro, parfois timidement, les témoignages de proches de victimes vont se succéder. Les mots, lourds, commencent à fuser. François Hollande n’est pas venu. Il aurait pu raconter à l’actuel Président, ce qu’il gardera en mémoire sans doute jusqu’à sa mort: le soir du 13 novembre 2015, quand il a voulu voir lui-même, au Bataclan, la scène du carnage. La plus grande épreuve qu’il a affrontée personnellement, pendant son quinquennat.

Emmanuel Macron tient à rester concentré, ce 19 septembre. A-t-il suivi de près, dans la matinée, l’audition de son ex-chargé de mission Alexandre Benalla par le Sénat? On a peine à le croire tant il semble sourcilleux, fixé sur les paroles de ces témoins qui défilent sous ses yeux. Ces proches de victimes ne forment pas une armée d’ombres mais un groupe de résistants vivants, debout. Il écoute, et écoutera quelques instants plus tard il ne le sait pas encore, d’incroyables mots surgis de la violence terroriste. Certains mots ont un ton étonnamment calme, d’autres sont encore durs comme l’acier. Le sifflement des balles ou le vent d’une lame de couteau est encore audible dans certains récits. On entend aussi « raison d’État », au micro dans ce square, être ajoutée à la liste des souffrances endurées.

Sous les balles frénétiques

de jihadistes déchaînés

Il y a aussi Mme Erignac, qui parle de l’assassinat de son mari par « les terroristes corses ». Il y a des parents, des frères ou sœurs, de ceux qui sont tombés, un beau soir de novembre au Bataclan où la musique s’est tue, sous les balles frénétiques de jihadistes déchaînés. Dans l’assistance, Latifa Ibn Ziaten, écoute aussi: c’est la maman, devenue célèbre, qui parcourt les quartiers pour porter la mémoire de son fils, soldat Français de confession musulmane, lâchement abattu par Mohamed Merah, ce tueur connecté au jihadisme sans frontières, que certains qualifiaient de « loup solitaire ».

A quelques sièges du chef de l’État, Nicolas Sarkozy écoute aussi. Il aurait pu également confier à Emmanuel Macron l’un de ses pires souvenirs, qu’il ne pourra jamais chasser de son esprit, lui non plus. En pleine campagne présidentielle de 2012, le chef de l’État d’alors devait se précipiter dans une école juive de Toulouse et affronter la tragique réalité: le même Merah venait de commettre un acte sacrilège, abattre trois enfants. Il fallait voir les corps. Et les familles ravagées par la douleur. Le jihadisme armé était actif dans la maison France et d’autres drames allaient suivre.

C’est pourquoi, six ans plus tard, Emmanuel Macron se lève à son tour, avant qu’une Marseillaise soit entonnée par des voix républicaines réunies, pour assurer que la France allait continuer à mobiliser ses forces face aux menaces et développer un devoir de Mémoire pour ne jamais oublier ce qu’ont subi les victimes, leurs proches, le pays tout entier. Mais Emmanuel Macron ne voulait pas en rester là. Après son allocution, les politiques se sont dispersés mais le Président de la République, accompagné de son épouse, tenait à rencontrer, en intimité, hors programme officiel, des familles de victimes, les voir et les écouter, de très près.

Dans une petite cour, sous une tente, environ 80 personnes attendent calmement le chef de l’État: ce sont quasiment toutes des proches de victimes d’attentats terroristes, réunies notamment par l’Association française des victimes du terrorisme (AfVT), que préside Guillaume Denoix de Saint-Marc, qui déploie toute son énergie depuis des années pour que soient prises en considération le lourd fardeau des victimes survivantes et des familles. Le couple présidentiel arrive, commence à saluer chacun. Une femme dynamique commence à lui parler. Elle est plutôt souriante mais on comprend très vite qu’elle est encore remuée par « l’horreur terroriste », qui a frappé son entourage.

Le propos d’une dame, calme d’abord,
va se précipiter

Son propos est calme, mais il va se précipiter. Le Président la regarde droit dans les yeux, comme il le fait avec les interlocuteurs auxquels il veut montrer qu’il leur prête attention. La femme va partir dans son récit et ne s’arrête plus. 2, 3, 4, peut-être 5 minutes au moins, mais Emmanuel Macron ne peut décrocher: « vous savez M. le Président, c’était terrible… » On entend qu’elle parle du fanatisme meurtrier, celui du GIA algérien. Attaques au couteau, au fusil de chasse, à l’arme légère, on le sait, les assauts jihadistes en Algérie aussi ont frappé à l’aveugle, hommes, femmes, enfants, tous petits dans leurs berceaux parfois, dans les villages. En voyant cette femme, j’entends d’un seul coup moi-même le cri d’indignation d’André Glucksman, lancés dans une indifférence assez générale à la Mutualité, dans ces terribles années de guerre civile en Algérie, qui ont fait plus de 100.000 morts.

C’est étrange, je vois le Président de la République avoir devant moi le regard fixé encore sur cette femme qui commence à trembler, sans arrêter son flot de paroles. Elle ne sait plus trop où elle est peut-être: passé et présent entrent en collision. Emmanuel Macron n’est pas « psy » mais il laisse la grande marée des souvenirs remonter jusqu’à lui. Cette femme précise : « vous savez, j’ai trois nationalités: française, algérienne et canadienne ». Son sourire se voile. On le devine, elle a du triplement se protéger, une ou deux nationalités ne pouvaient lui suffire, il lui en faudrait peut-être dix pour être un jour en paix.

On comprend avec le chef de L’État que cette femme, comme toute cette assemblée réunie autour de lui, ne pourra jamais chasser les démons que leur a imposé le terrorisme. Et là, on comprend aussi que ça fait beaucoup pour cette femme, pour ses jambes et ses épaules pourtant solides. Les Invalides, la cérémonie officielle, les gardes républicains, des mutilés en fauteuils roulants, les prénoms meurtris tout autour, Sarah, Yasmina, Isabelle… tous ces proches, eux-mêmes victimes collatérales de la même violence fanatique. Et cette musique, violoncelle et violon à la mélodie pleurante… Ça faisait beaucoup en effet, cette femme s’en rend compte d’un seul coup, en parlant au Président.

Elle voit bien que ce Président, qui la fixe, cherche aussi dans ses mots de malheur quelque chose, peut-être de plus fort que le malheur lui-même. Pour agir, pour puiser une ressource de courage? Pour lui, le chef des Armées, dont la fonction est d’agir au mieux et de faire face aux menaces qui perdurent ? Emmanuel Macron ne dit pas un mot, il écoute encore. La femme commence à trembler, de la voix d’abord, du visage ensuite, puis de tout son corps. Subitement, elle doit s’arrêter de parler. Elle n’en peut plus. Elle tombe en larmes dans les bras du Président de la République, qui la serre contre lui, l’enserre de ses bras. Cette dame est devenue enfant. Et ce Président, plus jeune qu’elle, en un instant est devenu comme un père.

Après l’étreinte présidentielle,
des échanges exceptionnels, de vie aussi

La petite assemblée qui entoure fait silence. 5 secondes, 10 secondes, 15 longues secondes peut-être: puis, l’étreinte présidentielle, qui se veut consolatrice, se desserre. Comment la violence du GIA a-t-elle pu ainsi resurgir dans ce jardin des Invalides? Pour encore mieux comprendre, Emmanuel et Brigitte Macron ne restent pas 20 minutes mais près de deux heures. Échange exceptionnel, non pas de mort finalement, mais de vie. Car ces proches de victimes, qui ont vu la terreur, c’est aussi une leçon de vie qu’ils donnent, là, au chef de l’État et ceux qui écoutent les récits. La souffrance de cette dame, parmi d’autres, transmet aussi une force vitale au plus haut représentant d’une Nation qui a souffert elle-même.

7 et 9 janvier 2015, Charlie Hebdo et Hyper Casher. Et plus de trois millions de citoyens, le 11 janvier, dans les rues de France, avec 50 chefs d’État et de gouvernement à Paris, devenue ce jour là capitale mondiale de la résistance à l’oppression djihadiste. Mais les épreuves ont continué, d’autres témoins vont peut-être en reparler aussi au chef de L’État : juillet 2015 et la tuerie de Nice, (Christian Estrosi était à la cérémonie officielle) ; 13 novembre 2016 et le massacre du Bataclan, pas de répit pour la France… Et l’extrême droite qui, bien sûr, en profite pour prospérer, pour utiliser son principal carburant: les peurs.

Emmanuel Macron voit très bien le danger du terrible engrenage. Il a été aussi élu pour cela en 2017: faire barrage, aux menaces terroristes bien sûr d’abord, et à la montée du nationalisme xénophobe aussi. Prenant le relais de François Hollande comme chef des Armées, il a mené le combat, au Levant notamment avec la coalition, pour réduire les positions de Daesh et libérer des villes, qui étaient écrasées par la violence totalitaire d’un « califat » armé. Il a maintenu, et à certains égards renforcé, l’opération Barkhane en Afrique subsaharienne, là où des foyers jihadistes peuvent reprendre vigueur, nos soldats sont chaque jour engagés dans un pacte de coopération active qui relie les 5 pays du G5 Sahel.

Larcher a cherché à capter
le regard présidentiel: en vain

Et sur notre territoire, il y a bien sûr notamment la protection « Sentinelle », pour contribuer à lutter contre le terrorisme sur notre sol, en cas de nécessité. Le Président sait plus que quiconque l’importance du dispositif. Les réunions régulières de son Conseil de Défense sont là pour le lui rappeler, et actualiser son information. Alors, ce 19 septembre après-midi, par ailleurs fête de Kippour pour la communauté juive, on comprend qu’Emmanuel Macron avait le regard grave dés l’amorce de la cérémonie officielle. Et quand le débonnaire Président du Sénat, Gérard Larcher, peu après l’audition d’Alexandre Benalla par ses troupes sénatoriales, vient lui aussi participer à la partie officielle de la cérémonie et quand il cherche à capter le regard du Président de la République, on a vu qu’Emmanuel Macron n’avait pas grand-chose à lui donner en retour.

Le regard présidentiel est resté fixé sur celles et ceux qui, au micro, commençait à témoigner: eux ne devaient pas prêter serment, pour témoigner de choses bien plus importantes, devait-il penser. Ce regard un peu lointain, Gérard Larcher l’a-t-il pris pour une forme d’arrogance, voire de mépris? Peut-être mais pas sûr.

On comprenait aussi, en fin d’après-midi, après qu’Emmanuel Macron se soit longuement attardé dans cette rencontre d’intimité avec des familles de victimes, oui, on pouvait comprendre que sous la Vème République et à l’heure de menaces permanentes, le Président était nécessairement un peu ailleurs. Sans être forcément lointain.

Jean-Philippe MOINET

@JP_Moinet

(20 septembre 2018)

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Le diaporama de la cérémonie d’hommages

La Revue Civique était présente à l’émouvante cérémonie d’hommage aux victimes du terrorisme, organisée près des Invalides à Paris (le 19 septembre) par deux associations (l’AfVT, présidée par Guillaume Denoix de Saint-Marc, et Fenvac, présidée par Pierre-Etienne Denis). Témoignages de familles de victimes, allocution du chef de l’Etat, Emmanuel Macron – sur la nécessaire activation du devoir de Mémoire pour les victimes du terrorisme – musique émouvante de la Garde Républicaine et, finalement, recueillement, simple, fort, chargé d’émotions. 

#NePasOublier De nombreuses personnalités politiques de l’arc républicain, de Jean-Luc Mélenchon et Clémentine Autain (FI) à Valérie Pécresse et Christian Estrosi (LR), en passant par Christophe Castaner, Hugues Renson (LREM), Marielle de Sarnez, Marc Fesneau (Modem), plusieurs Ministres (dont Jean-Michel Blanquer, Agnès Busyn), le Président du Sénat, Gérard Larcher, l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy. Le chef de l’Etat Emmanuel Macron, accompagné de son épouse, Brigitte Macron, tenait, après la cérémonie officielle, à passer un moment de rencontre directe, et intime, avec les familles des victimes du terrorisme. Un moment, chargé de récits personnels et d’émotions très vives aussi, moment qui a finalement duré près de deux heures. Aperçu sobre ici avec ces quelques photos #RevueCivique.

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La Garde Républicaine, attend l’arrivée du chef de l’Etat, qui ouvrira la cérémonie officielle d’hommages aux victimes du Terrorisme.

Allocution d’Emmanuel Macron : aux victimes du terrorisme aussi, s’applique aussi un devoir actif de Mémoire pour la République française.

Début d’une longue rencontre, entre Emmanuel Macron et les familles de victimes du terrorisme.

La rencontre et les échanges personnels se poursuivent avec les familles.

Une femme parle longuement au Président de la République. Notamment des « horreurs » terroristes et djihadistes du GIA algérien. Longues minutes de paroles après lesquelles l’émotion va la submerger.

Cette dame s’effondre en larmes dans les bras d’Emmanuel Macron. Silence se fait dans l’assistance. La scène d’émotions non contenues, et de tentative de consolation, va durer une quinzaine de secondes. Au total, le couple présidentiel s’attardera près de 2 heures avec les familles de victimes.

 

 

Auparavant, lors de la cérémonie officielle, les familles de victimes se recueillaient, à l’invitation des deux associations organisatrices (AfVT et Fenvac). Dépôts de fleurs devant la statue érigée dans un petit square près de l’Hôtel des Invalides à Paris, qui rend hommages aux victimes du terrorisme.

 

Deux musiciens de la Garde Républicaine lors de la cérémonie. Autres cordes sensibles en cet instant.

 

Guillaume Denoix de Saint-Marc, le Président de l’AfVT (association française des victimes du terrorisme), remercie les musiciens de la Garde.

 

Jacques Toubon, Défenseur des Droits.

 

Juliette Méadel, ex-Secrétaire d’Etat (PS) chargée des Victimes.

 

Le chef de l’État, Emmanuel Macron, au début de la cérémonie officielle salue représentant des familles et les diverses autorités politiques présentes.

 

Mme Latifa Ibn Ziaten, mère d’un des soldats français abattu par Mohamed Merah en mars 2012.

 

Deux membres du gouvernement, Jean-Michel Blanquer et Agnès Buzyn, avant l’arrivée du chef de l’État.

 

Colombe Brossel, Maire adjointe de Paris, chargée de la Sécurité publique.

 

Un groupe de députés, avant le début de la cérémonie. De gauche à droite : Marielle de Sarnez, Président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale, en discussion avec Marc Fesneau Président du Groupe Modem de l’Assemblée, Gilles Legendre, le nouveau Président du Groupe LREM de l’Assemblée, et Clémentine Autain, députée « France Insoumise ».