Le vote démocratique rejette l’islamisme: l’important exemple du Maroc dans le monde arabe (par JP Moinet)

L’actualité mondiale, a grondé cet été autour du drame de l’Afghanistan, la prise du pouvoir à Kaboul par les Talibans, le retrait expéditif et chaotique des forces américaines et occidentales. L’obscurantisme islamiste semble avoir gagné une bataille, sans doute lourde de conséquences dans cette partie du monde, où un axe fondamentaliste Iran-Afghanistan-Pakistan risque de peser sur l’équilibre de cette zone stratégique, situé entre Proche-Orient et Asie-Pacifique.

Mais à l’autre bout de l’arc arabo-musulman, une autre surprise vient de surgir, non pas par les armes mais dans les urnes cette fois. D’importantes élections, législatives et locales, se sont déroulées au Maroc, dans le calme et la sérénité, avec des enseignements majeurs dont il faut aussi prendre la mesure, positive cette fois. D’abord, preuve est faite à l’échelle de tout un pays, que la démocratie – même imparfaite bien sûr – peut s’ancrer et se développer pacifiquement dans le monde arabe. Les exemples sont suffisamment rares pour être soulignés. Le royaume chérifien reste naturellement une monarchie, avec une forte concentration du pouvoir, en particulier pour les missions régaliennes (Défense, Police, Affaires étrangères) de l’Etat. Mais le Parlement tient son rôle et des élections sont régulièrement organisées au Maroc, avec un paysage pluri-partisan qui couvre une réelle diversité de sensibilités, d’opinions et de projets parfois très opposés. Et, selon le modèle des monarchies constitutionnelles, le Premier ministre marocain est choisi en fonction du verdict des urnes, il est issu de la formation politique arrivé en tête aux élections législatives.

La chute brutale du parti islamiste marocain et une vague montante de trois partis libéraux.

Les dernières élections législatives sont particulièrement importantes, historiques même pour le Maroc, car elles se sont traduites par une déroute électorale du parti au pouvoir (parlementaire et gouvernemental) depuis dix ans dans ce pays, le PJD (Parti dît « de la Justice et du Développement »), parti islamiste qui est passé de 125 sièges (obtenus aux législatives de 2016) à 13 sièges en ce mois de septembre 2021: une chute de 10 à 1 ! Trois autres partis, d’orientation libérale (à la fois concernant l’économie et la société) sont arrivés en tête du scrutin, préfigurant l’organisation d’une coalition au gouvernement : au premier rang, avec 102 sièges, figure le RNI (« Rassemblement national des indépendants », dît « parti de la colombe »), dirigé par un entrepreneur, Ministre de l’Agriculture dans le gouvernement précédent, Aziz Akhannouche, qui fait figure de grand vainqueur de ces élections, vite pressenti pour être nommé Premier ministre. Apparaît ensuite le PAM (« Parti Authenticité et Modernité »), avec 87 sièges selon les premiers résultats. Puis, le « Parti de l’Istiqlal » (centre droit), avec 81 sièges, là encore selon les premiers comptages.

Dans le calme et par la démocratie, une page islamiste est donc entrain d’être tournée, dans ce pays important du monde arabo-musulman qui joue un rôle clé, notamment dans les domaines des relations économiques et sociales avec l’Europe (et la France en particulier) et des questions stratégiques cruciales, par exemple en ce qui concerne les équilibres à trouver ou la stabilité à préserver dans la zone sahélienne et subsaharienne (où le djihadisme continue de menacer). Les Marocains ont majoritairement, et très clairement, choisi de ne pas reconduire le parti islamiste, dont les dirigeants, les orientations et les décisions n’ont manifestement pas convaincu le peuple marocain, après dix années d’exercice du pouvoir. D’autres options et projets ont clairement été préféré pour tracer l’avenir économique, sociale et sociétal du Maroc pour l’horizon 2030.

Une hirondelle marocaine ne fait pas un printemps dans tout le monde arabe, mais…

Cet événement a naturellement une importance particulière pour l’ensemble du monde arabe, qu’il s’agisse des citoyen(ne)s de la zone de proximité (comme le Maghreb, où ces élections ont une résonnance directe) ou des zones plus lointaines géographiquement mais proches culturellement (Egypte, le Proche Orient en général). Bien sûr, une hirondelle marocaine ne fait pas et ne fera pas, subitement, un printemps arabe démocratique. Mais, en contrepoint de l’obscurantisme qui s’est tragiquement imposé en Afghanistan, les urnes marocaines qui ont parlé n’émettent pas moins une lueur d’espoir. Dans un monde de turbulences qui en a bien besoin.

Jean-Philippe MOINET, auteur, chroniqueur, intervenant en analyses pour divers médias, est le fondateur de La Revue Civique.

(10/09/21)

Les élections législatives (et locales) au Maroc tracent une nouvelle orientation, politique et sociétale, au Maroc. Dont le Parlement et le gouvernement étaient dominés par le parti islamiste PJD depuis 10 ans.
-L’article de RFI sur ces élections et la constitution d’un nouveau gouvernement
-Revue de la presse marocaine sur cet événement (dans Le Point)