« La fonction d’actionnaire, qu’elle soit purement financière ou stratégique, n’est pas adaptée aux pouvoirs publics. Ce n’est pas une critique, ni un problème : c’est un fait qu’il convient d’assumer pour mettre fin à une ambiguïté contre-productive » déclare David Azéma pour présenter son nouveau rapport « L’impossible État actionnaire ? » publié par l’Institut Montaigne. La note vise à montrer que la présence de l’État au capital d’entreprises cotées comporte, par nature, beaucoup plus d’inconvénients et de risques que de bénéfices.
David Azéma est homme de haute expérience en ce domaine : aujourd’hui, vice-Président de l’Institut Montaigne, il a passé quinze ans au sein du groupe SNCF et a été directeur général de l’Agence des participations de l’État (APE) de 2012 à 2014, un organisme sous tutelle du Ministère de l’Économie et des Finances. Dans ce nouveau rapport, Azéma explique que la juxtaposition des termes « État » et « actionnaire » entraîne des tensions qui affectent le développement des entreprises concernées et leur position relative dans la compétition mondiale, à rebours des objectifs affichés par l’État. Pour cette raison, il constate que l’État devrait « soit exercer un contrôle exclusif des activités qu’il détient, soit se retirer », en confiant à une entité tierce la gestion de son portefeuille de titres.
La raison qui explique ce paradoxe est simple : l’actionnaire recherche la rentabilité, alors que l’État, « pour d’excellentes raisons », ne peut pas adhérer à ce corpus de règles. En effet, l’État doit obéir à des contraintes législatives et politiques d’un côté, et à des règles du droit des sociétés et du droit boursier de l’autre, ce qui lui empêche de répondre aux aspirations interventionnistes de ses mandats. Les entreprises, quant à elles, se trouvent, dénonce Azéma, « très affaiblies ».
Pour résoudre le problème, l’expert propose de déterminer quelles sont les entreprises et les activités auxquelles il est essentiel d’imposer un contrôle total de l’État, en suivant trois critères cumulatifs : « produire des services considérés comme publics; être l’objet d’interventions permanentes du politique affectant leur gestion ou leurs équilibres financiers; et avoir des ressources importantes provenant du contribuable et non du client ». Dans ces cas, le pilotage des entreprises devrait être assuré par une agence rattachée au Premier ministre. En cas contraire, Azéma juge nécessaire que la présence directe de l’Etat au capital des entreprises commerciales soit minimale, une recommandation qui n’exclut pas que l’État conserve « une capacité d’intervention exceptionnelle directe, en capital, pour faire face à une situation de crise ».
L’Etat actionnaire à l’étranger : une vision comparée
En France, au 30 décembre 2016, les participations suivies par l’APE (Agence des Participations de l’Etat) représentaient un actif d’environ 90 milliards d’euros, soit plus de 4% du PIB. Dans une note publiée à l’occasion de la publication du rapport, Victor Poirier, chargé d’études à de l’Institut Montaigne, montre les différences existantes avec d’autres pays clés.
D’un côté se trouvent le Royaume-Uni et l’Allemagne, dans lesquels le poids de l’État est inférieur à celui de la France. Ainsi, le chiffre d’affaires combiné (des participations de l’Etat) du Royaume-Uni est d’environ 12 milliards de livres sterling (31 décembre 2015), alors que celui de l’Allemagne n’arrive pas à 5,5 milliards d’euros (2014). Ces chiffres, très inférieurs à ceux de la France, s’expliquent, continue Poirier, car au Royaume-Uni, contrairement à la France, l’actionnariat public n’est pas perçu comme un outil stratégique, et en Allemagne la participation de l’État n’est perçue que comme une option de dernier recours pour pallier les déficiences du marché.
De l’autre côté, on a les exemples étatiques de la Norvège et Singapour. L’État norvégien a des participations directes dans 70 entreprises nationales pour une valeur totale d’environ 73 milliards d’euros, représentant 20% du PIB national (fin 2015). Poirier note aussi que la Norvège dispose de deux fonds de pension détenus par le gouvernement, « alimentés en grand partie par les revenus pétroliers du pays ». Quant à Singapour, l’État détient des participations atteignant 180 milliards de dollars (au 31 mars 2016), soit 20% aussi du PIB du pays. Une différence entre ces deux pays: à Singapour, le fonds étatique est dédié entièrement à la recherche du profit, il ne dépend pas directement des principaux acteurs politiques et joue le rôle d’un acteur commercial à part entière.
Rafael Guillermo LÓPEZ JUÁREZ
(mars 2017)
Pour aller plus loin :
► L’impossible État actionnaire ?, rapport de David Azéma, publié par l’Institut Montaigne